La reconnaissance du massacre du 17 octobre 1961, une étape clé pour la réconciliation des mémoires entre la France et l’Algérie
NdR : Sabrina Sebaihi, députée Europe Écologie-Les Verts-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (EELV-NUPES) des Hauts-de-Seine, compte proposer à l’Assemblée nationale une nouvelle résolution relative à la reconnaissance du massacre d’Algériens à Paris le 17 octobre 1961, après avoir été contrainte de retirer un premier texte en la matière en raison des réticences de la majorité présidentielle. Elle avait alors, en concertation avec le groupe écologiste, décidé de retravailler la résolution.
Plus de 60 ans après le massacre du 17 octobre 1961, aucun bilan officiel sur le nombre d’Algériens de France tués ce jour-là n’a été dressé. Aujourd’hui encore, le travail d’histoire et de mémoire se poursuit pour tenter de mettre des noms, des visages, des familles et des récits sur les disparus que l’on a longtemps omis de reconnaître.
Il y a plusieurs semaines, un travail d’écriture d’une proposition de résolution sur la reconnaissance de ce massacre a été engagé avec la majorité à l’Assemblée nationale. Il nous semble primordial d’avancer sur cette question mémorielle. Nous souhaitons donc rappeler au sein de cette tribune l’importance de la reconnaissance de ce massacre, mais aussi de son inscription à l’agenda des journées nationales et cérémonies officielles, dans un espoir d’apaisement de la mémoire collective.
Le 17 octobre 1961, en pleine guerre d’Algérie (1954-1962), plusieurs milliers d’Algériens qui manifestaient pacifiquement à l’appel du Front de libération nationale (FLN) contre le couvre-feu discriminatoire imposé aux seuls « Français musulmans d’Algérie » en région parisienne sont réprimés dans la violence.
Reconnaître les souffrances
Au lendemain de l’événement, le préfet de police Maurice Papon – condamné en 1998 pour « complicité de crimes contre l’humanité » du fait de son rôle dans la déportation de 1 690 personnes juives de la région bordelaise – évoque officiellement trois morts et dissimule l’ampleur de la répression. Il faudra attendre les années 1990 pour que l’histoire du 17 octobre se diffuse largement, grâce aux efforts des familles de disparus, d’associations, de militants et d’historiens.
Dans une démarche d’apaisement et de réconciliation des mémoires, cette proposition de résolution viserait à reconnaître les souffrances, qui demeurent vives pour les victimes et leurs proches. Ces mémoires enveloppent chacune des familles et des descendants dont la plaie n’a jamais entièrement guéri.
Cette résolution ne guérira pas les plaies béantes laissées par cet épisode sombre, mais permettra d’ancrer dans notre récit national le souvenir des injustices subies. Un pas, symbolique mais vital, vers un futur où le respect mutuel et la mémoire du passé s’unissent dans l’espoir d’une réconciliation apaisée et durable
Les manifestants ont en effet été victimes d’une répression meurtrière. Certains d’entre eux ont été jetés dans la Seine, tandis que d’autres, environ 12 000 personnes, ont été arrêtés, puis enfermés dans des centres de détention spécialement mis en place (Palais des sports, stade Coubertin ou encore Parc des expositions).
Dans une note en date du 28 octobre 1961, Bernard Tricot, alors conseiller du général De Gaulle [président de la République à l’époque des faits] pour les affaires algériennes, décrit la violence exercée par les forces de l’ordre : « Il y aurait 54 morts [...] Ils auraient été noyés, les autres étranglés, d’autres encore abattus par balles. Les instructions judiciaires ont été ouvertes. Il est malheureusement probable que ces enquêtes pourront aboutir à mettre en cause certains fonctionnaires de police. »
Ces violences illégales n’ont cependant jamais fait l’objet de poursuites judiciaires, les faits ayant été amnistiés à la suite de l’ordonnance du 14 avril 1962. La reconnaissance du massacre s’inscrit donc dans une démarche de réconciliation des mémoires de la guerre d’Algérie, en poursuivant le travail d’analyse de l’histoire commune des deux pays.
Dans la continuité du travail mémoriel
La violence de la répression subie par les manifestants a été reconnue par une résolution adoptée au Sénat en octobre 2012 ainsi que par les déclarations de deux présidents de la République.
En 2012, François Hollande déclare que « la République reconnaît avec lucidité ces faits » qu’il qualifie de « sanglante répression », tandis qu’Emmanuel Macron affirme en 2021 que « les crimes commis [le 17 octobre 1961] sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République. La France regarde toute son Histoire avec lucidité et reconnaît les responsabilités clairement établies ».
En actant pleinement la reconnaissance du massacre au travers de cette résolution, l’Assemblée nationale s’inscrirait dans la continuité du travail mémoriel que la France a initié il y a de nombreuses années.
Cette résolution ne se veut pas seulement un acte de reconnaissance, elle est également un vecteur de soutien à un examen minutieux et conjoint de notre histoire partagée avec l’Algérie. La perspective envisagée est celle d’une entente renouvelée entre nos nations, qui transcende les erreurs et les souffrances du passé en misant sur une coexistence harmonieuse et une coopération fructueuse pour les générations à venir.
L’objet de cette proposition de résolution est aussi de faire du 17 octobre une journée de commémoration pour la mémoire des victimes à travers son inscription à l’agenda des commémorations officielles. Des cérémonies sont déjà organisées dans plusieurs villes d’Île-de-France et le président de la République s’est d’ailleurs joint à celle de Paris en 2021.
La commémoration du 17 octobre permet d’insister sur la singularité de ce massacre, longtemps méconnu et confondu avec celui de Charonne en 1962 [répression dans un métro parisien d’une manifestation contre l’Organisation armée secrète (OAS) et la guerre d’Algérie, faisant neuf morts], et de veiller à ce que son récit soit correctement entendu et compris par les jeunes générations.
Elle se distingue de ce fait d’autres temps de recueillement tout aussi nécessaires, tels que celui du 19 mars [journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc].
S’orienter vers la reconnaissance de la tragédie du 17 octobre 1961 n’est pas un acte de clôture, mais une étape déterminante dans le laborieux processus de la mémoire collective et réparatrice.
Cette résolution ne guérira pas les plaies béantes laissées par cet épisode sombre, mais permettra d’ancrer dans notre récit national le souvenir des injustices subies. Un pas, symbolique mais vital, vers un futur où le respect mutuel et la mémoire du passé s’unissent dans l’espoir d’une réconciliation apaisée et durable entre toutes celles et tous ceux qui partagent aujourd’hui le sol de la France.
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