Coup d’État au Niger : pourquoi l’Algérie est-elle vent debout contre une intervention étrangère ?
L’Algérie a réagi rapidement ce weekend pour étouffer ce qui semblait être une intervention étrangère précipitée chez son voisin du sud, le Niger, soulignant qu’elle « rejetait totalement » ce discours.
Le 30 juillet, quatre jours après un coup d’État mené par les membres de la garde présidentielle du Niger et l’arrestation par la suite du président démocratiquement élu Mohamed Bazoum, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a donné sept jours aux meneurs du coup d’État pour infléchir le cours des choses avant d’être face à une possible intervention militaire.
L’échéance fixée par la CEDEAO, organisation politique régionale qui a mené plusieurs interventions dans la région par le passé, a expiré dimanche. Ce jour-là, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a demandé à la radio des efforts de médiation et un retour à « l’ordre constitutionnel » au Niger.
« Une intervention militaire pourrait embraser l’ensemble de la région du Sahel ; et l’Algérie n’utilisera pas la force avec ses voisins », a assuré Tebboune.
Le Mali, autre pays frontalier de l’Algérie, est englué dans des troubles civils depuis plus de dix ans. Les interventions menées par la France contre une insurrection locale et plus récemment le coup d’État dans le pays ont rendu la sécurité régionale bien plus précaire pour l’Algérie.
Le Mali et le Burkina Faso, dont les dirigeants sont issus de récents coups d’État, ont annoncé qu’ils allaient envoyer une délégation officielle conjointe en signe de soutien au Niger.
Ces deux pays, suspendus de la CEDEAO en raison des coups d’État, se disent prêts à fournir une aide militaire au Niger en cas d’intervention étrangère.
Après la Libye, le Mali et aujourd’hui éventuellement le Niger, l’Algérie semble craindre qu’un autre conflit politique interne ne devienne le théâtre d’une guerre par procuration entre puissances étrangères, explique Jalel Harchaoui, analyste politique d’Afrique du Nord et chercheur au Royal United Services Institute.
« L’Algérie soutient que toute forme d’intervention visant à rétablir Bazoum pourrait significativement faire dérailler la situation. Elle redoute qu’en cas d’échec de ces efforts, cela pourrait finir par mener à une situation semblable aux défis auxquels est confronté le Mali, au seuil de l’Algérie », explique-t-il à Middle East Eye.
Bien que l’Algérie ne soutienne pas le renversement du président nigérien, elle « pense pouvoir en quelque sorte stabiliser le Niger sans intervention violente soutenue par la France et les États-Unis afin de faire revenir Bazoum », ajoute le chercheur.
Ancienne puissance coloniale au Niger, la France aurait de bonnes raisons de protéger ses intérêts là-bas étant donné qu’elle importe une quantité significative d’uranium nigérien pour combler ses besoins en énergie nucléaire, qui constitue près de 70 % de sa production d’électricité.
L’avenir de la deuxième base militaire américaine en Afrique, actuellement abritée au Niger où plus d’un millier de soldats américains sont stationnés, est également très incertain après le coup d’État.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a annoncé vendredi que son gouvernement suspendait les initiatives d’aides à l’étranger spécifiques dont bénéficie le gouvernement du Niger.
Jalel Harchaoui pense que l’Algérie redoute toute intervention occidentale qui ramènerait Bazoum au pouvoir car son régime pourrait se montrer « encore plus amical envers les intérêts français et américains ».
« Si intervention il y a et que c’est un succès, cela donnerait aux puissances derrière cette intervention un point de départ pour obtenir quelque chose de mieux pour elles. Nous aurions un Bazoum 2.0 qui serait plus malléable, plus flexible, plus soumis et en résumé plus amical envers les intérêts occidentaux, y compris la France », met en garde le chercheur.
Menace pour le développement régional
Par ailleurs, le coup d’État et toute éventuelle intervention étrangère menacent de chambouler les relations économiques, sécuritaires et politiques que l’Algérie s’est minutieusement efforcée de construire pendant des années, selon Zine Ghebouli, chercheur au programme Moyen Orient et Afrique du Nord du Conseil européen pour les relations internationales.
L’année dernière, l’Algérie, le Nigeria et le Niger ont signé un protocole d’accord pour construire un gazoduc à travers le désert du Sahara.
Ce futur projet, d’une valeur estimée de 13 milliards de dollars, pourrait permettre de fournir à l’Europe jusqu’à 30 milliards de mètres cubes de gaz par an.
« L’instabilité au Niger mettrait d’abord en danger le programme de développement régional de l’Algérie mais mettrait également la pression sur l’armée étant donné le chaos sécuritaire au Mali », ajoute Zine Ghebouli.
« Les conséquences d’une intervention seraient désastreuses pour la région. En ce qui concerne l’Algérie, ce serait une guerre par procuration à sa frontière sud »
- Abdennour Toumi, analyste
« Au-delà des manœuvres diplomatiques et des négociations informelles, il sera compliqué pour Alger de faire pression sur la CEDEAO contre une opération militaire si cette dernière y est décidée », poursuit-il.
Si les puissances occidentales ont rapidement dénoncé le coup d’État, aucune n’a publiquement soutenu une intervention militaire ; la CEDEAO est le fer de lance sur ce front.
Abdennour Toumi, spécialiste nord-africain au Centre pour les études sur le Moyen-Orient en Turquie, indique à MEE que l’Algérie pourrait agiter le spectre de nouveaux flux d’émigration vers l’Europe pour dissuader toute intervention risquée potentielle.
« Une autre carte que peut jouer l’Algérie serait de mettre un terme à la coordination avec la France en matière de renseignement et de lutte contre les groupes armés terroristes au Sahel », précise-t-il.
« L’Algérie pourrait aussi aller jusqu’à apporter un soutien total aux dirigeants militaires au Mali, au Burkina Faso et maintenant au Niger » afin de contrer les intérêts de sécurité nationale de la France, ajoute Abdennour Toumi.
« Les conséquences d’une intervention seraient désastreuses pour la région. En ce qui concerne l’Algérie, ce serait une guerre par procuration à sa frontière sud. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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