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Une députée palestinienne interdite de candidature aux élections israéliennes

En interdisant la candidature d’Hanin Zoabi pour avoir « soutenu la lutte armée », les partis politiques ignorent les objections du haut magistrat
La candidature d’Hanin Zoabi a déjà été interdite par le passé, malgré une décision contraire de la Cour suprême (AFP).

NAZARETH, Israël – Jeudi dernier, la Commission électorale centrale (CEC) d’Israël a interdit à Hanin Zoabi, l’une des principales figures politiques arabes d’Israël, de se présenter comme députée lors des élections générales qui se tiendront dans le pays le mois prochain.

Cette décision est soutenue par l’ensemble des principaux partis politiques, qui dominent la commission.

Israel Beytenou, le parti du ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman, a remis un dossier de cinquante pages dans lequel sont repris des propos d’Hanin Zoabi qui prouveraient son soutien à la lutte armée menée par les ennemis d’Israël et son opposition à l’identité d’Israël en tant qu’Etat juif et démocratique.

Hanin Zoabi, membre du Parlement israélien, la Knesset, se présente au sein de la coalition des partis arabes récemment annoncée sous le nom de Liste commune. C’est la première fois que tous les partis arabes siégeant à la Knesset ont décidé d’unir leurs forces et de se présenter sur une même liste.

Une pétition réclamant la disqualification de la candidate a également été déposée par le Likoud, le parti au pouvoir du Premier ministre Benyamin Netanyahou.

Le Camp sioniste, le deuxième parti le plus important après celui de Netanyahou, positionné au centre gauche de l’échiquier politique, s’est également prononcé contre la candidature de la députée — une décision qui a scellé le sort d’Hanin Zoabi devant la commission.

La députée a accusé la commission de « persécution politique ».

« Les partis juifs sont en train de fabriquer une image de moi qui ne correspond pas à la réalité, dans le but de dresser l’opinion publique contre moi et les citoyens que je représente », a-t-elle affirmé à Middle East Eye. « Selon eux, nous n’avons pas notre place à la Knesset, ni même dans le débat public. Ceci alimente le climat de racisme dans le pays. »

Lorsqu’elle a pris la parole, Hanin Zoabi a été interrompue par des cris qui scandaient : « Vous avez le sang de nos soldats sur les mains ».

Elle a répondu à la commission en ces termes : « Pourquoi ceux qui prônent la mort et la destruction, l’expropriation des terres, et la mort des habitants de Gaza ne sont-ils pas devant cette commission ? Ceux qui essayent de me faire barrage, ce sont eux qui devraient être ici. »

Aucun parti majoritaire n’a pas pris en compte l’avis du procureur général, Yehuda Weinstein, qui a indiqué mercredi soir l’absence de raisons légales permettant d’interdire à Hanin Zoabi de se présenter.

Recours en appel

Mais la députée n’en est pas à sa première disqualification par la CEC. La commission avait déjà empêché sa candidature lors des précédentes élections, il y a deux ans, mais la décision avait été cassée en appel par la Cour suprême israélienne.

Madame Zoabi est l’une des onze députés issus des partis qui représentent la minorité des quelque 1,5 million de citoyens palestiniens en Israël. Il s’agit des Palestiniens qui sont restés sur leur terre après 1948, ils représentent aujourd’hui un cinquième de la population israélienne. La Knesset est composée de 120 sièges.

La droite a placé l’expulsion d’Hanin Zoabi de la Knesset — et d’Israël —  au cœur de la campagne, en insinuant qu’elle et d’autres députés arabes étaient des agents de l’étranger. L’un des slogans de campagne du parti Israel Beytenou est « Hanin retourne à Jénine », faisant référence à la ville palestinienne située en Cisjordanie, non loin de Nazareth, où elle réside.

La Liste commune a immédiatement annoncé son intention de faire appel auprès de la Cour suprême contre la disqualification de la candidate. La prochaine audience se tiendra probablement la semaine prochaine.

Adalah, le cabinet d’avocats de la minorité arabe en Israël qui représente Hanin Zoabi, dit espérer que les juges casseront la décision de la CEC, comme ils l’avaient fait en 2013.

Dans un communiqué, Adalah ajoute que les éléments de charge contre la députée sont « triviaux et s’inscrivent dans un discours raciste contre les représentants arabes palestiniens qui siègent à la Knesset. »

Même si les experts juridiques soulignent qu’aucune base légale ne permette de disqualifier la députée, Hanin Zoabi craint que les juges soient influencés par le climat politique actuel. « Nous allons voir s’ils résistent à la pression », confie-t-elle.

En décembre dernier, la cour a surpris de nombreux observateurs en refusant de casser une décision prise par la Knesset visant à suspendre Hanin Zoabi de ses fonctions parlementaires pendant une période record de six mois. Les parlementaires lui avaient reproché ses déclarations pendant l’opération militaire « Bordure protectrice » de l’été dernier, lorsque les attaques israéliennes contre la bande de Gaza allaient en s’amplifiant.

La cour, dont la juge Miriam Naor a récemment été nommée présidente, a publié mercredi dernier ses arguments, indiquant qu’Hanin Zoabi « était allée trop loin » dans ses propos, notamment en appelant à imposer un « blocus » diplomatique sur Israël.

La « loi Zoabi »

Si la cour ne tient pas compte de l’avis de la commission électorale, l’aile droite a menacé de renverser la décision par le biais d’une législation dont l’avancée avait été bloquée par la dissolution de la Knesset en décembre.

Cette législation, connue sous le nom de « loi Zoabi » et soutenue par Benyamin Netanyahou, permettrait à une majorité de législateurs de voter l’expulsion de tout membre de l’assemblée qui aurait, selon eux, exprimé son soutien à une organisation terroriste.

Pour l’auteur de ce projet de loi, Danny Danon du Likoud, l’objectif est de « s’assurer qu’elle [Hanin Zoabi] ne puisse plus siéger à la Knesset ».

Hanin Zoabi s’est vue attribuer le statut d’ennemi public numéro 1 en 2010, lorsqu’elle a pris part à la flottille Mavi Marmara portant secours aux habitants de Gaza. La marine israélienne avait intercepté le bateau dans les eaux internationales au cours d’une intervention qui fit neuf morts, dont huit militants turcs. Sa participation est à l’origine de la décision de la commission électorale visant à disqualifier la députée en 2013.

Depuis l’été dernier, l’opposition à sa présence sur les bancs de la Knesset est de plus en vigoureuse.

La commission électorale a émis sa décision en s’appuyant sur les mêmes conclusions qui avaient entraîné sa suspension de la Knesset en juillet dernier, en pleine opération « Bordure protectrice ».

Ces conclusions faisaient état d’une interview qu’elle avait donnée à la radio un mois auparavant et dans laquelle elle refusait de qualifier de « terroristes » les Palestiniens à l’origine de l’enlèvement et de l’assassinat de trois adolescents israéliens issus de communautés de colons en Cisjordanie. La plupart des médias israéliens avaient alors coupé le passage où elle critiquait l’enlèvement des victimes.

Au cours du conflit de Gaza qui dura cinquante jours l’été dernier, la députée de quarante-cinq ans avait également plaidé pour la mise en place sur Israël de ce que les médias israéliens avaient appelé un « siège ». Bien qu’Hanin Zoabi et plusieurs linguistes aient par la suite précisé que le terme qu’elle avait utilisé en arabe faisait référence à une isolation diplomatique, et non à un siège militaire, la Cour suprême et les partis de droite ont soutenu qu’elle appelait à un assaut militaire contre Israël.

Madame Zoabi est également poursuivie en justice pour avoir insulté deux policiers arabes en dehors du tribunal, les accusant de « traîtres ».

Des appels au boycott de plus en plus pressants

La disqualification d’Hanin Zoabi survient au moment où les quatre partis arabes qui siègent à la Knesset s’efforcent de trouver un nouvel élan. Lors des dernières élections, ils ont été la cible d’attaques toujours plus offensives au sein et à l’extérieur de leur communauté.

Désormais, les hommes politiques israéliens de droite ont pris l’habitude de décrire les députés arabes comme des « terroristes » et des « traîtres » et remettent en cause leur droit de siéger à la Knesset, voire leur citoyenneté israélienne.

Pendant ce temps, des voix de plus en plus vives se sont élevées au sein de la minorité palestinienne en faveur du boycott des élections parlementaires. Au cours des deux derniers scrutins de 2009 et de 2013, à peine plus de la moitié de l’électorat arabe s’était déplacée pour aller voter - une baisse vertigineuse du taux de participation observée depuis les années 1990.

Selon Mohammed Zeidan, directeur de l’Association des droits de l’homme basée à Nazareth, il semble qu’un nombre croissant de citoyens palestiniens estiment qu’en raison du virage à droite de la sphère politique actuelle, la Knesset « n’est pas le meilleur endroit pour faire progresser les droits des minorités ».

Les quatre principaux partis arabes ont traversé une crise majeure l’année dernière lorsque la Knesset a fait passer une loi visant à relever le seuil électoral d’entrée à la Knesset de 2 à 3,25 %. Beaucoup pensent que ce taux aurait été choisi délibérément pour empêcher que l’un des quatre partis puisse obtenir assez de voix pour se faire élire.

Dès l’annonce de la tenue d’élections anticipées à la fin de l’année dernière, les partis arabes se sont engagés dans de longues négociations en vue de créer une liste commune. Selon certaines sources, des affrontements personnels et des différences idéologiques très anciennes entravaient le bon déroulement des débats. Les socialistes, les nationalistes et les partis qui appartiennent à des courants plus islamistes ont pris part aux négociations.

Toutefois, les divers partis ont annoncé le mois dernier qu’ils s’étaient mis d’accord pour présenter une coalition unique aux élections.

« C’est la première fois que les partis coopèrent », déclare Mohammed Zeidan. Son organisation a publié cette semaine un rapport, intitulé « Pushed out of the Margins » (« Marginalisés »), qui souligne l’impact de la campagne électorale sur les partis arabes.

Mise à l’épreuve pour la liste commune

Si la disqualification d’Hanin Zoabi est confirmée par la cour la semaine prochaine, ce sera une première épreuve à surmonter pour la Liste commune. Les autres partis arabes chercheront-ils activement à soutenir la députée ? Ou iront-ils même jusqu’à refuser de se présenter si elle est disqualifiée ?

Jusqu’à présent, la question de savoir quelles seraient les mesures que prendrait la coalition si la cour maintenait l’interdiction a été évitée, preuve des divisions internes. Jamal Zahalka, à la tête du parti Balad dont fait partie Hanin Zoabi, a cependant précisé qu’« une réponse » serait apportée à cette question.

Mais le regroupement des partis a aussi ses bons côtés. La Liste commune cite des sondages indiquant que cette entente permettrait d’impulser un nouveau regain de citoyenneté chez les électeurs, et d’obtenir une représentation à l’assemblée pouvant allant jusqu’à quinze sièges, faisant ainsi de la coalition le troisième ou quatrième plus grand parti de la Knesset.

Signe que la coalition a un impact sur les calculs électoraux : cheikh Raed Salah, l’influent leader du Mouvement islamique implanté dans le nord du pays, qui ne participe pas aux élections de la Knesset, aurait levé son appel au boycott du suffrage.

Le Camp sioniste centriste aurait également besoin du soutien de la Liste commune s’il veut avoir une chance de battre Benyamin Netanyahou pour former le prochain gouvernement. Pour l’heure, les deux partis semblent croire qu’un tel accord serait souhaitable, mais aucun d’eux ne l’a exprimé explicitement. 

Ian Lustick, spécialiste de la politique israélienne à l’université de Pennsylvanie, soulignait dans son blog que la position initialement adoptée par le Camp sioniste en faveur de la disqualification d’Hanin Zoabi traduisait son intention de ne pas trop s’éloigner du consensus à droite plutôt que de chercher à rejoindre la liste arabe.

Le parti a pris « position pour un ‘’gouvernement d’unité nationale’’ impliquant une alternance du pouvoir entre l’actuel Premier ministre Benyamin Netanyahou et le dirigeant du Camp sioniste, Isaac Herzog », poursuit-il.

En privé, les dirigeants de la coalition font valoir que, même dans l’hypothèse où le Camp sioniste chercherait à obtenir le soutien de la Liste commune, il n’y a aucune chance que les députés palestiniens puissent trouver un terrain d’entente avec un parti qui donne la priorité à un agenda politique sioniste.

La liste commune s’est vue reprocher d’avoir tardé à diffuser son programme ou à organiser des manifestations communes et à lancer sa campagne d’affichage. Le lancement de la campagne est prévu ce week-end à Nazareth, avec pour slogan : « La volonté du peuple ».

Sa campagne en hébreu, elle, a débuté à Tel Aviv mercredi soir, sur le thème : « Ma réponse au racisme ».

Ayman Odeh, tête de liste, a souligné que la priorité de la coalition consisterait à faire progresser l’égalité, la justice sociale et les droits nationaux pour les citoyens palestiniens. « Nous avons droit à l’égalité civile et nationale », ajoute-t-il. « Nous luttons depuis des décennies pour faire valoir ces droits ». 
 

Traduction de l'anglais (original).

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