Au Yémen, le petit équipage qui a empêché une marée noire en mer Rouge
Lorsqu’une alarme a retenti sur un pétrolier délabré au large du Yémen, signalant une fuite dans la salle des machines, Hussein Nasser n’a pas hésité à intervenir, ne comptant pas ses heures, pour éviter un désastre écologique et humanitaire en mer Rouge.
Au large de Hodeïda, dans l’ouest du pays, Hussein Nasser et la demi-douzaine de membres de l’équipage du FSO Safer ont fabriqué des bandes de fer de fortune pour réparer un tuyau éclaté, avant que des plongeurs n’arrivent pour installer une plaque d’acier permanente destinée à empêcher l’eau de mer de noyer le navire.
« Le stress est toujours là à cause de l’état de délabrement du navire », confie Hussein Nasser, ingénieur sur ce supertanker en ruine contenant plus d’un million de barils de pétrole.
« Le Safer est comme une ligne de front et nous avons dû nous battre, comme sur une ligne de front militaire », poursuit ce cinquantenaire aux cheveux courts grisonnants.
Pays le plus pauvre de la péninsule Arabique, le Yémen est déchiré par un conflit qui oppose les Houthis, des insurgés soutenus par l’Iran, aux forces pro-gouvernementales, appuyées par l’Arabie saoudite.
Vieux de 47 ans, négligé pendant les plus de huit années de guerre, le FSO Safer commence finalement à bénéficier d’une opération de sauvetage complexe et coûteuse, chapeautée par l’ONU.
Premier objectif : le transfert du pétrole vers un navire de remplacement, le Nautica.
Héros oubliés
Le FSO Safer est dans un piteux état, la rouille et les champignons se propageant sur sa coque rouge et grise, dont l’épaisseur s’est réduit de quatre millimètres par endroits.
Les Houthis, qui contrôlent le port de Hodeïda, ne manquent pas de faire l’éloge des hommes comme Hussein Nasser, des « héros oubliés », selon eux.
« Ils ont travaillé au milieu de tous ces gaz inflammables, et presque en nageant dans le pétrole »
- Idriss Al-Chami, patron de la compagnie pétrolière Safer
« L’équipage n’est parfois composé que de trois ou cinq personnes, alors qu’ils étaient 72 avant la guerre », souligne à Idriss Al-Chami, patron de la compagnie pétrolière Safer, nommé par les Houthis.
« Ils ont travaillé au milieu de tous ces gaz inflammables, et presque en nageant dans le pétrole », énumère le responsable.
« Ils ont travaillé dans des conditions dangereuses. Ils ont réussi à réparer le navire. Et ils n’ont pas été reconnus », regrette-t-il.
Face à ces « héros oubliés », les Houthis pointent du doigt l’Arabie saoudite et ses alliés, dont les Émirats arabes unis, les accusant d’avoir maintenu un blocus sur le port de Hodeïda, privant ainsi le FSO Safer des travaux nécessaires.
Pourtant, les Houthis eux-mêmes ont longtemps été accusés d’utiliser le sort du Safer comme monnaie d’échange, en bloquant les demandes d’inspection de l’ONU avec leur exigence que les revenus du pétrole leur soient versés pour payer les salaires de leurs fonctionnaires.
« Quelques minutes de sommeil »
« Tout navire pétrolier a besoin d’un entretien régulier pour assurer sa sécurité », dit Ibrahim Al-Moshki, chef de l’autorité des affaires maritimes de Hodeïda.
La réparation des fuites sous le pont sont particulièrement délicates en raison de la chaleur et des vapeurs qui se dégagent du pétrole brut, ce qui peut entraîner un risque d’explosion.
Dans la ville de Hodeïda, le populaire marché aux poissons aurait très certainement été fermé en cas de marée noire. Selon l’ONU, un demi-million de personnes travaillent dans l’industrie de la pêche dans la région, 200 000 d’entre elles auraient vu leur moyens de subsistance « instantanément anéantis ».
« Tous auraient été gravement touchés », insiste l’ingénieur Hussein Nasser, en saluant de loin les pêcheurs qui déchargent des brouettes pleines poissons.
Il se dit prêt à toute nouvelle mission que les autorités maritimes décideraient de lui confier. Mais après des années à bord d’un navire qui menaçait de couler ou exploser, il rêve enfin de « de quelques minutes de sommeil et de repos ».
Par Robbie Corey-Boulet.
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