Port de l’abaya par les élèves musulmanes : la nouvelle fixation française
Une nouvelle affaire de « vêtement religieux » provoque la polémique en France. Il s’agit de l’abaya, une tenue ample féminine qui serait à la mode chez les élèves de confession musulmane.
Mercredi, le quotidien Le Parisien publiait en une un article sous le titre « ‘’Ne pas prendre ce qui se passe à la légère’’ : l’école face au défi des abayas ». Le journal revenait sur une réunion tenue, mardi, par le ministre de l’Éducation, Pap Ndiaye, avec les recteurs des différentes régions « pour évoquer la multiplication des incidents liés à ces robes traditionnelles ».
« Ces tenues amples, pas interdites par la loi mais prohibées dans les établissements car considérées comme signe d’appartenance religieuse, jouent sur une ambiguïté source de conflits », poursuit le journal.
« Ces tenues amples, pas interdites par la loi mais prohibées dans les établissements car considérées comme signe d’appartenance religieuse, jouent sur une ambiguïté source de conflits »
- Le Parisien
Lors de cette réunion, « le ministre de l’Éducation entend afficher sa "fermeté face aux pressions communautaires dans certains quartiers" ».
« Personne au ministère ne met la poussière sous le tapis au nom d’un hypothétique ‘’pas de vague’’. Il ne faut ni sous-estimer ni surestimer le phénomène, qu’on a vu émerger de façon préoccupante à l’automne 2021, avec des poussées saisonnières et des décrues », a expliqué le ministre.
Dans son éditorial, Le Parisien compare la situation à l’Iran : « En Iran, des femmes défilent dans la rue contre le port du voile et libèrent leurs cheveux [...] En France, des jeunes filles font des vidéos à l’entrée des collèges et des lycées pour revendiquer le port de l’abaya. »
Selon La Dépêche du Midi, qui reprend les propos de Didier Georges, responsable du SNDPEN, le syndicat majoritaire chez les chefs d’établissements, « sept lycées et trois collèges sur dix ont fait état de problèmes, c’est impressionnant. Dans quelques-uns, on parle d’une centaine de cas ».
Le même média rappelle qu’une circulaire, datant de septembre 2022, demande aux directeurs d’établissements de déterminer « si la tenue est religieuse ou pas ».
Mais la tâche semble compliquée, comme l’explique à La Dépêche du Midi une autre syndicaliste : « C’est matériellement impossible. L’adolescence est un âge compliqué. Certaines ont des visées prosélytes, mais d’autres peuvent vouloir couvrir leurs rondeurs, imiter la copine, trouver la tunique jolie, pas chère… que sais-je encore. »
Selon le dernier bilan du ministère de l’Éducation nationale publié cette semaine, 56 % des atteintes à la laïcité sont relatives au port de signes et de tenues à caractère religieux, dont les abayas, rapporte BFMTV.
« Si on nous demande d’enlever notre voile à l’entrée du lycée, ok, je peux comprendre parce que c’est religieux. Mais l’abaya, non, ça ne l’est pas. On n’est pas en train de faire de la propagande, on ne fait de mal à personne », a réagi sur le même média une lycéenne de la banlieue parisienne.
Du côté des politiques, l’avis est plus tranché. La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, du parti présidentiel Renaissance, estime que le port de l’abaya est « inacceptable » et ne doit pas « être toléré ».
De son côté, Mathilde Panot, la présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, a déploré le sujet de la une du Parisien : « Nous traversons une crise sociale sans précédent, une attaque massive des libertés sous Macron, une sècheresse ultra précoce et une guerre alimentaire se profile. Mais Le Parisien fait sa une sur la tenue des femmes musulmanes », a-t-elle écrit sur Twitter.
« Pour ce journal comme beaucoup d’autres : l’islamophobie fait vendre. Surtout quand elle s’attaque aux femmes », dénonce l’élue.
— Mathilde Panot (@MathildePanot) June 7, 2023
Le tweet de la députée a provoqué à son tour une série de réactions :
— Stefan Marthelot (@smarthelot) June 7, 2023
La journaliste d’Europe 1 et de CNews Sonia Mabrouk, qui a multiplié les plateaux autour de l’abaya depuis mercredi, a également réagi aux propos de Mathilde Panot. « La tenue des femmes musulmanes ? En quoi ce symbole communautaire serait le vêtement des femmes musulmanes alors que c’est le fruit du wahhabisme », a twitté la journaliste.
D’après Françoise Lorcerie, directrice de recherche émérite au CNRS, spécialisée dans les questions d’immigration, de discrimination et de laïcité, l’instruction donnée aux directeurs et même aux enseignants de vérifier les tenues des élèves réduit la notion de laïcité « à un code de contrôle entièrement négatif », alors qu’elle implique des valeurs « d’émancipation, de liberté personnelle et de souveraineté individuelle pour construire sa propre morale ».
Tensions autour des questions de laïcité
« Il y a une contradiction manifeste entre le discours sur la laïcité que les professeurs d’enseignement civique et moral tiennent et la pratique de cette laïcité dans les établissements scolaires, qui se réduit à des actions de contrôle et d’interdictions », déplorait la chercheuse auprès de Middle East Eye en novembre dernier.
Nicolas Cadène, ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité (dissous en 2021) et membre du conseil d’administration de la Vigie de la laïcité, évoquait pour sa part à MEE « une confusion dans le débat public » qui renforce les crispations autour de l’islam du fait « d’un passé colonial pas totalement traité, d’une mixité sociale très insuffisante et de rapprochements douteux entre radicalisme, terrorisme et pratique religieuse ».
« Tout ceci crée de grandes tensions sur le sujet des tenues religieuses à l’école. » Selon lui, le ministère de l’Éducation nationale devrait, au lieu « d’instaurer une police vestimentaire », trouver d’autres solutions pour faire baisser les tensions autour des questions de laïcité, notamment en favorisant la mixité sociale des publics scolaires dans les établissements.
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