Au Liban, le Hamas comble un vide en matière de services publics pour les communautés palestiniennes
Un petit quartier de la ville de Sidon, dans le sud du Liban, également connue sous le nom de Saïda, est une utopie par rapport aux communautés qui l’entourent.
Les près de 3 000 habitants du quartier, dont la plupart sont palestiniens, ont accès à un large éventail de services désormais rarement disponibles au Liban, un pays où les services publics se sont pour la plupart taris après des années de crise économique.
Le mérite des services rendus dans cette communauté revient au groupe armé et mouvement politique palestinien Hamas.
Les habitants peuvent remplir des litres d’eau potable fraîche quatre jours par semaine. Les rues sont propres et bien éclairées la nuit. Les jeunes de la communauté ont même accès à un centre de loisirs équipé d’un baby-foot, de sacs de boxe et d’un tapis roulant qu’ils peuvent utiliser gratuitement.
La crise économique au Liban a frappé durement les réfugiés palestiniens présents dans le pays.
Avant la crise, la communauté était confrontée à une discrimination systémique et à des obstacles juridiques qui l’empêchaient d’échapper à la pauvreté. L’aide du Hamas est donc accueillie à bras ouverts.
Le mouvement a toujours réussi à fournir des services sociaux de base avec un petit budget.
Ses réseaux de protection sociale à Gaza et en Cisjordanie ont largement contribué à sa victoire électorale en Palestine en 2006. Au Liban, la popularité du Hamas est aujourd’hui en pleine croissance alors que le groupe combat l’armée israélienne à Gaza.
« Nous continuons à servir notre peuple avec ce que nous avons et ce que nous pouvons faire », déclare un dirigeant local du Hamas à Sidon, qui porte le nom de guerre Abou Abed Shanaa.
« Nous ferons tout ce qui pourrait bénéficier au peuple palestinien », assure l’homme de 53 ans à Middle East Eye dans un ancien parking du quartier, qu’il a contribué à transformer en mosquée.
Cette dernière est devenue un centre communautaire animé pour la petite communauté de Sidon, où sont régulièrement organisés des prières, des programmes pour les jeunes et même des mariages pour les couples qui n’ont pas les moyens de se payer une salle de réception ailleurs.
Quand Middle East Eye a rencontré Abou Shanaa, pendant le mois sacré musulman du Ramadan, des habitants du quartier entraient et sortaient de la mosquée.
Un garçon est arrivé pour suivre un cours d’éducation islamique, qui se déroulait dans une pièce adjacente, tandis qu’un homme est venu demander à Abou Shanaa quand seraient prêts les colis alimentaires du Ramadan.
Le Hamas, comme d’autres partis palestiniens au Liban, distribue des dons monétaires et alimentaires pendant le mois sacré musulman, même si cette année, d’après Abou Shanaa, les dons pour le Ramadan étaient plus petits en raison de l’implication du Hamas dans les combats à Gaza.
En plus de collecter des colis alimentaires pour le Ramadan, Abou Shanaa coordonne des camps d’été et des équipes sportives, organise des collectes de fonds pour les personnes malades et les femmes qui ont récemment accouché, et résout les conflits interfamiliaux.
Il a également organisé plusieurs projets d’infrastructures communautaires qui, selon lui, ont tous contribué à « rapprocher les familles » du Hamas.
Instaurer la confiance
À une minute de route du quartier dirigé par le Hamas se trouve un village chrétien. Abou Shanaa explique que la clé pour instaurer la confiance quant à la présence du groupe dans la région a été la coopération avec leurs voisins chrétiens et la municipalité libanaise.
L’essentiel des critiques concernant la présence de groupes armés palestiniens sur le sol libanais émane historiquement des communautés et des partis chrétiens du pays.
Dans un sondage réalisé par le Washington Institute après l’attaque du Hamas en Israël le 7 octobre, 79 % des Libanais ont généralement exprimé une opinion positive du mouvement palestinien, mais parmi les chrétiens, la majorité était plus faible, à 59 %.
Abu Shanaa a déménagé dans le quartier en 2000 et indique qu’à l’époque, l’eau ne coulait qu’une fois toutes les deux semaines environ. Il n’y avait pas d’éclairage public et les routes étaient pleines de nids-de-poule.
Il vivait auparavant à Ain al-Helweh, à Sidon, le plus grand camp de réfugiés palestiniens du pays. Quand le père d’Abou Shanaa était enfant, il a fui le village de sa famille près d’Akka, dans le nord de la Palestine, lors de son attaque par les forces israéliennes en 1948.
L’UNRWA estime qu’environ 250 000 réfugiés palestiniens résident au Liban. Bien que nombre d’entre eux vivent dans le pays depuis plus de 75 ans, ils n’ont toujours pas accès à plusieurs droits fondamentaux, dont celui à la propriété foncière.
Peu après son arrivée dans le quartier, Abou Shanaa a contacté la municipalité de Sidon et formé un comité avec « toutes les courants religieux et tous les partis », à la fois libanais et palestiniens, pour lancer des projets d’infrastructure.
Ils ont commencé par creuser des puits d’eau potable, pour un coût total d’environ 5 000 dollars. Le Hamas a fait don de 2 000 dollars, selon Abou Shanaa. Ensuite, ils ont réparé les routes et installé des lampadaires.
« Le maire était très content de notre travail », rapporte Abou Shanaa. « Nos efforts ont permis aux familles, aux forces [de sécurité] libanaises et à la municipalité de nous apprécier davantage parce que les choses étaient mieux organisées. »
Quelques années plus tard, vers 2004, Abou Shanaa a organisé un projet de construction d’un trottoir menant au quartier : financé à 80 % par le Hamas et 20 % par la municipalité.
Puis, en 2009, Abou Shanaa a contacté un chrétien libanais propriétaire d’un terrain inutilisé dans la zone, qui l’a autorisé à le transformer en terrain de football. Le Hamas a contribué au projet à hauteur de 11 000 dollars, indique Abou Shanna.
Avec l’espace nécessaire pour s’engager dans des activités saines et participer à des programmes communautaires, les jeunes ont vu diminuer leurs taux de consommation de drogues et d’alcool, indique Abou Shanaa. « Nous avons contribué à rétablir l’ordre », résume-t-il. « Les gens nous ont acceptés et nous ont davantage respectés. »
Le Hamas a depuis coordonné une variété de projets et de programmes pour le quartier. Abou Shanaa note qu’il existe de nombreuses autres communautés soutenues par le Hamas au Liban, similaires à celle de Sidon.
Une popularité croissante au Liban
Même si le Hamas était présent au Liban dans les années 1990, beaucoup le considéraient comme un « groupe marginal » par rapport aux acteurs politiques palestiniens majeurs comme le Fatah, indique Mohanad Hage Ali, chercheur au Carnegie Middle East Center basé à Beyrouth.
Au début, les branches libanaises du Hamas ne se concentraient pas sur la lutte armée, explique-t-il à Middle East Eye. Ce n’est qu’en 2017, lorsque le Hamas s’est réconcilié avec le Hezbollah à la suite d’un schisme lié à la guerre civile en Syrie, que le groupe est devenu plus militant et a commencé à s’étendre considérablement dans le pays, développe le chercheur.
Après le krach financier de 2019 et la « mort lente de l’État libanais » en pleine crise économique, le Hamas a vu une opportunité de se développer davantage dans les camps palestiniens et de lancer des activités militaires qui n’étaient pas possibles auparavant, poursuit Mohanad Hage Ali.
Depuis le 7 octobre, la branche militaire du Hamas, les brigades al-Qassam, a mené de multiples attaques contre Israël depuis le sol libanais. Le groupe armé gère également un vaste réseau de recrutement et d’entraînement depuis le Liban.
« Nous sommes très fiers du Hamas en ce moment. Je suis si fière de ce qu’ils font pour combattre le génocide à Gaza »
- Malak, habitante d’Ain al-Helweh
Aujourd’hui, en temps de guerre, la popularité du groupe lui permet de recruter à des « niveaux sans précédent » au Liban, aidé par des financements relativement importants, probablement en provenance d’Iran, explique Hage Ali.
Malak al-Ali, une jeune femme de 26 ans qui vit dans le camp d’Ain al-Helweh, estime elle aussi que « le Hamas est beaucoup plus populaire ».
« Nous sommes très fiers du Hamas en ce moment », dit-elle. « Je suis si fière de ce qu’ils font pour combattre le génocide à Gaza. »
La popularité croissante du Hamas menace la domination de longue date du Fatah, son adversaire politique.
Ces dernières années, le Fatah, dont la stratégie envers Israël consiste principalement à suivre la voie des négociations plutôt que la lutte armée, a été affaibli par l’échec du processus de paix israélo-palestinien et son incapacité à apporter de véritables résultats.
Le Hamas est également considéré comme plus généreux que le Fatah en ce qui concerne son aide.
Le Fatah est connu pour distribuer de l’aide uniquement aux membres du parti à Sidon, tandis que le Hamas offre de l’aide à tous ceux qui en ont besoin, confirment les habitants d’Ain al-Helweh à Middle East Eye.
Malak estime que le Hamas est la faction politique palestinienne la plus honnête : « Le Hamas aide tout le monde, tandis que d’autres volent plus qu’ils n’aident. »
La jeune femme a deux enfants, âgés de sept et huit ans, qui sont inscrits dans les écoles du camp gérées par l’UNRWA.
Elle trouve que ces écoles sont surpeuplées et que la qualité de l’éducation y est médiocre, car l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens et d’autres organisations humanitaires sont souvent à court d’argent.
« Malgré tout ce qui se passe, le Hamas demeure solide et reste aux côtés de son peuple. Nous n’abandonnerons jamais notre peuple »
- Abou Abed Shanaa, cadre du Hamas à Sidon
« Je ne vois pas [les agences humanitaires] aider beaucoup. Elles ne peuvent pas aider tout le monde », observe Malak.
À la suite d’allégations israéliennes jusqu’ici non prouvées selon lesquelles plusieurs membres du personnel de l’UNRWA auraient été impliqués dans l’attaque du Hamas le 7 octobre, les principaux donateurs de l’agence onusienne ont retiré leur financement, remettant en cause la survie de cette dernière, qui était déjà en difficulté financière.
L’arrêt des services de l’UNRWA pourrait constituer une opportunité supplémentaire pour le Hamas de combler un vide.
« L’UNRWA est censée s’occuper de tous les services destinés aux Palestiniens, mais elle a été entravée par les intérêts des sionistes du monde entier qui veulent que la question palestinienne soit abandonnée », déplore Abou Shanaa.
« Malgré tout ce qui se passe, le Hamas demeure solide et reste aux côtés de son peuple. Nous n’abandonnerons jamais notre peuple. »
Abou Shanaa confie qu’il détient toujours le titre de propriété de sa terre en Palestine, qu’il continuera de conserver jusqu’au retour de sa famille. « La terre nous appartient et nous y avons droit. Des gens sont venus et ont volé nos maisons. Nous voulons nos maisons, rendez-les-nous. »
Traduit de l’anglais (original).
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