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La question du nucléaire iranien : menace ou alibi ?

Depuis près de vingt ans, la question du nucléaire iranien est sous le feu des projecteurs, occupant une place importante dans les préoccupations des chancelleries occidentales. Mais ces craintes sont-elles fondées ?
Une photo prise le 10 novembre 2019 montre un drapeau iranien dans la centrale nucléaire iranienne de Bouchehr (AFP)

Les activités de recherche dans le domaine nucléaire en Iran commencent sous le règne du shah, en 1957. Les Français prêtent leur concours, tout comme les Américains, qui fournissent à l’Iran son premier réacteur nucléaire de recherche.

Mais ce n’est qu’à partir de 1970 que l’Iran lance la construction de plusieurs centrales nucléaires. En 1974, l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran (OEAI) est créée avec l’objectif de promouvoir la recherche, de doter le pays d’une industrie nucléaire et d’assurer la sécurité des centrales installées ou en construction. La collaboration de la France et des États-Unis demeure indispensable.

La révolution de 1979 marque l’arrêt des activités nucléaires : le guide suprême iranien, l’ayatollah Khomeini, rappelle alors que son pays est doté d’énergie fossile et n’a pas besoin du nucléaire, lequel est par ailleurs onéreux et donne aux pays occidentaux un droit de regard empiétant sur la souveraineté iranienne.

En outre, au cours des années 1980, la République islamique est aux prises avec le conflit meurtrier l’opposant à son voisin irakien, et considère dès lors qu’elle a d’autres priorités.

Virage stratégique vers l’Est

Ce n’est que lorsque les canons se taisent que le programme nucléaire reprend, au début des années 1990. Mais l’OEAI est anémiée, faiblement financée et peu soutenue, et les pays occidentaux peu enclins à aider la République islamique dans son programme nucléaire.

C’est alors que l’Iran se tourne vers la Chine, qui commence à avoir un grand besoin du pétrole et du gaz iraniens pour couvrir les besoins de son importante population, et surtout la Russie, heureuse de prendre la relève de l’Occident dans un pays dont la centralité stratégique n’est pas à prouver.

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La coopération avec la Russie porte sur l’achèvement de la première unité de la centrale de Bouchehr. Le contrat est signé en 1999. L’accord de coopération avec la Chine, quant à lui, est signé plus tôt, en 1990, pour le « transfert de la technologie du cycle du combustible nucléaire ».

Ce virage stratégique de l’Iran suscite le courroux des États-Unis, qui imposent, entre 1995 et 1996, une batterie de sanctions aux sociétés qui investissent dans le pétrole et le gaz iraniens.

Les sanctions crispent les Iraniens et réveillent, chez eux, un anti-américanisme ancien, motivé par le coup de force de la CIA contre le gouvernement nationaliste de Mossadegh en 1953, la complicité des États-Unis avec le régime répressif du shah (1953-1979), le soutien américain à Saddam Hussein lors de la guerre Iran-Irak (1980-1988) et la destruction du vol Iran Air 655, abattu par des missiles américains en 1988.

En outre, les sanctions frappent de plein fouet les intérêts européens en Iran. Le pays commençait en effet à devenir un marché juteux pour les sociétés pétrolières et la communauté des affaires européennes. D’importants investissements y étaient déjà engagés.

Les États européens se voient donc directement visés par l’extraterritorialité du droit américain, un pouvoir discrétionnaire qui permet aux États-Unis de décider unilatéralement d’interdire aux autres États le commerce avec un États tiers, comme c’est le cas avec l’Iran.

Les pays européens voient donc ainsi leur « souveraineté » affectée, tout en étant contraints de respecter des sanctions qu’ils n’ont pas décidées et qui sont contraires à leurs intérêts.

L’Europe acculée par les sanctions

Les entreprises européennes se trouvent aussi devant un dilemme : soit se conformer au droit américain et voir leurs intérêts sérieusement affectés, soit violer le droit américain et être sévèrement punies. Pratiquement toutes les multinationales européennes choisissent la première option.

Se sentant acculés, les États européens choisissent de traiter le problème à la source. En 2003, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne proposent une négociation sur le nucléaire iranien, qui est la véritable pierre d’achoppement pour les Américains.

Les entreprises européennes se trouvent aussi devant un dilemme : soit se conformer au droit américain et voir leurs intérêts sérieusement affectés, soit violer le droit américain et être sévèrement punies

Selon la proposition, l’Iran doit accepter d’appliquer le protocole additionnel du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui permet des inspections inopinées de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) basée à Vienne.

Cela ne semble toutefois pas satisfaire les États-Unis. Après avoir envahi l’Irak en 2003, le président George W. Bush évoque, en 2005, une éventuelle invasion de l’Iran pour l’empêcher de se doter de l’arme atomique. Or, c’est l’année où est élu, en Iran, l’intraitable Mahmoud Ahmadinejad, qui exclut toute relation avec les États-Unis.

Malgré cela, en 2006, les États-Unis, la Russie et la Chine se joignent aux négociations initiées par le groupe UE-3 (France, Allemagne, Royaume-Uni). Les Européens, en effet, tiennent à impliquer tous les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU pour solidifier l’accord conclu.

Mais les négociations avancent à pas de tortue. L’élection de Barack Obama en 2009 et celle, en Iran, du modéré Hassan Rouhani en 2013 donnent une nouvelle impulsion aux négociations, qui aboutissent à l’Accord de Vienne (aussi appelé Plan d’action conjoint), le 14 juillet 2015.

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Le 16 juillet 2016, l’AIEA atteste que l’Iran a respecté ses engagements et les sanctions économiques à l’encontre du pays sont graduellement levées – au grand dam d’Israël et de certains pays du Golfe, farouches adversaires de l’accord.

De fait, avant même sa signature, Benyamin Netanyahou s’était adressé au Congrès et au Sénat américains, le 2 mars 2015, pour fustiger indirectement l’administration Obama et dénoncer l’accord qui était en préparation (on notera, au passage, l’absence dans l’hémicycle de Joe Biden, alors vice-président, et de 50 congressistes et sénateurs démocrates par opposition à la venue du Premier ministre israélien).

La Maison-Blanche est ulcérée par le discours de Netanyahou. Mais le Premier ministre israélien continue à marteler son message : le monde ne doit pas permettre à l’Iran d’obtenir la bombe nucléaire. Israël, dit-il, est prêt à détruire toutes les installations nucléaires iraniennes, prétextant que l’Iran constitue une menace « existentielle » pour le pays.

Conserver la suprématie militaire d’Israël

Or, s’il est vrai que l’Iran a pu commanditer certaines attaques terroristes contre des objectifs israéliens ou juifs de par le monde, à aucun moment l’Iran n’a-t-il risqué une confrontation directe avec l’État d’Israël.

Celui-ci, de son côté, a évité, jusqu’ici, de bombarder les installations nucléaires iraniennes par peur de représailles de la République islamique ou de ses alliés régionaux. Il n’a toutefois pas hésité, par le passé, à bombarder le réacteur nucléaire d’Osirak en Irak, le 7 juin 1981, et, plus récemment, à détruire un réacteur nucléaire syrien dans la région de Deir ez-Zor, dans la nuit du 5 au 6 septembre 2007.

Penser que l’Iran pourrait lancer des bombes sur Tel Aviv et les autres villes israéliennes, c’est oublier qu’à ce jour, Israël est la seule puissance nucléaire dans la région et que toute agression iranienne déboucherait sur la destruction de l’Iran par Israël et les États-Unis

Pour l’heure, Israël se limite, selon de nombreux analystes israéliens avisés, à liquider les scientifiques nucléaires iraniens ou les responsables du programme balistique du pays – le dernier en date, Mohsen Fakhri Zadeh, a été assassiné le 27 novembre 2020. Commentant cet assassinat, le président sortant Donald Trump a simplement tweeté : « C’est un coup pour l’Iran ».

Aux accusations des États-Unis et d’Israël, l’Iran rétorque qu’il coopère avec l’Agence internationale de l’énergie atomique, se soumet à son contrôle de ses activités nucléaires et rappelle que, contrairement à Israël, il est membre du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.

Mais si l’Iran réitère son engagement à ne pas fabriquer des armes nucléaires, il rappelle aussi que le TNP l’autorise à maîtriser la technologie nucléaire civile, qui est, pour le pays, une « revendication légitime » et même une « cause nationale ».

Certains observateurs doutent de la sincérité iranienne, mais la majorité des analystes trouvent que l’argumentation américaine et israélienne est non seulement alarmiste, mais surtout fausse. Et cela, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, l’arme nucléaire n’est pas conçue pour faire mal, mais pour faire peur. On ne joue pas avec les bombes nucléaires comme on jouerait au ping-pong.

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Deuxièmement, penser que l’Iran pourrait lancer des bombes sur Tel Aviv et les autres villes israéliennes, c’est oublier qu’à ce jour, Israël est la seule puissance nucléaire dans la région et que toute agression iranienne déboucherait sur la destruction de l’Iran par Israël et les États-Unis.

Enfin, il convient de noter que dans une confrontation nucléaire entre deux puissances dotées de telles armes, il n’y a pas de vainqueurs, que des vaincus.

Par conséquent, si Israël et les États-Unis agitent, avec tant d’acharnement, le spectre nucléaire iranien, ce n’est pas parce qu’ils croient à la « folie suicidaire de l’Iran » ou à « sa fascination pour l’apocalypse », mais parce que le nucléaire militaire est d’abord un « égalisateur de puissance » et un moyen de « sanctuariser un pays ». À cet égard, le cas de l’Inde et du Pakistan, farouches ennemis depuis la scission de 1947 et tous deux détenteurs de l’arme nucléaire, est emblématique.

Or les États-Unis, comme Israël, veulent, à tout prix, qu’Israël conserve la suprématie militaire sur tous les États de la région. C’est pour cela que les États-Unis fournissent à Israël toutes les armes possibles, dernier cri, quelques fois même avant les États européens.

Et c’est pour cette raison également que, dès son arrivée au pouvoir en 2017, Donald Trump a dénoncé l’accord. Le 8 mai 2018, les États-Unis s’en sont retirés unilatéralement, à la grande satisfaction de son ami Benyamin Netanyahou.

Sous Biden, des négociations parsemées d’embûches

On voit donc bien que la question nucléaire iranienne est une obsession à la fois des États-Unis et d’Israël, auxquels s’ajoutent, aujourd’hui, les pays du Golfe, notamment les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite.

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Pour ces derniers, un Iran nucléarisé serait plus menaçant et plus déstabilisateur, et conduirait à une prolifération nucléaire dans la région. Ceci expliquerait, en grande partie, les accords récents de normalisation entre Israël, les Émirats et Bahreïn, grâce aux bons offices du président Trump et de son gendre (et grand ami du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou), Jared Kushner.

Le nouveau président américain, Joe Biden, reprendra les négociations avec l’Iran. C’est le vœu de l’Union européenne, ainsi que de la Russie et de la Chine. Mais, sous la pression d’Israël et de certains pays du Golfe, la nouvelle administration américaine voudra, très probablement, ajouter de nouvelles exigences, notamment la limitation du programme balistique de l’Iran et la cessation de ses ingérences extérieures.

Les Iraniens ont déjà fait savoir pour leur part qu’il n’était pas nécessaire de renégocier l’accord, et que l’on ne pouvait exiger de l’Iran ce que l’on n’exigeait pas d’Israël ou de certains pays du Golfe en matière de programme balistique et d’ingérences extérieures.

C’est dire si le chemin de la négociation sera parsemé de multiples obstacles, à moins de séparer les deux dossiers : le dossier nucléaire et celui relatif aux programmes balistiques d’une part, et le dossier des ingérences extérieures, qui devrait être négocié régionalement et collectivement, lors d’une grande conférence sur la paix et la sécurité régionales.

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