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Coup d’État au Niger : ce qui se joue au Sahel est une redistribution des cartes géopolitiques

Après le putsch au Mali en 2020, puis au Burkina Faso en 2022, voilà le tour du Niger. Et ce n’est qu’une question de temps avant que d’autres États de la région ne connaissent le même sort
Des manifestants tiennent une pancarte décrochée de l’ambassade de France à Niamey, lors d’une manifestation qui a suivi un rassemblement de soutien aux militaires putschistes, à Niamey, le 30 juillet 2023 (AFP)
Des manifestants tiennent une pancarte décrochée de l’ambassade de France à Niamey, lors d’une manifestation qui a suivi un rassemblement de soutien aux militaires putschistes, à Niamey, le 30 juillet 2023 (AFP)

Après le coup d’État du 26 juillet au Niger contre le président Mohamed Bazoum, conduit par le général Tchiani, chef de la garde présidentielle, une délégation de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a immédiatement été dépêchée à Niamey, afin de trouver une issue à cette énième crise politique sahélienne.

Dans un communiqué, la CEDEAO – amputée elle-même du Mali, de la Guinée et du Burkina Faso, car suspendus après les coups d’État qui les ont eux-mêmes touchés – a donné un ultimatum d’une semaine aux putschistes nigériens, leur intimant de restaurer l’ordre constitutionnel, en affirmant ne pas exclure un « recours à la force ».

Le général Abdourahmane Tchiani, 59 ans, chef de la garde présidentielle du Niger, à l’origine de la chute du président Bazoum (AFP)
Le général Abdourahmane Tchiani, 59 ans, chef de la garde présidentielle du Niger, à l’origine de la chute du président Bazoum (AFP)

La CEDEAO a aussi annoncé la suspension de « toutes les transactions commerciales et financières » entre ses États membres et le Niger. Dans un communiqué laconique, le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a condamné la tentative de coup d’État au Niger.

Ce coup ne devrait pourtant pas être surprenant pour ceux au fait de la politique régionale.

En mars 2021, une tentative de coup d’État avait déjà eu lieu à Niamey, deux jours avant la prestation de serment du président Mohamed Bazoum, ce qui souligne que ce n’est pas la personne de Mohamed Bazoum qui est visée mais bel et bien tout un système de gouvernance.

Corruption, pauvreté et insécurité

Corruption et pauvreté sont le lot quotidien de la population nigérienne et sahélienne en général. Au classement de l’Indice de développement humain (IDH) du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le Niger était classé 189e en 2022, parmi les pays les plus pauvres de la planète. Le Mali, le Tchad, le Burkina Faso font à peine mieux que leur voisin.

De manière générale, en Afrique subsaharienne, le nombre de pauvres est plus important qu’en 1990.

Dix-huit pays – dont le Mali, le Burkina Faso et le Niger – comptaient à l’époque plus de 8 millions d’habitants et plus de 20 % d’extrême pauvreté.

S’agissant du Niger, le nombre de pauvres est passé de 7 à 11 millions entre 1990 et 2018, pour une population totale de 25 millions de personnes.

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Aujourd’hui, le Niger fait donc partie de ces pays africains où le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté a augmenté depuis 1990. L’une des raisons de ces coups d’État se trouve aussi, et sans doute surtout, dans cette pauvreté, elle-même nourrie par la corruption.   

À cela vient se greffer l’insécurité croissante au Niger, et au Sahel dans sa globalité, due à la présence des groupes extrêmistes armés d’al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Daech ou Boko Haram. Leurs attaques contre les militaires et les populations locales, sans que l’État nigérien ne puisse y mettre un terme, ont sans doute fini par convaincre les officiers nigériens d’intervenir au palais présidentiel.

Et puis enfin se greffe le rôle de la France au Sahel et au Niger, dont Mohamed Bazoum est très proche.

Après le retrait de la force Barkhane du Mali, Paris pensait trouver un allié de poids chez le voisin nigérien. Cela n’a pas été le cas. Comme au Mali et au Burkina Faso, Paris est de plus en plus critiqué et conspué parmi les populations locales.

À la suite du putsch de Niamey, des milliers de manifestants se sont massés le 30 juillet devant l’ambassade de France à Niamey, certains d’entre eux insistant pour y entrer, lors d’un rassemblement de soutien aux militaires putschistes à l’Assemblée nationale. 

Lors de ces manifestations hostiles à la France, on pouvait aussi entendre les manifestants, tenant de nombreux drapeaux russes, crier « vive Poutine » ou « vive la Russie ».

Il n’en fallait pas plus, pour certains, pour voir la main de Moscou et celle des mercenaires Wagner derrière les militaires nigériens responsables du coup.

À ce jour, rien ne peut affirmer ni infirmer cela. Mais il est toutefois certain que la Russie – à travers Wagner ou pas – saura éventuellement tirer bénéfice de cette situation. Tout comme d’autres pays tels que la Chine ou la Turquie. Car ce qui se joue au Sahel est bel et bien une redistribution des cartes géopolitiques, très longtemps aux seules mains de la France.

Domino

Tel un jeu de dominos, les coups se suivent et se ressemblent. Après le Mali en 2020, le Burkina Faso en 2022, puis la Guinée en 2021, c’est au tour du Niger. Ce n’est qu’une question de temps avant que d’autres États de la région ne connaissent le même sort.

Le Tchad, allié par excellence de Paris, et dont l’armée est (trop) souvent présentée comme aguerrie, mais qui n’est in fine qu’un semblant de géant régional aux pieds d’argile, n’est absolument pas à l’abri d’un scenario similaire, sa population souffrant des mêmes maux socio-économiques que ses voisins. Et les militaires maliens, burkinabés et nigériens pourraient bien finir par faire des émules du côté de N’Djamena.

Le Sénégal est aussi en proie à une grave crise de gouvernance et Dakar n’échappera pas, sinon à un coup d’État, du moins à un profond chamboulement politique, qui ne sera pas sans conséquences.

Mais les prochains sur la liste africaine sont sans nul doute le Bénin et le Togo, deux pays de plus en plus affectés par le terrorisme et qui finiront dans l’escarcelle de leurs militaires respectifs. Ce n’est qu’une question de temps.

Échec collectif

Si le Niger fait la une des médias aujourd’hui, le coup d’État de Niamey est avant tout un échec collectif. Un échec de la CEDEAO, dont les leaders s’empressent de donner des leçons de gouvernance les uns aux autres mais qui, au fond, se ressemblent énormément dans leur façon de gouverner leurs pays respectifs.

C’est aussi un échec de l’Union africaine, grande productrice de communiqués de circonstance. Mais au sein de ce mastodonte administratif, trop nombreux sont ceux qui, parmi le personnel, sont plus concernés par leur per diem que par l’avenir de leur continent.

L’Union africaine (UA) comme la CEDEAO avaient aussi haussé le ton lors des coups d’État au Mali, en Guinée et au Burkina Faso. Cela n’a pourtant rien changé à la donne politique sur le terrain et les putschistes demeurent aux commandes dans ces pays.

Pire, devant le ton martial de la CEDEAO face au Niger, les militaires maliens et burkinabés ont déclaré conjointement qu’une intervention militaire au Niger [afin de] rétablir le président Bazoum serait considérée comme « une déclaration de guerre contre le Burkina Faso et le Mali, qui pourrait déstabiliser l’ensemble de la région », ajoutant « que toute intervention militaire contre le Niger entraînerait un retrait du Burkina Faso et du Mali de la CEDEAO ».

Quant à la Guinée, Conakry a dans un communiqué séparé, exprimé « son désaccord concernant les sanctions préconisées par la CEDEAO » et décidé de ne pas les appliquer, les considérant « illégitimes et inhumaines». La désunion de la CEDEAO est ainsi bel et bien entamée.

Enfin, si ces coups d’État reflètent avant tout une profonde défaillance socio-politico-économique des pays sahéliens, ce dernier putsch à Niamey souligne aussi l’échec cuisant de la politique française au Sahel.

C’est enfin un retour de bâton cinglant pour les leaders de la région qui, depuis les indépendances, se sont davantage concentrés sur leurs propres intérêts et ceux de la politique de l’Élysée que sur ceux de leurs populations respectives

Depuis des années, Paris ne cesse d’être critiqué pour sa politique paternaliste, militaire et arrogante dans la région. Après le retrait de Barkhane du Mali, Paris pensait trouver un allié de poids en déplaçant son contingent militaire au Niger, afin de poursuivre ses opérations militaires dans la région.

Le répit fut de courte durée, ce coup d’État et les manifestations hostiles à la France démontrant le contraire.

C’est aussi un échec cuisant pour Paris qui voit sa force du G5 Sahel – mort-née – s’écrouler à vue d’œil sans que la France ne puisse rien y faire.

C’est enfin un retour de bâton cinglant pour les leaders de la région qui, depuis les indépendances, se sont davantage concentrés sur leurs propres intérêts et ceux de la politique de l’Élysée héritée de Jacques Foccart, figure centrale de la Françafrique, que sur ceux de leurs populations respectives.

Chamboulement régional géostratégique

Mais plus encore, ces derniers événements démontrent, s’il en est encore besoin, qu’un chamboulement géostratégique est en train de s’opérer au Sahel.

Après des décennies de politique paternaliste, Paris n’a pas su (ou voulu) voir qu’un nouveau monde multipolaire se dessinait sous ses yeux et que sa présence au Sahel est de plus en plus contestée.

Cette arrogance s’entend encore aujourd’hui dans les propos du président Macron, pour qui ce coup d’État au Niger est « parfaitement illégitime », sous-entendant ainsi que d’autres putschs pourraient l’être, et ajoutant qu’il ne tolérera « aucune attaque contre la France et ses intérêts » et « interviendra de manière immédiate et intraitable ».

Toutefois, si la France est la grande perdante dans cette nouvelle donne géopolitique, les populations locales en seront, encore une fois, les premières victimes.

Car l’histoire démontre que les coups d’État n’ont jamais été de bon augure pour les populations. Et ce ne sont sûrement pas les suspensions d’aides publiques de la France et des actions de coopération de l’Union européenne qui pourraient apporter une quelconque solution pérenne aux Nigériens.

- Abdelkader Abderrahmane est chercheur au sein de l’Institut d’études de sécurité (ISS) de Pretoria et non resident senior fellow au sein de l’Atlantic Council.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Abdelkader Abderrahmane est chercheur en géopolitique et consultant international sur les questions de paix et de sécurité en Afrique
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