Tunisie : un rapport dénonce une « violence institutionnelle quotidienne » contre les migrants
« Aujourd’hui, les personnes migrantes à El Amra [près de Sfax, à l’est de Tunis] vivent dans la terreur. Tous connaissent au moins une personne déportée en Libye ou déplacée en Algérie. »
Des entretiens avec des responsables d’organisations internationales et d’ONG, des activistes indépendants, des chercheurs et des journalistes, l’analyse de rapports, de vidéos, d’images satellite, de témoignages écrits… ont permis à l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), basée à Genève, de publier lundi 18 décembre un rapport choc : « Les routes de la torture », une cartographie des violations subies par les migrants en Tunisie.
L’étude de 58 pages, qui cite des témoignages directs et d’ONG partenaires, pointe du doigt « la responsabilité » des autorités tunisiennes dans « les violations commises sur le territoire, y compris les zones frontalières ».
Elle note que le pays est sous « la pression continue de l’Europe pour réduire la migration irrégulière en Méditerranée ».
En juillet, l’Union européenne avait espéré une collaboration de la Tunisie en matière de lutte contre l’immigration clandestine en échange de fonds.
Mais début octobre, le gouvernement tunisien a annoncé qu’il refusait des fonds alloués par l’UE, notamment une aide budgétaire et une aide pour la gestion des flux migratoires, la jugeant dérisoire par rapport à l’esprit et au texte de l’accord de juillet.
« Conditions de vie inhumaines »
Selon l’OMCT, les « violations des droits humains » avaient déjà connu « une intensification progressive » après un discours en février du président Kais Saied.
Lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale, il avait évoqué l’arrivée de « hordes de migrants clandestins » dont la présence en Tunisie est selon lui source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables », insistant sur « la nécessité de mettre rapidement fin » à cette immigration.
Il avait soutenu que cette immigration clandestine relevait d’une « entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie », afin de la transformer en un pays « africain seulement » et estomper son caractère « arabo-musulman ».
Mais selon l’ONG, « un changement profond au niveau institutionnel » s’est opéré cet été, caractérisé « par des expulsions illégales et forcées » de personnes de leurs logements, « des déplacements forcés et la mise en place de lieux de privation de liberté », ainsi que des « déportations et expulsions » vers Libye et Algérie, devenues « plus structurées » et « régulières » depuis septembre.
En juillet, après la mort d’un Tunisien lors d’une rixe avec des ressortissants d’Afrique sub-saharienne à Sfax (centre-est), des centaines d’entre eux ont été conduits à bord de cars dans des zones désertiques dans le sud tunisien, pour certains d’entre eux près de la frontière avec la Libye et pour d’autres celle de l’Algérie. De nombreux migrants étaient arrivés illégalement en Tunisie depuis ces deux pays.
« En quelques jours, plus d’un millier de personnes ont été déplacées vers des zones désertiques aux frontières avec la Libye et l’Algérie », souligne le rapport, intitulé « Les routes de la torture » qui fustige une violation des traités internationaux signés par la Tunisie.
« Depuis juin, au moins 5 500 migrants ont été expulsés vers la Libye et plus de 3 000 vers l’Algérie », dont une centaine ont péri sur la frontière tuniso-libyenne, selon des sources humanitaires internationales à l’AFP. Ces « expulsions » ont été dénoncées par l’ONU, mais démenties par les autorités tunisiennes.
Par ailleurs, selon l’OMCT, « les conditions de vie inhumaines auxquelles sont soumis les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile », concentrés par milliers ces derniers mois dans des campagnes près de Sfax « peuvent constituer de la torture et des mauvais traitements ».
« Les entretiens et l’analyse de sources photos et vidéos ont confirmé que les violences se sont accompagnées de pratiques d’humiliation, des hommes d’origine subsaharienne étant battus et forcés d’entonner des chants et slogans à la gloire de la Tunisie, entourés de civils armés et violents. Plusieurs attaques à l’arme blanche [comme des machettes et des poignards] ont été confirmées par l’analyse de sources vidéo », précise le rapport.
L’ONG s’inquiète plus généralement de « l’incapacité des autorités tunisiennes à protéger » ces personnes, pointant « des conditions de vie indignes, sans accès aux services de base, à l’emploi et à des sources de revenus ».
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