Vives condamnations des procès de masse « grotesques » en Egypte
Les condamnations à la peine de mort prononcées contre l’ancien président égyptien Mohamed Morsi et des dizaines de dirigeants des Frères musulmans pour espionnage et évasion de prison ont provoqué une avalanche de critiques de la part des familles.
« La peine de mort prononcée à l’encontre de mon père est grotesque », a déclaré Aisha, fille du chef-adjoint des Frères musulmans Khairat al-Shater à l’agence Anadolu.
Mardi, un tribunal égyptien a condamné Morsi et près de cent autres personnes à la peine capitale pour avoir prétendument pris part à une évasion de prison pendant le soulèvement de 2011 en Egypte qui a mis fin au règne autocratique du président Hosni Moubarak.
Le tribunal a également condamné Morsi à une peine de prison à perpétuité pour avoir supposément conspiré avec le groupe palestinien du Hamas et le Hezbollah libanais afin de perpétrer des « actes terroristes » en Egypte.
Le même tribunal a condamné seize dirigeants des Frères musulmans, dont al-Shater, à la peine de mort pour avoir prétendument conspiré avec le Hamas et le Hezbollah.
Aisha indique que les familles et les prévenus s’attendaient à ces condamnations à mort.
« On s’attendait à de tels procès grotesques vu qu’il n’y a aucun respect de la loi ici ».
L’Egypte connait une période de troubles depuis que l’armée a déposé Morsi, le premier président librement élu du pays, lors d’un coup d’état en 2013 qui a succédé à des manifestations de masse contre son gouvernement.
Depuis l’éviction de Morsi, les autorités égyptiennes ont lancé une répression implacable contre les dissidents, ciblant tout particulièrement les partisans de Morsi. Plusieurs centaines de personnes ont été tuées et des milliers d’autres emprisonnées.
« Motivations politiques »
Aisha a vaillamment prévenu que les condamnations à la peine de mort ne détruiront pas les Frères musulmans, qui ont remporté l’ensemble des élections parlementaires et présidentielles suite à la destitution de Moubarak.
« Les autorités ont fait pendre de nombreux dirigeants [des Frères musulmans] dans les années 1950, mais les Frères ont survécu », a-t-elle fait valoir, se référant aux vingtaines de responsables des Frères musulmans pendus sous le régime de Gamal Abdel-Nasser.
Pour le fils de Morsi, la peine de mort émise contre son père et les autres dirigeants des Frères musulmans s’appuie sur des « motivations politiques ».
« Nous n’acceptons pas ces verdicts », a déclaré Osama Morsi à Anadolu.
Selon lui, les décisions du tribunal – dont il est encore possible de faire appel – reflètent « la chute et la peur du régime du coup d’Etat ainsi que sa tentative d’échapper à l’épée de la révolution ».
« Ce sont des verdicts politiques et ceux qui sont responsables de ces procès grotesques seront jugés ».
Ammar al-Beltagi, fils d’un haut responsable des Frères musulmans, Mohamed al-Beltagi, a pour sa part indiqué que ces verdicts reflétaient « la nature des régimes militaires ».
« [Les condamnations] reflètent la nature d’un coup d’Etat militaire, qui dépend du meurtre comme seule technique », a écrit Ammar sur sa page Facebook.
Ammar, dont le père a écopé de la peine de mort pour l’affaire de l’espionnage et d’une condamnation à perpétuité pour celle de l’évasion de prison, appelle à unir les efforts pour combattre ce qu’il décrit comme la corruption, la tyrannie et le terrorisme.
« La solution réside dans la résistance à l’oppresseur », a-t-il dit.
Sondos Assem, un ancien collaborateur de Morsi âgé de 26 ans qui a été condamné in absentia à la peine capitale dans l’affaire d’espionnage, pense que les verdicts pourraient embarrasser Sissi.
« Le régime militaire en Egypte ne peut qu’être embarrassé d’avoir rendu des verdicts aussi oppressifs », a-t-il déclaré à Anadolu. « Je condamne fermement ces verdicts politisés, rendus par un système judiciaire manquant aux exigences minimums d’indépendance et de justice. »
Les verdicts de mardi ont suscité de nombreuses condamnations de groupes internationaux de défense des droits de l’homme demandant la libération de tous les prisonniers détenus dans des procès « politiquement motivés » en Egypte.
Des « procès de masse défaillants », selon Human Rights Watch
L’association de défense des droits de l’homme basée à New York Human Rights Watch (HRW), a appelé le gouvernement égyptien à cesser les exécutions.
Dans un communiqué publié mardi, l’ONG a déclaré qu’elle : « s’oppose à la peine de mort dans tous les cas et a demandé au gouvernement égyptien de mettre un terme aux exécutions ».
Depuis la destitution de Morsi, les autorités égyptiennes ont procédé à l’exécution de sept personnes pour crimes violents présumés contre le nouveau gouvernement ou ses partisans, et a condamné quelques 600 personnes à la peine de mort, a précisé le communiqué.
« Les verdicts [du 16 juin]… ont été ternis par des violations au droit à un procès en bonne et due forme et semblent être inspirés par des motivations politiques. Les condamnations se fondent presque exclusivement sur les témoignages des responsables de la sécurité », ajoute HRW, qui poursuit :
« Un examen des résumés des dossiers de l’accusation par Human Rights Watch a trouvé peu de preuves permettant d’étayer les condamnations émises à l’encontre de Morsi et 130 autres personnes pour l’évasion de prison de 2011, et de Morsi et 35 autres suspects pour l’accusation de conspiration avec des puissances étrangères contre l’Etat - à l’exception du témoignage des officiers de l’armée et de la police ».
HRW a précisé que le compte-rendu complet des jugements n’a pas encore été rendu public.
« Ces procès montrent que les tribunaux égyptiens sont prêts à condamner les opposants au gouvernement à la peine de mort avec pratiquement aucun égard pour les normes d’un procès équitable », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice du département Moyen Orient et Afrique du Nord de HRW.
« Ils font suite à une série de procès de masse défaillants à l’encontre des membres des Frères musulmans. »
Amnesty International a également vilipendé le verdict contre Morsi.
« Cette conclusion est affligeante et, malheureusement, peu surprenante. Il s’agit tout simplement d’un autre symptôme de l’effondrement effroyable connu par le système judiciaire égyptien », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, vice-directrice du programme Moyen Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.
La réaction de l’Occident à la sentence de Morsi critiquée
Plusieurs experts ont critiqué la façon dont les pays occidentaux, notamment les Etats-Unis, ont réagi face à l’imposition de la peine de mort par le gouvernement égyptien dirigé par l’armée.
John Esposito, professeur de relations internationales et d’études islamiques à l’université de Georgetown, Washington DC, a indiqué à Anadolu que l’établissement de la démocratie en Egypte avait disparu sous le président égyptien actuel, Abdel-Fattah al-Sissi.
« L’Egypte n’est pas sur la voie de la démocratie. Il n’y a ni démocratie ni désire de démocratie dans l’Egypte de Sissi aujourd’hui », a indiqué l’universitaire américain.
Esposito a par ailleurs insisté sur le fait que sous Sissi, la violence est plus intense que sous n’importe quel autre gouvernement de l’histoire modern de l’Egypte. « De connivence avec les juges nommés du temps de Moubarak, l’Egypte a tenu des procès vitrines, uniquement pour la forme, qui se sont traduits par des procès de masse [et] de multiples condamnations à la peine de mort, » a-t-il ajouté.
Emad el-Din Shahin, professeur détaché à l’université de Georgetown, a également critiqué le système judiciaire de l’Egypte.
« Il est devenu un outil dans les mains d’un régime militaire répressif et sert à éliminer les opposants politiques. Il est extrêmement politisé et fait preuve d’un manque de respect total pour les règles du droit et d’un procès équitable », a affirmé Shahin, l’une des personnes déférées à la justice égyptienne pour son appartenance présumée aux Frères musulmans, à Anadolu.
Il a exhorté la communauté internationale à « ne pas récompenser le régime de Sissi ».
Bien que la Maison Blanche ait déclaré être « profondément troublée » par l’issue du procès de Morsi, des experts ont observé que Washington pourrait, s’il le voulait, faire pression sur le Caire et empêcher Sissi d’effacer les Frères musulmans de la carte politique du pays.
Ramsey Clark, ancien procureur général des Etats-Unis, a indiqué à Anadolu que Washington était au contraire en train de faire preuve d’un « manque d’influence sur l’Egypte ».
« Il ne devrait y avoir aucun soutien aux dictateurs ; c’est que qu’un pays démocratique doit montrer », a-t-il dit.
Mais au lieu d’imposer des sanctions au Caire, Washington a mis fin à une suspension de l’aide militaire à l’Egypte, imposée en 2013 en raison de la répression violente du gouvernement à l’encontre de l’opposition, qui avait résulté dans la mort de nombreux militants pro-démocratie.
Le président américain Barack Obama a égalent approuvé la livraison d’une dizaine d’avions de combat F-16 à l’Egypte et a promis de demander au Congrès 1,3 milliards de dollars d’aide militaire annuelle pour l’Egypte.
Outre les Etats-Unis, des pays européens comme l’Allemagne ont accueilli Sissi lors de ses récents déplacements à l’étranger, signant des contrats d’une valeur de plusieurs milliards de dollars en dépit du mauvais bilan de son gouvernement en matière de droits de l’homme.
Le ministère des Affaires étrangères allemand a toutefois critiqué mercredi les condamnations à la peine capitale, les décrivant comme « inhumaines », et a demandé à la justice égyptienne de se conformer aux normes internationales et de garantir un procès impartial.
« Il ne devrait pas y avoir de condamnations politiques », a déclaré le ministère.
Traduction de l’anglais (original).
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