Le doute plane sur la source des nouvelles révélations sur le nucléaire iranien
L'Iran, l'Union européenne et les Etats-Unis l’a qualifié de « secte » et d'« organisation terroriste » en plusieurs occasions. Cependant, le groupe Mujaheddin-e-Khalq (MEK), également connu sous le nom d'Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI), demeure l'un des plus anciens groupes d'opposition à la République islamique d'Iran encore en activité.
Dans le cadre de sa « coalition », le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), il s’est souvent employé à dévoiler les atrocités perpétrées par la République islamique d'Iran ainsi que des informations relatives à son programme nucléaire controversé.
Le CNRI a tenu mardi une conférence de presse à Washington pour annoncer qu'il disposait de preuves concernant une installation secrète, profondément enfouie en sous-sol dans la banlieue nord-est de Téhéran, qui serait utilisée pour enrichir de l'uranium.
Le CNRI a également publié un rapport détaillant ses conclusions, dans lequel il affirme que « bien que le régime iranien ait déclaré que l'ensemble de ses activités d'enrichissement d'uranium sont transparentes et menées sous la supervision de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), il a en réalité entrepris des activités de recherche et de développement à l'aide de centrifugeuses sophistiquées sur un site nucléaire clandestin portant le nom de Lavizan-3, dans une base militaire de la banlieue nord-est de Téhéran ».
Le CNRI affirme que ces informations émanent de « sources haut placées au sein du régime iranien ainsi que de personnes impliquées dans les projets de développement d'armes nucléaires ».
Le rapport conclut que « la conception selon laquelle les mollahs abandonneront leur programme de développement d'armes nucléaires au cours des pourparlers sur le sujet est erronée, et résulte de la duplicité des mollahs et de l'opportunisme économique et politique de l'Occident ».
« Ceux qui espèrent s'assurer de la coopération du régime dans la campagne de lutte contre le fondamentalisme en faisant des concessions aux mullahs sur la question du nucléaire augmentent non seulement les chances de voir l'Iran se doter d'armes nucléaires, mais contribuent également à l'expansion du fondamentalisme islamique. »
Ce n'est pas la première fois que le MEK dévoile des informations sur les projets nucléaires iraniens : en 2002, le CNRI avait annoncé publiquement avoir découvert des installations nucléaires secrètes à Arak et Natanz, ce qui aurait par la suite servi de point de départ à une enquête de l'AIEA et déclenché la polémique, toujours d'actualité, autour des véritables intentions de l'Iran en matière de nucléaire.
En 2004, il aurait également transmis aux services de renseignement allemands une série de documents semblant prouver l'existence d'une installation nucléaire à Lavizan ainsi que des activités d'enrichissement d'uranium dans le complexe militaire de Parchin.
Des révélations sur les pratiques d'espionnage israéliennes ont plus tard fourni des preuves suggérant que certains ou l'ensemble des documents avaient été transmis au groupe par les services secrets israéliens, le Mossad.
Selon certains rapports, la coopération entre ces deux groupes, qui ont pour ennemi commun la République islamique, comprendrait même des activités d'entraînement et d'armement.
Des méthodes « sectaires »
Le CNRI a été fondé en 1981 par le chef du MEK, Massoud Rajavi, en tant que « parlement en exil » englobant le MEK, le parti progressiste du Front national démocratique et le Parti démocratique du Kurdistan d'Iran.
Ces deux derniers groupes ont quitté le CNRI lors de la guerre Iran-Irak, révoltés par la position « pro-irakienne » du MEK, et abandonnant ainsi la coalition aux mains de l'organisation de Massoud Rajavi.
Le MEK a vu le jour en 1965 en tant qu'organisation « islamo-marxiste » de gauche ayant pour objectif de combattre la monarchie du Chah Mohammad Reza Pahlavi. Après avoir participé à la révolution de 1979 et au renversement du Chah, le groupe a été interdit par la République islamique de Rouhollah Khomeini.
Suite à son interdiction, l'organisation a lancé une guérilla contre la République islamique, allant jusqu'à soutenir Saddam Hussein lors de la guerre Iran-Irak.
Le MEK s'est, depuis, forgé une image d'organisation violente et souvent étrange. Selon le gouvernement iranien, le MEK serait responsable de la mort de 12 000 personnes, qui auraient péri lors d'attentats suicide, d'assassinats ou de raids armés.
Opérant principalement depuis le camp Liberty en Irak (et, avant 2013, depuis le camp de réfugiés d'Ashraf, également situé en Irak), le groupe a également fait les gros titres en raison de son mode d'organisation, souvent qualifié de « sectaire ».
D'anciens membres ont déclaré que l'affiliation au groupe était comparable à une sorte de lavage de cerveau.
« On imposait aux disciples une vision manichéenne, ceux-ci se coupaient de leur famille, et perdaient leur personnalité », a déclaré un ancien membre à Vice News.
« Je me souviens d'un exercice où nous devions décrire notre ancienne personnalité dans une colonne et notre nouvelle personnalité dans une autre. Je me rappelle que l'un des membres avait déclaré : ‘’mon frère travaille pour l'ambassade iranienne de Londres. Avant, je l'aimais comme mon frère. Désormais je le déteste comme un ennemi. Et je suis prêt à le tuer dès demain s'il le faut’’. Tout le monde avair applaudi. »
D'autres témoignages font état de divorces forcés, de déclarations publiques de fantasmes sexuels cachés et du culte vouée à son dirigeant, Massoud Rajavi. Il semblerait également que quitter le MEK soit plus facile à dire qu'à faire.
Un rapport publié par Human Rights Watch (HRW) en 2005 suggère que 70 % des résidents du camp d'Ashraf y étaient retenus contre leur gré.
Mais le MEK dispose d'une large base de soutien en Europe et en Amérique, notamment auprès d’hommes politiques de droite qui ne semblent pourtant pas être des alliés naturels de son idéologie « islamo-marxiste ».
David Amess, un député britannique conservateur, a régulièrement déposé des motions auprès du parlement britannique appelant à retirer le MEK de la liste des organisations terroristes.
Dans un article d'opinion publié dans le Washington Times, il qualifie le groupe de « principale opposition » en Iran.
« Le retrait de l'étiquette du terrorisme bénéficierait du soutien du Congrès », écrit-il. « Un groupe bipartite réunissant plus de quatre-vingt membres a coparrainé la résolution n°1431 du Congrès demandant explicitement la radiation de l'OMPI, "privant ainsi le régime d'un prétexte pour sévir contre les dissidents en Iran". »
« Il est ironique qu’alors que M. Ahmadinejad continue de fustiger les valeurs des Etats-Unis, ces derniers permettent le musèlement de la principale force d’opposition », ajoute-t-il.
En 2012, il fut également l'un des porte-parole du CNRI lors d'une conférence à Paris.
Suite au lobbying massif de partisans du MEK, dont David Amess, l'ancien maire de New York Rudy Guiliani, l'avocat Alan Dershowitz et de nombreux hommes politiques américains républicains et démocrates, le groupe a finalement été retiré de la liste des organisations terroristes en 2012.
A cette époque, l'ancien gouverneur du Vermont, Howard Dean, était même allé jusqu'à déclarer que la présidente élue par le MEK, Myriam Rajavi, devrait être reconnue en tant que dirigeante légitime de l'Iran.
« Pour moi, madame Rajavi n'a rien d'une terroriste. Elle ressemble davantage à une présidente, et son organisation ne devrait pas figurer sur la liste des organisations terroristes », a-t-il indiqué aux partisans du MEK.
« Nous devrions la reconnaître comme la présidente de l'Iran. »
Une « mauvaise source »
Bien que Fox News se soit empressée de relayer les allégations du CNRI, d'autres médias ont hésité à les mentionner, au point de s'attirer la réprobation de la publication de droite Jewish Press, qui a affirmé que l’information avait été « étouffée ».
L'absence de reportages sur ces allégations pourrait refléter l'inquiétude grandissante quant à la fiabilité du MEK en tant que source d'informations fiable sur les affaires internes de l'Iran.
« Leurs informations étaient parfois correctes, mais pas parce qu'ils disposent réellement de sources au sein du gouvernement iranien », a précisé le journaliste d'investigation Gareth Porter à Middle East Eye.
« Je n'ai pas passé en revue tous les cas où ils ont fourni publiquement des informations ou les ont transmises à des gouvernements étrangers, dont les Etats-Unis, et où celles-ci se sont avérées inexactes après vérification par l'AIEA, mais cela représente un pourcentage extrêmement élevé. »
Selon Mohamed el-Baradei, alors directeur de l'AIEA, après avoir visité les installations d'Arak et de Natanz, l'une des équipes de l'AIEA avait également « visité trois sites dans un complexe industriel de Kolahdouz, à l'ouest de Téhéran, qui avait été décrit dans des rapports publics comme étant impliqué dans des activités d'enrichissement » et n'avait trouvé aucun « signe d'activités impliquant l'utilisation de matières nucléaires ».
Paul Kerr, du site Web Arms Control Wonk, a indiqué en 2005 que, selon des sources internes à l'AIEA, d'autres enquêtes de cette dernière, basées sur les preuves fournies par le MEK, n'avaient pas abouti.
Il a également signalé que, contrairement à la croyance populaire, les agences de renseignement américaines connaissaient l'existence des sites nucléaires d'Arak et de Natanz avant les révélations du MEK. Le MEK a également classifié à tort le site de Natanz en tant qu'« usine de production de carburant ».
« Les informations de ce groupe permettent souvent d'attiser les ardeurs des hommes politiques de droite et de minimiser les interventions diplomatiques de l’UE3 [France, Allemagne, Royaume-Uni] auprès de Téhéran, mais il est probablement judicieux de ne pas trop miser sur ces exilés pour obtenir des renseignements », a-t-il précisé.
Pour Gareth Porter, la communauté américaine du renseignement est divisée quant à l'utilisation du MEK comme source crédible d'informations concernant les capacités nucléaires iraniennes.
« Des éléments probants montrent que le MEK était simplement une mauvaise source d'informations pour l'armée américaine. La CIA avait manifestement recueilli ses renseignements et les avait examinés à la lumière de nombreuses autres informations. Certains membres de la CIA les considérait comme fiables et très bons, d'autres estimaient que c’était de mauvaises sources », a-t-il affirmé.
« Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elles étaient controversées. »
La démarche du CNRI/MEK consistant à dévoiler davantage d'informations, authentiques ou non, sur les capacités nucléaires de l'Iran est probablement destinée à entraver les négociations avec le « P5 + 1 » visant à limiter le programme nucléaire iranien.
« Evidemment, toute suggestion d'amélioration des relations entre les Etats-Unis et l'Iran rend le MEK nerveux », précise Gareth Porter.
« A long terme, il essaie manifestement de gagner le soutien des gouvernements occidentaux pour renverser le régime et s'emparer du pouvoir. C'est là son but ultime. »
Traduction de l'anglais (original).
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