France : le marché halal et oriental dopé par le Ramadan
Comme chaque année pour le Ramadan, Réghalal, une marque qui appartient à l’un des plus grands volaillers français et européens, LDC (Lambert Dodard Chancereul), a dégainé la grosse artillerie pour booster la commercialisation de ses produits halal (licites selon l’islam).
Spot publicitaire sur le groupe audiovisuel privé TF1, clip avec le comédien marocain Hamza Senhaji, plus connu sous le nom de Senhamza (plus de 200 000 followers sur Instagram), placement de produits dans Gazelle Mag, une publication de la diaspora maghrébine féminine (91 000 abonnés), jeux et concours sur les réseaux sociaux…
La marque, qui a obtenu une certification de conformité avec les règles de consommation prescrites par l’islam (comme l’abattage rituel) par la mosquée d’Évry-Courcouronnes à sa création en 2008 multiplie aussi les offres promotionnelles pour attirer la clientèle musulmane dans les commerces de grande distribution.
Elle dispute le marché à d’autres marques connues comme Isla Délice, Fleury Michon ou Samia, une gamme de produits orientaux réputée pour ses semoules, épices et confiseries sans gélatine de porc.
« Le halal fait vendre, surtout durant le Ramadan, et les grandes surfaces en profitent »
- Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon
« J’achète régulièrement ces bombons à mes enfants. Ils adorent et je suis rassurée car ils sont halal », confie à Middle East Eye Leila, une jeune mère de famille croisée quelques jours avant le début du mois de Ramadan alors qu’elle remplissait son caddy de victuailles dans un supermarché de Montgeron, en banlieue parisienne.
En plus des sucreries, Leila a acheté de la semoule, du couscous, des épices, des dattes, du ghee (beurre clarifié), des feuilles de brick… en somme, un peu de tout pour l’aider à préparer de bons repas.
« Il ne manque rien », dit-elle satisfaite, en embrassant du regard les rayons bien achalandés.
Une aubaine pour la grande distribution
Pendant le Ramadan, les articles estampillés halal et orientaux débordent des rayons « produits du monde », où ils sont affectés habituellement.
À Auchan, des sachets de feuilles de brick occupent les têtes de gondoles. Chez le hard-discounter allemand Lidl, les sacs de semoule de 5 kilos sont empilés à proximité des caisses, alors qu’Intermarché, une autre enseigne de la grande distribution, a placé les marchandises halal et orientales à côté des produits vendus en promotion, pour leur donner une plus grande visibilité.
Cette mise en valeur n’a d’ailleurs pas échappé à l’œil de l’extrême droite. Dans un article, le site propagandiste Boulevard Voltaire a fustigé les grands distributeurs. Il les a accusés de troquer leur « honneur » contre de l’argent en multipliant les produits à destination des consommateurs musulmans et en contribuant par ce biais au soi-disant « grand remplacement » de la société française.
Boulevard Voltaire a visé tout particulièrement Carrefour, qui a aménagé dans une de ses grandes surfaces en Seine-Saint-Denis un espace pour vendre les produits d’Hmarket, une enseigne alimentaire halal à bas prix.
Sur Twitter, Damien Rieu, ancien soutien d’Éric Zemmour à l’élection présidentielle de 2022, s’en est pris également aux grandes surfaces avec une sélection de photos montrant des produits et un stand de livres religieux. Selon lui, « la charia alimentaire (halal) et du Ramadan [est] partout dans nos supermarchés » et trahit « l’islamisation de la France ».
Mais le halal inonde-t-il vraiment les magasins de France ? Selon une étude réalisée en 2019 par Nielsen, une agence d’analyse du comportement des clients, le halal représente 0,3 % des produits de grande consommation dans la grande distribution française.
Selon la même source, le marché reste marginal mais connaît une progression constante, avec une augmentation de 10 % des ventes pendant le Ramadan.
« C’est un marché dynamique qui a suivi l’évolution démographique des musulmans en France. L’offre est abondante. À côté du circuit traditionnel formé par les boucheries musulmanes et les magasins de produits orientaux, les industriels et les grands distributeurs proposent aussi de plus en plus de références », analyse pour MEE Abbas Bendali, directeur de Solis, une agence de solutions marketing spécialisée dans le marché halal et oriental.
4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires
En 2010, Solis avait publié la première grande enquête statistique sur le marché de la consommation de produits halal en France et estimé le chiffre d’affaires du secteur à 4,5 milliards d’euros.
D’après Abbas Bendali, les viandes et leurs produits dérivés comme la charcuterie constituent la plus grosse part de revenus et sont surtout générés par les boucheries halal qui proposent à la fois des prix attractifs et des produits dont la certification est plus fiable aux yeux des clients.
« Je n’ai pas trop confiance dans les certifications halal des grandes marques. Certaines ne sont même pas contrôlées »
- Leila, mère de famille
Leila, qui a l’habitude d’acheter de la viande chez le même boucher musulman à proximité de son domicile, à Vigneux-sur-Seine, n’a jamais tenté la même expérience dans les grandes surfaces.
« Je n’ai pas trop confiance dans les certifications halal des grandes marques. Certaines ne sont même pas contrôlées », précise la ménagère.
Il y a quelques années, des scandales avaient éclaboussé des industriels comme le charcutier Herta et le volailler Doux, accusés soit de ne pas respecter les règles de sacrifice des animaux, soit d’ajouter de la viande de porc dans les produits transformés.
Officiellement, les labels halal sont attribués par trois mosquées en France (Paris, Lyon et Évry-Courcouronnes) choisies par l’État à la fin des années 90 pour organiser les opérations de certification.
À la Grande Mosquée de Lyon (GML), par exemple, une centaine de salariés sont affectés aux abattoirs de la région pour vérifier la conformité des opérations de mise à mort des animaux avec les préceptes de la religion musulmane.
Les volailles d’Isla Délice sont notamment certifiées par la GML, qui labellise également les viandes halal servies dans les restaurants Quick.
Pour le recteur de la mosquée, Kamel Kabtane, la mise en place de la certification a donné une impulsion au marché halal qui répond aux besoins d’une partie de la population française.
« Le halal fait vendre, surtout durant le Ramadan, et les grandes surfaces en profitent », commente-t-il à MEE.
Des catalogues des Mille et Une Nuits
Afin de séduire le maximum de clients, les enseignes de la grande surface ont rivalisé, cette année aussi, dans l’édition de catalogues offrant une ribambelle de produits à des prix attractifs.
Alors que l’inflation a lourdement impacté le pouvoir d’achat des consommateurs ces derniers mois, Auchan, par exemple, semble miser gros sur le mois du jeûne, assumant complétement sa campagne de marketing à l’adresse de la clientèle musulmane.
« Le placement des marchandises dans les grandes surfaces, sur des palettes et non dans des rayons, renvoie aussi à un préjugé occidental selon lequel le volume des ventes est plus important lorsque les produits sont exposés comme dans un souk »
- Fateh Kimouche, propriétaire du site al-Kanz
À cette occasion, le distributeur a publié un catalogue avec une couverture agrémentée d’un courtois « joyeux Ramadan ». Carrefour, numéro un de la grande distribution en France, et Leclerc, supermarché préféré des français, ont également intégré le mot Ramadan dans leur message publicitaire.
Selon Fateh Kimouche, bloggeur et propriétaire du site al-Kanz, spécialisé dans la défense des droits des consommateurs musulmans, ce positionnement évoque une réelle évolution dans la politique commerciale des grands distributeurs à l’égard des musulmans de France.
Toutefois, certains restent ancrés, selon lui, dans une conception orientaliste du Ramadan, avec des catalogues qui évoquent Les Mille et Une Nuits et des décors de palmiers et de chameaux.
« Le placement des marchandises dans les grandes surfaces, sur des palettes et non dans des rayons, renvoie aussi à un préjugé occidental selon lequel le volume des ventes est plus important lorsque les produits sont exposés comme dans un souk », indique-t-il à MEE.
Le bloggeur regrette aussi que les traditions alimentaires des musulmans soient appréhendées avec beaucoup de méconnaissance par les enseignes de la grande distribution. « Sinon, comment expliquer la présence de raviolis ou de pizzas dans un catalogue sur les saveurs de l’Orient. C’est complétement ridicule », commente-t-il.
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