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En Turquie, l’inflation plombe la « joie » du Ramadan

Malgré les hausses régulières du salaire minimum et des pensions de retraite, l’inflation demeure un sujet brûlant à quelques jours des élections municipales du 31 mars
Les fidèles reçoivent des repas pour l’iftar des autorités locales pendant le mois sacré du Ramadan à Istanbul le 15 mars 2024 (AFP/Yasin Akgul)
Les fidèles reçoivent des repas pour l’iftar des autorités locales pendant le mois sacré du Ramadan à Istanbul le 15 mars 2024 (AFP/Yasin Akgul)
Par AFP à ISTANBUL, Turquie

Au coucher du soleil sur le Bosphore, la file s’allonge en attendant l’iftar, le repas de rupture du jeûne de Ramadan offert par la municipalité d’Istanbul. Dans la foule des fidèles, beaucoup n’ont plus les moyens de le préparer chez eux.

« Nous sommes bien servis, mais ça ne remplace pas l’iftar à la maison. Il n’y avait pas autant de personnes les années précédentes », constate Huseyin Ozcan, qui a attendu plus d’une heure avant d’être servi.

C’est la première fois que ce retraité de 68 ans vient prendre son dîner sous cette tente. Au menu : soupe de lentilles, épinards et pâtes. 

« Avec ma pension, je n’ai plus de quoi préparer des repas comme lors des Ramadans précédents. La nourriture coûte trop cher. »

Le taux d’inflation en Turquie a dépassé 67 % en février sur un an (AFP/Yasin Akgul)
Le taux d’inflation en Turquie a dépassé 67 % en février sur un an (AFP/Yasin Akgul)

Le taux d’inflation en Turquie a dépassé 67 % en février sur un an, selon les chiffres officiels, soit près du double selon un groupe d’économistes indépendants. 

Cette flambée concerne tout particulièrement les denrées alimentaires, qui a atteint 72 % en 2023.

L’Union des chambres d’agriculture de Turquie a relevé que « depuis le dernier mois de Ramadan [en 2023], trente-huit produits alimentaires ont vu leur prix augmenter sur les marchés ».

Dans le détail, cela donne +149 % pour l’huile d’olive, devenue un luxe ; +148 % pour les abricots secs et +171 % pour les figues sèches, un incontournable des tables de Ramadan en Turquie.

Malgré les hausses régulières du salaire minimum – 17 000 livres turques (483 euros) – et des pensions de retraite pour compenser en partie cette envolée, l’inflation demeure un sujet brûlant à quelques jours des élections municipales du 31 mars.

Renoncer à la viande

Le président Recep Tayyip Erdoğan promet régulièrement le retour à une « inflation à un chiffre », alors que le pays est enfermé dans une spirale infernale d’inflation et de chute de sa monnaie depuis plusieurs années.

Dans les ruelles du Bazar aux épices, dans le quartier central d’Eminönü, les Stambouliotes cherchent les meilleurs prix pour leurs courses, espérant arracher une ristourne aux vendeurs.

Son cabas à moitié vide, Çiçek Akpinar scrute chaque étiquette. « Je me noie dans les dettes. Ces prix sont inabordables. Pour l’iftar, je prépare des pâtes ou des œufs pour moi et mes enfants. Je ne peux plus inviter mes proches comme avant », regrette-t-elle.

Pour cette quinquagénaire, le mois sacré du Ramadan « n’a plus la même joie ». 

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« Cette année, beaucoup se contentent de regarder les rayons, sans acheter », ajoute-t-elle.

Mirza, 65 ans, a dû comme beaucoup renoncer à la viande. « Autrefois, nous préparions un repas différent pour chaque jour de la semaine pendant le Ramadan afin de partager un bon moment en famille. Maintenant on cuisine toujours les mêmes plats, sans viande », glisse-t-il, une boîte de loukoum à la main. 

Le kilo de mouton dépasse les 420 livres, près de 12 euros.

Dans son échoppe d’épices et de fruits secs, particulièrement courue autrefois pendant le Ramadan, Mehmet Masum s’inquiète pour ses affaires. 

« Le mois de Ramadan était la période la plus vivante pour les commerçants, pas cette année », dit-il.

Les dattes, traditionnellement consommées pour rompre le jeûne, ont vu leur prix s’envoler de 80 à 230 livres le kilo en un an (2,20 euros à 6,25 euros). 

« Celui qui peut s’offrir un demi-kilo de dattes est aussi heureux que s’il avait trouvé de l’or. Autrefois, les clients goûtaient avant d’acheter. Nous ne le proposons plus, les prix augmentent tous les jours », avoue le commerçant.

« Celui qui peut s’offrir un demi-kilo de dattes est aussi heureux que s’il avait trouvé de l’or »

- Mehmet Masum, épicier

À une heure de l’iftar, des centaines de fidèles s’impatientent devant la tente où la mairie sert des repas une fois le soleil couché. La rangée s’agite, des bousculades surviennent. 

« Vous serez tous servis », les rassure un employé municipal.

À 19h17, l’appel à la prière couvre le brouhaha de la mégapole et en une heure, 500 fidèles sont servis. 

Venu avec ses amis, Haci Hakalmaz célèbre un moment de convivialité.

« Ce qui est important n’est pas la qualité de la nourriture, mais de partager ce moment avec la communauté », assure-t-il. Le temps de l’iftar, le retraité de 67 ans veut oublier sa maigre pension - certaines plafonnent à 10 000 livres (284 euros). 

« Quand on regarde les prix, on voit bien que le pays est en feu », lance-t-il. « Mais ce soir je veux garder ma bonne humeur et le sentiment de la fraternité autour de cette table ».

Par Cem Taylan.

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