Fusillade à la frontière jordanienne : le lien entre la guerre en Syrie et le trafic de drogue
Une fusillade à l’aube ainsi qu’une saisie de drogue à la frontière entre la Jordanie et la Syrie ont laissé plusieurs trafiquants pour morts et révélé une cache énorme de stupéfiants et d'armes.
Cet incident met en lumière la fragilité des défenses de la Jordanie contre le chaos régional. Avec l’embrasement d’une guerre civile syrienne à sa frontière nord et les militants de l'Etat islamique en Irak à sa frontière orientale, la Jordanie est placée sous l’immense pression de devoir renforcer ses frontières et de repousser les trafiquants, combattants et autres éléments déstabilisateurs.
Violation de frontières
Les tentatives des trafiquants et des combattants de violer la frontière entre la Jordanie et la Syrie ne sont pas rares. Mais l'incident de dimanche a été notable non seulement en raison de l’importance de la prise de drogue, mais aussi par l’implication de factions opérant déjà à l'intérieur de la Jordanie.
Selon une déclaration des forces armées jordaniennes, les gardes-frontières ont repéré à l’aube deux véhicules qui approchaient de la frontière syrienne. Les gardes ont alors tiré des coups de semonce pour arrêter les véhicules et ont ouvert le feu quand ceux-ci n’ont pas obtempéré. À ce stade, deux véhicules supplémentaires se sont approchés du côté jordanien de la frontière "pour aider les infiltrés". Une fusillade s’en est suivie, poussant les autorités à fermer toute la zone. Tous les présumés infiltrés auraient été tués.
Le porte-parole du gouvernement Mohammad al-Moumni a déclaré à Middle East Eye, « la Jordanie doit gérer la question des frontières non contrôlées du côté syrien, à partir desquelles nous avons des tentatives d'infiltration à travers nos propres frontières. Les forces militaires jordaniennes sont engagées de façon résolue et ferme, détruisant et tuant tous ceux qui essaient de traverser nos frontières ».
Mais ces tentatives sont de plus en plus audacieuses et sophistiquées, et les prises de drogues et d’armes vont s’accroissant.
Lorsque les autorités ont examiné les véhicules impliqués dans l’incident de dimanche, elles ont trouvé des fusils à lunette, des pistolets, des radios, des jumelles, du haschich et plus de six millions de pilules de captagon. Mohammad al-Moumni a qualifié cette quantité de captagon de « significative ».
Le captagon est le nom commercial d'un psychostimulant appelé fénéthylline. C’est une amphétamine connue pour être utilisée par des combattants en Syrie et en Irak, afin de leur donner un coup de fouet chimique et de combattre plus longtemps et plus durement.
En Jordanie, le captagon est une drogue récréative. Elle est utilisée dans les lycées et les universités par des étudiants qui cherchent à dormir moins pendant la période des examens, ou pour un rapide coup de fouet aux amphétamines. Les utilisateurs déclarent se sentir alertes, attentifs, mieux en mesure de se concentrer.
« Parmi les élites, vous ne pouvez pas imaginer la demande », déclare à Middle East Eye un jeune jordanien familier des milieux de la drogue récréative.
«Les gens en prennent tout le temps lors de soirées festives. Le MDMA n’est pas tant populaire, mais le captagon, que nous appelons ‘cristaux’, l’est énormément. »
Connexion de drogues
L’ascension de la consommation du captagon en Jordanie souligne le lien entre la guerre en Syrie et le milieu de la drogue en Jordanie. Plusieurs jeunes à Amman qui utilisent cette drogue ou connaissent des gens qui l’utilisent, disent que sa disponibilité a considérablement augmenté depuis le début du conflit syrien.
Le captagon est une drogue relativement simple et peu chère à produire, et un paquet de pilules de haute qualité peut se vendre jusqu'à 200 dinars jordaniens à Amman. Les pilules de qualité moindre sont appelées à Amman « sept-huit » et se vendent entre 60 et 80 dinars jordaniens le paquet.
La drogue est fabriquée au Liban, en Arabie saoudite et en Syrie. Ce dernier coup de filet – à la suite d’une série d'incidents similaires, quoique de moins grande ampleur - suggère un flux croissant du trafic de captagon de la Syrie vers la Jordanie ; le bénéfice de ce commerce retournant probablement en Syrie. La fréquence de la drogue sur les champs de bataille syriens et irakiens souligne le lien entre la drogue et la guerre - et comment, malgré le blocus sur les frontières jordaniennes, la drogue préférée d’Amman peut aider à financer le conflit voisin.
La Jordanie a jusqu'à présent réussi à tenir à distance le conflit régional, malgré l’accueil de plus d'un million de réfugiés syriens dont l’impact sur les services sociaux, économiques et les secteurs de la sécurité se fait sentir. Le pays est économiquement arrivé à un point de rupture. Mais les autorités considèrent la question de la frontière comme une ligne rouge. Avec l'appui de ses alliés régionaux et en Occident, elles travaillent d'arrache-pied pour verrouiller les frontières du royaume et préserver son intégrité territoriale à tout prix. C’est là une bataille que la Jordanie ne peut se permettre de perdre.
Traduction de l'anglais (original).
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