Un projet de surveillance nationale suscite l’inquiétude en Egypte
Un projet d’installation de caméras de surveillance dans les rues d’Egypte suscite des craintes quant à la possibilité d’une violation de la vie privée des citoyens et d’une hausse de la répression de la dissidence.
Le ministère de l’Intérieur égyptien s’apprête à installer un système de surveillance vidéo à l’échelle nationale pour « combattre le crime et le terrorisme », ont annoncé des journaux locaux la semaine dernière.
Un représentant du gouvernement cité par Al-Ahram a déclaré que le système produirait une « amélioration significative de la situation sécuritaire en permettant à la police de repérer des activités suspectes et d’intervenir avant que des crimes ou des actes de terreur ne soient commis ».
Cependant, des activistes égyptiens pensent que le système ne servira qu’à renforcer le contrôle étatique.
« Ce projet est une menace directe contre les libertés individuelles », a indiqué à MEE Ramy Raoof, un chercheur spécialisé dans les questions de sécurité digitale basé en Egypte.
Le manque de clarté concernant l’entité gouvernementale qui sera responsable du projet et aura donc accès aux informations collectées est, selon Raoof, source d’inquiétude.
« L’état d’esprit actuel est en faveur d’une surveillance et d’un contrôle accrus [et] au cours des dernières années nous avons observé une hausse de l’intérêt [du gouvernement] envers la surveillance de la vie des gens », a-t-il ajouté.
Adel Soliman, un ancien commandant de l’armée critique du gouvernement actuel, a exprimé les mêmes inquiétudes sur la finalité du projet.
« Si [le système] est conçu pour servir la police et les forces de sécurité, alors on peut légitimement se préoccuper d’un possible empiétement sur les droits de l’homme et les libertés personnelles », a-t-il déclaré.
Soliman a indiqué qu’un réseau de caméras avait déjà été installé dans plusieurs lieux publics du pays, faisant référence à un groupe de manifestants qui, après avoir fait irruption dans les locaux de la sécurité d’Etat en 2011, avaient trouvé des documents faisant état d’une surveillance généralisée de la part du gouvernement.
Ces révélations avaient provoqué une série de scandales très médiatisés.
Depuis, des rapports indiquent que plutôt que relâcher la surveillance, le gouvernement a utilisé le contre-terrorisme pour justifier l’expansion de ces pratiques dans le contexte d’une augmentation des attaques contre le personnel de l’armée et de la police et d’une campagne de répression contre des milices dans le Sinaï.
Routes, bâtiments et places publiques
Le nom des sociétés sous-traitées pour installer ce système national n’a pas été révélé mais, selon Adel Soliman, une société affiliée aux agences de renseignement du gouvernement est susceptible de décrocher le contrat.
Les caméras de télévision en circuit fermé (CCTV), qui seront installées près de bâtiments, routes et places publiques stratégiques, seront connectées à un système de sécurité qui garantira une surveillance constante, 24 heures sur 24, ont précisé les médias locaux.
Les magasins et les centres commerciaux pourraient également être obligés d’installer des caméras de surveillance à l’extérieur de leurs locaux, a déclaré Khaled Negm, le ministre des Technologies de la communication et de l’information, lors d’une conférence de presse au Caire.
L’Egypte n’est pas le seul pays à avoir recours à des caméras CCTV à des fins de sécurité nationale, ont fait valoir des officiels égyptiens en mentionnant l’existence de tels systèmes de surveillance high-tech aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.
Néanmoins, selon des activistes, si le projet est mis en œuvre, il représentera l’un des plus perfectionnés du Proche-Orient.
Répression de la dissidence
Les trois agences de renseignement d’Egypte – l’« amn al-dawla » du ministère de l’Intérieur, les mukhabarat ou services de renseignement, et l’agence de renseignement militaire – pourraient être impliquées dans le projet, selon Amr Gharbeia, un défenseur de la vie privée.
Il craint que les données résultant de la surveillance ne soient exploitées pour poursuivre en justice des activistes et des manifestants, sans procès en bonne et due forme.
« Il n’y a pratiquement aucun contrôle sur les agences de renseignement en Egypte. Leur rôle est [...] celui d’agents souverains sur lesquels [les tribunaux] n’ont pas juridiction. »
L’année dernière, al-Araby avait révélé que des enregistrements vidéo montrant le meurtre de manifestants par des policiers pendant les soulèvements de janvier 2011 près du musée national égyptien avaient été effacés.
Bien que le tribunal ait donné aux services du renseignement national l’ordre de lui remettre les enregistrements dans le cadre du procès du Président déchu Hosni Mubarak, les vidéos relatives à la période allant du 25 au 31 janvier 2011 n’étaient plus disponibles.
Outre l’adoption en 2013 d’une loi interdisant les manifestations, l’Egypte a pris une série de mesures visant à surveiller les citoyens, faisant appel aux services d’une société de sécurité online chargée de surveiller les communications sur internet dans le cadre d’une nouvelle campagne de surveillance des réseaux sociaux.
La mesure s’ajoute à la création par le gouvernement en 2008, en réponse à une vague de manifestations dans la ville industrielle de Mahalla, d’une unité opérationnelle ayant pour mission de surveiller et intercepter les communications online.
Des chercheurs en matière de sécurité ont prouvé qu’un dispositif de la firme de sécurité Blue Coat, basée aux Etats-Unis, avait été utilisé dans un réseau public égyptien en 2013.
Selon Amr Gharbeia, le ministère de l’Intérieur a utilisé le système pour identifier et arrêter des groupes de personnes critiques du gouvernement, souvent sur la base de commentaires publiés sur Facebook.
« Des sources policières se sont vantées d’avoir arrêté des centaines de personnes, même des enfants, embarquant des groupes entiers d’individus associés à une adresse IP spécifique », a indiqué Gharbeia à la revue The Intercept.
Il a ajouté que le gouvernement était allé jusqu’à faire pression sur les sociétés de télécommunications afin qu’elles identifient les propriétaires de cartes SIM avant d’activer un numéro de téléphone.
« La pression va croissante sur les compagnies de télécommunication afin qu’elles n’activent pas une ligne téléphonique avant d’avoir relié une carte SIM à un individu spécifique. Cela signifie que pour ce faire, quelqu’un, qui n’est pas un membre autorisé du gouvernement, a accès à des informations personnelles et à des dossier d’identification », a expliqué Amr Gharbeia.
Traduction de l’anglais (original).
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