Yémen : Hadi fait face à des défis de taille en tentant de gouverner depuis Aden
AL-MUKALLA, Yémen – Le président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi a rencontré un nouvel obstacle alors qu'il essaie d'exercer ses fonctions depuis la nouvelle capitale qu'il a établie dans la ville portuaire d'Aden.
Le mois dernier, Hadi a quitté incognito et en toute hâte la ville de Sanaa, contrôlée par les Houthis, pour se rendre à Aden, près d'un mois après avoir démissionné suite aux attaques des rebelles contre le palais présidentiel et son domicile.
Son pouvoir est de nouveau remis en question suite au rejet par le chef des forces spéciales de sécurité à Aden, le général de brigade Abdel Hafez al-Saqqaf, d’un décret dans lequel Hadi a ordonné son remplacement par un général de brigade de l'armée lui étant fidèle.
Selon les médias locaux, Hadi a envoyé en vain de nombreuses délégations pour le convaincre de démissionner, mais ce dernier a déclaré qu'il quitterait son poste si Hadi nommait un membre des forces de sécurité spéciales, et non de l'armée.
Dans le même temps, les forces d'al-Saqqaf ont affronté par intermittence les comités populaires armés pro-Hadi, qui contrôlent l'aéroport principal ainsi que la chaîne Aden TV.
« Il s'agit d'un message des Houthis, qui indiquent qu'ils ont des forces sur le terrain susceptibles de nuire au pouvoir d’Hadi », a déclaré à Middle East Eye (MEE) Fadhel al-Roubayee, un analyste politique d'Aden.
Les Houthis du nord du Yémen occupent une place prépondérante dans le paysage politique du pays, en crise depuis le 21 septembre lorsqu'ils ont rapidement pris le contrôle des institutions militaires de la capitale et élargi leur influence à d'autres provinces. Malgré leur avancée rapide au nord, les rebelles ne se sont pas rapprochés des territoires du sud, où de nombreuses personnes soutiennent encore le concept d'un Yémen du Sud indépendant.
Selon al-Roubayee, Hadi a la capacité de déloger de son poste le chef rebelle de la sécurité, mais il sait que cela pourrait lui coûter cher.
« Hadi peut faire exécuter ses ordres coûte que coûte, mais il sait qu'évincer al-Saqqaf par la force pourrait amplifier la violence, ce qui pourrait justifier une avancée des Houthis vers Aden. »
Depuis son arrivée à Aden, Hadi a reçu un soutien diplomatique croissant de la part des Etats voisins du Golfe, des Etats-Unis et du Royaume-Uni, ainsi que d'autres pays enfoncés jusqu'au cou dans le processus politique du pays. Dans le même temps, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues dans de nombreuses villes, dont Sanaa, pour exprimer leur soutien à Hadi. Pour Fadhel al-Roubayee, Hadi devrait tirer profit du soutien international et public afin de consolider sa « légitimité ».
« Hadi peut gouverner depuis Aden s'il utilise la communauté internationale ou le soutien de certains partis politiques et des sudistes. »
Réconciliation
Le sud du Yémen est le bastion du Mouvement du Sud, une organisation regroupant les factions qui souhaitent la renaissance de l'Etat du Yémen du Sud, qui s'est rattaché au Yémen du Nord en 1990.
Les forces soutenant l'unité, dirigées par l'ancien président Ali Abdallah Saleh, ont contrecarré une tentative de sécession en 1994 et licencié par la suite plusieurs milliers de militaires et de fonctionnaires. Les forces ciblées par les licenciements se sont réunies en 2007 et ont provoqué des manifestations pacifiques, exigeant l'indépendance du Sud.
Hadi était ministre de la Défense lorsque Saleh est entré à Aden, et les indépendantistes du sud ont organisé des rassemblements massifs pour s'opposer au nouveau président lors de son arrivée au pouvoir en 2012.
Selon al-Roubayee, Hadi peut forcer un déséquilibre dans le pays en permettant à ces officiers de l'armée de reprendre du service.
« Il devrait activer les conclusions de la conférence de dialogue national, qui comprennent la réintégration de plusieurs milliers d'officiers de l'armée forcés de prendre leur retraite après la guerre civile de 1994. »
Cette semaine, Hadi a fait un pas inattendu pour briser la glace avec les dirigeants des factions réfractaires du Mouvement du Sud, en invitant les séparatistes à deux réunions au palais présidentiel, à Aden. Ce lundi, Hadi a été vu en discussion avec un groupe de séparatistes pour la première fois depuis le début des manifestations dans le sud, en 2007.
Ali Haitham al-Ghouraib, figure de premier plan du mouvement séparatiste qui a assisté à la réunion, a déclaré à MEE qu’en dépit de désaccords avec des idées exprimées par Hadi lors de la réunion, il en est ressorti avec une bonne impression.
« Nous avons été ravis lorsqu'il a évoqué la question de la réintégration d'officiers militaires du sud », a déclaré al-Ghouraib.
Pour les inciter à le soutenir, Hadi a en effet indiqué aux séparatistes que ces officiers de l'armée et des services de sécurité seraient réintégrés dans des camps militaires dans le sud, et non dans le nord.
« Beaucoup d'officiers du sud étaient réticents à l'idée de reprendre leur emploi lorsqu’on leur a dit qu'ils seraient envoyés dans des camps militaires au nord. »
En échange, les séparatistes ont accepté de cesser d'inciter la population à manifester contre Hadi et son gouvernement. « Franchement, j'ai été très satisfait de cette réunion. Nous avons convenu que notre programme d'escalade révolutionnaire n'inclurait pas de slogans à l'encontre de sudistes, dont Hadi. »
D'autres militants estiment toutefois qu’Hadi a apporté uniquement « un soutien de façade » à leurs causes. Radfan al-Doubais, présentateur de télévision et figure de premier plan du Mouvement du Sud qui a assisté à une précédente réunion avec Hadi, a déclaré à MEE que les dirigeants sudistes avaient proposé qu’Hadi intègre les factions du sud dans ses comités populaires qui contrôlent en partie Aden.
« Nous avons proposé d'engager toutes les factions du sud dans les comités de manière à maintenir l'unité du sud et de le protéger des conflits. Il n'a pris aucune mesure concrète en ce sens. Les comités populaires ne doivent pas être uniquement formés depuis Abyan ». Les comités populaires d’Hadi ont été formés en 2011, lorsque l'armée a collaboré avec eux pour chasser les militants d'al-Qaïda de leurs bastions dans les provinces d'Abyan et de Shabwa.
La menace de l'ancien président
Alors qu'Hadi consolide son emprise sur le pouvoir dans le sud, l'ancien homme fort du pays, Ali Abdallah Saleh, l'a accusé de collaborer avec les séparatistes afin de diviser le pays.
Ce lundi, pour la première fois depuis sa démission fin 2011, Saleh a fustigé publiquement Hadi et les personnalités politiques qui l'ont rejoint à Aden. Les divergences entre les deux dirigeants sont passées au premier plan lorsque le Conseil de sécurité des Nations unies a imposé des sanctions contre Saleh pour avoir fait avorter le processus politique au Yémen.
Lors d'une rencontre avec des partisans de la province de Taiz, Saleh a prévenu Hadi ainsi que d'autres personnalités qui soutiendraient l'éclatement du pays qu'il les forcerait à s'enfuir d'Aden par la mer Rouge. Affichant ouvertement sa volonté de faire son retour, Saleh a promis de tenir un discours à la télévision publique afin de divulguer un dossier important.
« Je ne me suis pas montré à la télévision pour parler au public, mais je le ferai au bon moment pour divulguer des faits et des dossiers en cours. Abd Rabbo Mansour Hadi ! Pourquoi ne vous en êtes-vous pas tenu à votre démission, que vous avez présentée de plein gré, et pourquoi n'êtes-vous pas resté dignement à Sanaa ? »
Fadhel al-Roubayee pense que Saleh cherche à se faire de la publicité et à gagner en soutien afin d'ouvrir la voie à son retour.
« En agitant la menace de la sécession et en étiquetant Hadi comme étant un séparatiste, Saleh a voulu faire pression sur les personnes qui le soutiennent afin de préparer son retour. »
Il semblerait que les forces qui s'opposaient par le passé au pouvoir d’Hadi le soutiennent désormais à couteaux tirés, et vice versa.
Traduction de l’anglais (original).
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