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Il ne faut pas laisser l’entreprise de sabotage israélienne tuer l’accord sur le nucléaire iranien

Les puissances mondiales doivent repenser leur approche actuelle vis-à-vis du plan d’action conjoint et repousser les efforts déployés par Israël pour empêcher tout accord diplomatique
Le président iranien Ebrahim Raïssi affirme qu’une relance de l’accord de 2015 avec les puissances mondiales est « dénuée de sens » si l’organisme de surveillance nucléaire de l’ONU ne met pas un terme à une enquête visant le pays, le 29 août 2022 (AFP)
Le président iranien Ebrahim Raïssi affirme qu’une relance de l’accord de 2015 avec les puissances mondiales est « dénuée de sens » si l’organisme de surveillance nucléaire de l’ONU ne met pas un terme à une enquête visant le pays, le 29 août 2022 (AFP)

Le 12 septembre, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a déclaré qu’il était « peu probable » que les États-Unis et l’Iran parviennent à un nouvel accord sur le nucléaire dans un avenir proche. 

Les négociations entre l’Iran et les puissances mondiales pour relancer l’accord sur le nucléaire iranien, ou plan d’action conjoint, ont du mal à sortir de l’impasse. 

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Lundi 26 septembre, le chef de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique (OIEA) Mohammad Eslami a rencontré lundi à Vienne le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) Rafael Grossi, après plusieurs mois sans contact.

Le rapport de l’AIEA du 6 septembre indiquait qu’« aucun progrès » n’avait été réalisé dans la résolution des questions relatives aux traces passées de matériel nucléaire dans les trois sites non déclarés de l’Iran.  

« La position de l’Iran [sur l’enquête de l’AIEA] n’est pas conforme à ses obligations juridiquement contraignantes et compromet les perspectives de rétablissement du [plan d’action conjoint] », relevait le dernier communiqué en date du groupe de puissances européennes composé de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni. 

Behrouz Kamalvandi, porte-parole de l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran, a répondu que l’Iran avait pleinement coopéré en ce qui concerne les trois sites présumés et envoyé des informations et des réponses aux questions de l’AIEA.

« L’AIEA ne doit pas porter de jugement sur le programme nucléaire iranien sur la base de documents fabriqués de toutes pièces, fournis par le régime israélien selon des objectifs politiques spécifiques », a-t-il déclaré.

 « Aucune indication crédible d’activités »

Une feuille de route a été signée entre l’Iran et l’AIEA juste après la conclusion de l’accord sur le nucléaire et a permis de finaliser l’évaluation de questions relatives à la « possible dimension militaire » du programme nucléaire iranien en décembre 2015, avant la mise en œuvre du plan d’action conjoint en janvier 2016.

« L’agence ne dispose d’aucune indication crédible d’activités en Iran en rapport avec le développement d’un dispositif explosif nucléaire après 2009. Elle n’a pas non plus trouvé d’indications crédibles d’un détournement de matières nucléaires en rapport avec les éventuelles dimensions militaires du programme nucléaire iranien », a conclu l’AIEA.

Depuis le début des pourparlers sur le nucléaire, Israël fait tout pour empêcher la résolution de la question nucléaire iranienne par la voie diplomatique

En mai 2018, l’ancien président Donald Trump s’est retiré du plan d’action conjoint : il a imposé à nouveau les sanctions les plus strictes au monde et poursuivi sa politique de « pression maximale » contre l’Iran. Un an plus tard, l’Iran a réagi en augmentant sa capacité de production d’uranium et ses niveaux d’enrichissement.

Si les questions relatives à la dimension militaire ont été résolues dans le cadre de l’accord sur le nucléaire, en 2019, l’AIEA a invité l’Iran à répondre à des questions sur d’éventuelles activités et matières nucléaires non déclarées.

La question qui se pose est de savoir si les questions relatives aux garanties constituent l’obstacle majeur qui s’oppose à la relance du plan d’action conjoint.

Depuis le début des pourparlers sur le nucléaire, Israël fait tout pour empêcher la résolution de la question nucléaire iranienne par la voie diplomatique. 

En 2015, fait sans précédent, le Premier ministre israélien de l’époque Benyamin Netanyahou a insulté un président américain en exercice lors d’un discours au Congrès au sujet de l’accord sur le nucléaire qui se dessinait. 

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La cheffe de la minorité à la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a qualifié le discours du Premier ministre israélien d’« insulte au renseignement américain ». 

Netanyahou a revendiqué la décision de Trump de retirer les États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien. « Nous avons convaincu le président américain [de sortir de l’accord] et j’ai dû m’opposer au monde entier et me prononcer contre cet accord, nous n’avons pas abandonné », a déclaré Netanyahou.

Même sous l’administration américaine actuelle, Israël n’a manqué aucune occasion de subvertir la politique du président Biden visant à relancer le plan d’action conjoint.

Au cours de la dernière décennie, Israël a mené plusieurs opérations secrètes contre le programme nucléaire iranien. Qu’il s’agisse de sabotages, de bombardements et de cyberattaques comme celles de Stuxnet et Duqu, d’opérations d’espionnage et ou d’assassinats de scientifiques nucléaires iraniens, Israël a tout fait. 

Le pays « le plus inspecté »

Cela fait quarante ans qu’Israël mène une campagne de peur contre le programme nucléaire iranien. Depuis quatre décennies, Israël affirme de temps à autre que l’Iran n’est qu’à quelques années de la mise au point d’une bombe nucléaire.

Par exemple, en 1995, Netanyahou a soutenu que « d’ici trois ou cinq ans, l’Iran [serait] en mesure de produire une arme nucléaire ». 

En 2009, le général Yossi Baidatz, chef de recherche au sein des services de renseignement militaire israéliens, a déclaré que l’Iran disposerait d’une arme fonctionnelle au plus tard fin 2010.

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En 2013, des responsables des services de renseignement israéliens ont affirmé que l’Iran pourrait posséder une bombe nucléaire en 2015 ou 2016.

Par ailleurs, l’Iran se méfie fortement des relations étroites du directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi, avec Israël.

Dans un communiqué en mars 2020, l’Iran a réaffirmé que « les copies de documents présentées à l’Iran par l’agence comme base de ses demandes [n’étaient] ni authentiques ni liées aux sources ouvertes, mais plutôt présentées par le régime israélien comme ayant été acquises via une prétendue opération secrète. »

Le 3 juin 2022, Rafael Grossi s’est rendu en Israël pour rencontrer le Premier ministre et discuter du programme nucléaire iranien.

Juste après cette visite, le 9 juin, l’AIEA a adopté une résolution indiquant que l’Iran devait fournir des informations crédibles en réponse aux questions de l’AIEA. « La visite de Grossi en Israël est en décalage avec l’impartialité et le professionnalisme de l’AIEA », a martelé le ministre iranien des Affaires étrangères.

« Les Israéliens eux-mêmes pourraient avoir contaminé certains endroits par l’intermédiaire de leurs agents afin de bloquer l’accord et poursuivent peut-être ces opérations de sabotage secrètes »

- Une source iranienne

« L’Iran ne voit aucun problème à répondre à toutes les questions de l’AIEA », m’indique une source iranienne informée souhaitant conserver l’anonymat.

« Nous sommes prêts à signer une feuille de route similaire à celle de 2015 avec l’agence pour finaliser les questions techniques de l’AIEA dans les deux mois, dans la foulée de la signature de l’accord relancé. Dans le cas des sites contaminés, en comptant chaque milligramme d’uranium enrichi iranien, l’AIEA peut vérifier la vérité. »

Cette source poursuit : « Mais les Israéliens eux-mêmes pourraient avoir contaminé certains endroits par l’intermédiaire de leurs agents afin de bloquer l’accord et poursuivent peut-être ces opérations de sabotage secrètes. Mais nous ne devons pas laisser les Israéliens entraîner l’AIEA et les Iraniens dans un tel piège visant de maintenir indéfiniment le dossier nucléaire à l’ordre du jour de l’AIEA. »

Une issue prévisible

En 2011, sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, lors d’une conférence internationale, un ancien chef du Mossad a déclaré à un ambassadeur iranien : « Vous négociez avec les six puissances mondiales sur votre programme nucléaire, mais en fin de compte, ce sera à nous de décider du programme nucléaire iranien. » 

Israël a poussé Trump à se retirer du plan d’action conjoint, après quoi le stock d’uranium enrichi à 60 % de l’Iran a été estimé à 55,6 kg, une quantité qui permet à l’Iran de produire suffisamment de matière pour une bombe s’il le décide.

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La campagne menée par Israël pour contrecarrer la relance de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien est couronnée de succès. « Israël mène une campagne diplomatique fructueuse pour stopper l’accord sur le nucléaire et empêcher la levée des sanctions contre l’Iran », a déclaré le Premier ministre israélien Yair Lapid.

L’issue des tentatives de sabotage de la relance du plan d’action conjoint est cependant prévisible : davantage de pression et de sanctions contre l’Iran et, par conséquent, un stockage accru d’uranium hautement enrichi (potentiellement à 90 %) et un breakout time égal à zéro pour l’Iran. 

En cas de renvoi du dossier nucléaire iranien au Conseil de sécurité des Nations unies en vue d’un rétablissement de précédentes résolutions, l’Iran arrêtera probablement de se conformer au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Et en cas de frappe militaire, l’Iran s’orientera probablement vers la production d’une bombe nucléaire.

Les puissances mondiales doivent repenser leur approche actuelle. Israël est le seul pays du Moyen-Orient à posséder des bombes nucléaires, l’un des quatre pays au monde à ne pas autoriser les inspections de l’AIEA et n’est pas signataire du TNP. 

L’Iran ne fait pas partie de ces quatre pays, est signataire du TNP, ne possède pas d’armes nucléaires et est le pays le plus inspecté au monde par l’AIEA.

Plutôt que de tuer le plan d’action conjoint et de pousser l’Iran vers la bombe nucléaire, les puissances mondiales devraient s’efforcer de le relancer et pousser Israël à se conformer aux principes de l’accord afin de créer une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient, telle que voulue par l’Assemblée générale des Nations unies en 1974.

Seyed Hossein Mousavian est spécialiste de la sécurité au Moyen-Orient et de la politique nucléaire à l’université de Princeton. Il a anciennement dirigé la commission des relations étrangères du Conseil suprême de sécurité nationale iranien. Il est l’auteur de Iran and the United States : An Insider’s view on the Failed Past and the Road to Peace, sorti en mai 2014 chez Bloomsbury, ainsi que de A Middle East Free of Weapons of Mass Destruction, publié en mai 2020 chez Routledge. Son dernier ouvrage, A New Structure for Security, Peace, and Cooperation in the Persian Gulf, a paru en décembre 2020 chez Rowman & Littlefield.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation et actualisé.

Seyed Hossein Mousavian is Middle East Security and Nuclear Policy Specialist at Princeton University, and a former Chief of Iran’s National Security Foreign Relations Committee. His books: “Iran and the United States: An Insider’s view on the Failed Past and the Road to Peace” was released in May 2014 by Bloomsbury, “A Middle East Free of Weapons of Mass Destruction”, published in May 2020 by Routledge. His latest book: “A New Structure for Security, Peace, and Cooperation in the Persian Gulf” published in December 2020 by Rowman & Littlefield Publishers.
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