Sur Tik Tok et auprès des plus démunis, les jeunes musulmans français ont un « rapport décomplexé » au Ramadan
Lyan, 13 ans, observe le jeûne du Ramadan pour la seconde année consécutive. « Je lui ai pourtant dit qu’il n’était pas obligé de jeûner tout le mois pour ne pas s’épuiser après de longues journées à l’école. Mais il ne veut rien entendre et veut faire comme ses amis », raconte Nadia, une habitante de Stains en Seine-Saint-Denis, au nord-ouest de Paris, où vit une importante communauté musulmane.
L’année dernière, le garçon avait clôturé 30 jours de jeûne en se rendant à la mosquée pour la prière de l’Aïd al-Fitr, puis en participant à une distribution de jouets organisée par une association caritative au profit d’enfants de familles démunies.
« Comme c’étaient les vacances, il avait aussi pris part pendant plusieurs jours, avec des amis, à des distributions de repas [pour l’iftar du Ramadan] », ajoute sa mère, fière de le voir si investi, soucieux de faire du bien autour de lui. « Cette année, il est plutôt mobilisé le week-end. »
« Une tradition familiale qui se perpétue »
Pour Sarah Aiter, doctorante en sociologie et spécialiste de l’islam, le comportement de Lyan ressemble à celui de beaucoup de jeunes musulmans français et révèle « une évolution dans la pratique du Ramadan ».
« Nous sommes passés d’une pratique religieuse héritée, incorporée dans le cadre de la famille et intériorisée, que l’on fait presque automatiquement comme pour certains interdits alimentaires, à une autre qui se veut plus en conscience », décrypte-elle pour Middle East Eye.
La chercheuse, qui travaille pour le Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA) rattaché notamment à l’Institut national des langues et des civilisations orientales (INALCO), précise que l’évolution de la pratique du Ramadan chez les jeunes n’exprime pas pour autant une rupture générationnelle.
« C’est avant tout une tradition familiale qui se perpétue, ancrée dans la transmission culturelle au sein de ces mêmes familles », abonde Amel Boubekeur, sociologue à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Salima, la vingtaine et déjà salariée dans une entreprise d’informatique, observe le jeûne du Ramadan depuis l’âge de 12 ans.
« Mes parents, nés tous les deux en France de parents immigrés algériens, avaient commencé à le pratiquer à l’adolescence aussi. J’ai toujours vu ma mère s’affairer à la cuisine pour garnir la table de la salle à manger de plats savoureux. Aujourd’hui, elle m’aide souvent à préparer des colis repas pour les personnes dans le besoin », relate à MEE la jeune fille, à l’origine d’une communauté WhatsApp de plusieurs dizaines de contacts qui organise la collecte et la distribution de dons alimentaires.
« Nous ne nous contentons pas de cuisiner. Nous démarchons aussi des enseignes commerciales afin de faire des stocks de produits. Pour identifier les nécessiteux, nous faisons des enquêtes de voisinage et quelquefois du porte-à-porte », raconte Salima, qui se mobilise avec ses amis du groupe WhatsApp dans la cité des Tarterets, où elle habite, à Corbeil-Essonnes, au sud de Paris.
« Beaucoup voient le Ramadan comme un défi et se donnent des objectifs comme lire en entier le Coran ou se déconnecter des réseaux sociaux »
- Sarah Aiter, doctorante en sociologie et spécialiste de l’islam
Selon Sarah Aiter, l’engagement de jeunes musulmans comme Lyan et Salima dans des actions de solidarité, des maraudes, révèle une expérience « horizontale », plus collective du Ramadan, en accord avec la volonté « de donner du sens aux pratiques religieuses ».
« À l’inverse de la génération précédente de musulmans issus de l’immigration et appartenant aux classes populaires, la nouvelle bénéficie d’une forme d’ascension sociale par les études et d’un certain nombre de capitaux. Les soucis qui la traversent sont les mêmes que ceux de la classe moyenne non musulmane. Elle veut trouver la bonne manière d’être au monde en mieux consommant, par exemple », souligne la sociologue.
Individuellement, poursuit Sarah Aiter, les jeunes musulmans entendent à travers la pratique du Ramadan « se recentrer sur soi », en s’élevant spirituellement.
« Beaucoup voient le Ramadan comme un défi et se donnent des objectifs comme lire en entier le Coran ou se déconnecter des réseaux sociaux. Le but est de ressortir de cette période purifié et plus proche de Dieu », constate-t-elle.
En plus des distributions de nourriture, Salima s’est fixé comme objectif de terminer avant la fin du Ramadan la lecture du Coran. « En tant que musulmane, j’ai besoin de comprendre davantage les préceptes de la religion », confie-t-elle.
Influenceurs
Pour s’aider, la jeune femme consulte sur les réseaux sociaux des tutos sur l’apprentissage et la récitation du Coran. Il lui arrive aussi de participer à des défis virtuels, à l’image de ceux que l’on trouve sur les réseaux sociaux (demander pardon à Allah cent fois en récitant une sourate, par exemple) pour tester sa foi.
« Avec l’arrivée d’internet, les pratiques religieuses ont changé », constate auprès de MEE Jamel El Hamri, chercheur associé à l’Institut de recherches sur le monde arabe et musulman (IREMAM-CNRS) et enseignant d’histoire-géographie dans le secondaire.
Il considère en effet que les premières générations de musulmans arrivés en France s’inscrivaient « dans un cheminement plus collectif se faisant à la mosquée pour la lecture du Coran, derrière l’imam », alors que « pour la nouvelle génération, on est davantage dans un cheminement individuel, un peu hybride, se faisant parfois à la mosquée mais aussi beaucoup sur internet, Instagram ou encore Tik Tok, où des influenceurs religieux transmettent un certain nombre de messages et de rappels ».
Cette quête de performance individuelle, qui se conjugue avec des moments collectifs, phare d’entraide et de solidarité, rend compte aussi d’après Jamel El Hamri d’une plus grande visibilité dans la pratique.
« Les jeunes musulmans français ont un rapport décomplexé au Ramadan. Ils sont présents sur les réseaux sociaux et traversent toutes les strates de la société. Ils sont collégiens, lycéens, universitaires, travaillent pour de grands groupes ou sont dans des situations de précarité… Ces jeunes n’ont pas connu d’autres expériences de jeûne en dehors de la France. Malgré le développement d’un climat islamophobe, ils pratiquent ouvertement le Ramadan parce qu’ils estiment qu’ils sont chez eux », analyse le chercheur.
Le rejet des musulmans français est surtout entretenu par une partie de la classe politique et amplifié par certains médias.
Marion Marechal par exemple, tête de liste du parti Reconquête (extrême droite) aux prochaines élections européennes, considère que « le Ramadan est le baromètre de l’islamisation de la France » et refuse qu’il « devienne une fête française au même titre que Noël ou Pâques ».
« Ce qui heurte surtout le mythe de l’extrême droite, c’est l’inclusion pleine et entière des Français musulmans dans la culture française, y compris dans sa dimension consumériste, comme on l’a vu avec les campagnes commerciales organisées pendant le Ramadan dans les grandes surfaces », souligne Amel Boubekeur.
Pour sa part, Jamel El Hamri estime qu’en dépit des pressions des courants xénophobes, « le Ramadan est plus intériorisé par le reste de la société non musulmane et fait partie aujourd’hui du calendrier français ».
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].