EXCLUSIF : L’envoyé spécial américain Robert Malley évincé par une conspiration d’opposants à l’accord sur le nucléaire iranien
En Iran, des radicaux opposés au retour aux accords de Vienne de 2015 ont coopéré avec des individus aux États-Unis pour écarter l’envoyé spécial américain pour l’Iran, Robert Malley, indiquent des sources directement au fait de la situation à Middle East Eye.
Robert Malley menait les efforts de l’administration Biden pour ressusciter cet accord avant d’être placé en congé administratif fin juin.
Cet ancien cadre de l’administration Obama avait contribué à rédiger l’accord de 2015 et, avant cela, avait été impliqué dans les efforts vains du président Bill Clinton pour négocier la paix entre Israéliens et Palestiniens.
Cependant, le 29 juin, après des semaines d’inactivité, Malley a été placé en congé sans solde.
Celui-ci avait déclaré à des collègues qu’il prenait un congé prolongé pour raisons familiales, mais son habilitation de sécurité a été suspendue au premier semestre.
Les efforts déployés pour raviver le Plan d’action global conjoint (JCPOA), moribond depuis que Washington s’en est retiré sous la présidence de Donald Trump en 2018, montraient des signes prometteurs en septembre dernier, lorsque les États-Unis ont engagé le dialogue avec l’Iran pour tenter d’apaiser les tensions.
Ces discussions avaient pour objectif de définir des étapes pour limiter le programme nucléaire iranien, assurer la libération de citoyens américains détenus par la République islamique et dégeler certains actifs iraniens à l’étranger.
« La situation autour de Malley est sans précédent : des radicaux hostiles à l’accord influents à Téhéran ont collaboré avec les cercles hostiles à l’accord aux États-Unis »
- Source de MEE à Téhéran
Cependant, alors même qu’on signalait que l’Iran et les États-Unis étaient proches d’un accord temporaire qui lèverait certaines sanctions en échange de la réduction par l’Iran de ses activités d’enrichissement d’uranium, Malley a disparu des radars.
Des sources à Téhéran rapportent à Middle East Eye que le renvoi de Malley a réjoui à la fois les radicaux à Téhéran et ceux aux États-Unis qui s’opposent à un retour à l’accord.
Une source à Téhéran explique à MEE que « certains radicaux et autres éléments influents à Téhéran et en dehors du gouvernement, sans que le président Ebrahim Raïssi le sache et y consente, ont coopéré avec des cercles hostiles à l’accord à [Washington] D.C. pour inventer de fausses informations à propos de Malley ».
Cette source n’a pas développé les fausses informations en question mais a fait référence à un article dans le quotidien pro-gouvernement Tehran Times qui affirmait que Malley avait mal traité des documents classifiés, affirmant que cela s’inscrivait dans un plan ou puzzle plus vaste.
« La situation autour de Malley est sans précédent : des radicaux hostiles à l’accord influents à Téhéran ont collaboré avec les cercles hostiles à l’accord aux États-Unis », selon cette source. « Ils semblent vouloir empêcher la concrétisation de tout accord potentiel entre Téhéran et Washington. »
« Ce n’est pas la première fois sous le mandat de Raïssi que les radicaux en Iran cherchent à saboter cet accord », poursuit la source. « On a déjà eu des précédents de radicaux hostiles à l’accord à Téhéran qui ont entravé les progrès et tout accord. »
Toujours selon cette source, le gouvernement iranien est désormais au courant que des éléments à Téhéran cherchent à contrecarrer un accord.
Une autre source iranienne bien placée précise que ce sont les radicaux iraniens qui ont initié le contact avec les Américains.
Contacts « inappropriés »
L’article du 10 juillet du Tehran Times soutient que Malley a eu des contacts « inappropriés » avec divers cercles et individus, notamment des Iraniens impliqués dans la diplomatie de Washington envers l’Iran.
Selon le journal, dans le cadre de sa mission, Malley était en contact régulier avec des diplomates et spécialistes iraniens qui apparaissent souvent dans les médias du pays.
Alors que Malley cherchait à faire avancer ses politiques en Iran, ces individus avaient leur propre programme, fait valoir le quotidien. Leur « empreinte ces dernières années [se verrait] clairement dans la diplomatie de Washington à l’égard de Téhéran ».
Le journal suggère également que Malley « n’a pas respecté le principe de précaution dans ses interactions avec ces individus et a abordé certains points qu’il n’était pas autorisé à discuter ».
Dans un autre article du 16 juillet, le Tehran Times affirme là encore que « le principal problème de Malley provient de ses discussions secrètes avec l’ambassadeur iranien à l’ONU Saeid Iravani et ses rencontres avec certaines personnalités irano-américaines aux États-Unis ».
The Washington Free Beacon, média américain de droite profondément opposé à l’accord sur le nucléaire, a fait écho à ces allégations le 26 juillet, suggérant lui aussi que Malley avait mal géré des informations confidentielles.
« Si Malley a mal rangé un document ou n’a pas assuré la sécurité d’une information, la section de la sécurité diplomatique du département d’État pourrait révoquer son habilitation de sécurité dans l’attente d’une enquête, selon d’anciens et actuels responsables du gouvernement », écrit le média.
The Washington Free Beacon a cité des sources qui prétendent que Malley aurait pu divulguer des informations confidentielles à un réseau de supposés défenseurs de Téhéran qui soutenaient l’accord sur le nucléaire iranien de l’administration Obama.
Selon cet organe de presse, ces défenseurs étaient briefés régulièrement par Malley et d’autres parties prenantes impliquées dans l’accord originel afin de renforcer les arguments de l’administration.
Depuis, des articles dans la presse américaine affirment que le FBI enquête sur le porte-parole de l’administration Biden en Iran, tandis que le département d’État a retiré la photo et la biographie de Malley de son site.
MEE a sollicité une réaction du département d’État, mais n’avait pas obtenu de réponse au moment de publication.
Rôle des républicains ?
Une source haut placée à Téhéran qui connaît bien les négociations entre l’Iran et les États-Unis indique que Malley a « affirmé que sa suspension [était] le résultat d’efforts de certains républicains ».
« Malley a dit à l’ambassadeur iranien Saeid Iravani que sa suspension n’était pas grave et qu’il reviendrait sous peu », selon cette source.
« Les nouvelles allégations selon lesquelles Malley n’était pas autorisé à parler à Iravani sont absurdes »
– Source de MEE à Téhéran
« Les nouvelles allégations selon lesquelles Malley n’était pas autorisé à parler à Iravani sont absurdes car ces deux hauts responsables en Iran et aux États-Unis étaient parfaitement au courant des négociations, et avaient donné l’autorisation à leurs représentants de discuter ensemble. »
Au Congrès, des républicains s’en sont pris à plusieurs reprises aux efforts déployés par Malley pour ressusciter l’accord de Vienne, certains accusant le quinquagénaire d’avoir des sympathies « radicales » à l’égard du gouvernement iranien et une hostilité envers Israël.
Le mois dernier, le républicain Mike McCaul, président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants, a fait allusion à la possibilité que Malley puisse avoir commis une trahison s’il a fourni des secrets d’État à un adversaire des États-Unis.
« Il n’y a aucune preuve de cela, mais s’il l’a fait, ce serait une trahison à mon avis », a déclaré McCaul à propos de Malley.
Quelles que soient les causes de la mise sur la touche de Malley, les opposants à l’accord sur le nucléaire iranien approuvent cette décision.
L’agence de presse officielle iranienne IRNA (dirigée par des proches de l’influent radical contre l’accord Saeed Jalili) estime que le renvoi de Malley est « significatif » et coïncide avec la résolution de certains problèmes entre l’Iran et l’Agence internationale de l’énergie atomique.
L’IRNA ajoute que le renvoi de Malley pourrait indiquer que le gouvernement américain prend des mesures pour limiter les activités de certaines personnalités afin de conclure des accords avec Téhéran.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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