Qui sont les combattants étrangers qui s’attaquent à l’Etat islamique ?
HASSAKE – « Si le heval Obama continue de faire son travail, nous marcherons demain vers la victoire. » En s’exprimant sur les frappes aériennes de la coalition, qui, espère-t-il, toucheront les bases de l’Etat islamique (Daech) qui se trouvent à proximité, le commandant Soran utilise le mot kurde « heval », qui signifie ami ou camarade, pour parler du Président américain.
Ce commandant de 35 ans se tient sous une lampe à huile dans un village chrétien abandonné du nord-est de la Syrie, et tente de rassurer ses hommes — des combattants kurdes des YPG, les « Unités de protection du peuple » — sur le fait que leur offensive contre un village proche contrôlé par Daech se passera selon leurs plans.
Mais, après des jours de dur combat, ses troupes sont épuisées. Beaucoup de ses hommes dorment déjà, emmitouflés dans des couvertures qu’ils ont trouvées dans des maisons abandonnées.
Contrairement à certains de ses camarades, le commandant Soran n’a pas passé sa vie sur le front. En fait, il y a encore quelques années, il vivait et travaillait dans une ferme fruitière de la campagne anglaise.
Il y avait la guerre en Syrie, et Daech, en pleine expansion, menaçait d’envahir son Kurdistan natal, ce qui l’a poussé à revenir en Syrie pour se battre.
Il n’est pas le seul à avoir ressenti cet appel. A ses côtés se trouve un petit groupe de volontaires occidentaux, principalement britanniques et américains, qui ont renoncé au confort de l’Occident pour se joindre au combat contre l’activisme islamiste.
Les combattants occidentaux sont de profils variés : jeunes, vieux, religieux, athées, anarchistes, conservateurs. Ce sont des vétérans de l’armée, des artistes ou des activistes. Peu d’entre eux partagent autre chose que leur haine de Daech, et, dans la majorité des cas, un certain respect pour les Kurdes.
L’un des volontaires, le heval « Kamal » (le nom kurde que les YPG lui ont donné), travaillait dans la vente aux Etats-Unis. Mais, après avoir été témoin des attaques du 11 septembre à New York, il a décidé de rejoindre l’infanterie américaine aéroportée, et faisait partie des premiers soldats à atterrir en Irak en 2003. Lors d’un déploiement en Irak, Kamal est entré en contact avec plusieurs Kurdes, et il a été frappé par ce qu’il décrit comme leur « gentillesse et leur bravoure ».
Lorsque l’opportunité de combattre Daech aux côtés des Kurdes s’est présentée l’an dernier, dit-il, le choix a été sans appel.
« Je n’avais pas d’enfants, je n’étais pas marié, et je ne possédais quasiment aucun bien. C’est bien plus facile de venir ici quand il n’y a presque rien qui vous retient à la maison. »
Kamal se bat avec les Kurdes depuis environ six mois, et il dit qu’il n’a pas pour projet de retourner en Amérique.
Lorsqu’on le regarde plaisanter avec ses camarades kurdes, on comprend bien qu’il a réussi à gagner leur respect. Après l’avoir vu risquer sa vie plusieurs fois pour aller récupérer des combattants kurdes blessés, le commandant Soran le garde maintenant près de lui pendant les combats.
Kamal voit dans son intégration au sein des combattants kurdes une part essentielle de son engagement dans le combat.
Mais d’autres volontaires occidentaux qui se battent en Syrie ne sont pas assimilés, d’après Macer Gifford —le heval « Baran » — un Britannique qui a combattu en Syrie avant de retourner récemment au Royaume-Uni.
« Cela me chagrine de dire qu’il y a toujours un ou deux marginaux qui arrivent avec une attitude totalement inappropriée », dit-il.
« Ils ne s’intègrent pas parmi les Kurdes, et leur obsession est d’aller se battre contre Daech. Les gens ne comprennent pas toujours que, lorsqu’on vient ici, le combat contre Daech ne représente qu’un des aspects. Il faut réaliser qu’on ne peut pas venir ici et fonctionner en loup solitaire ; il s’agit autant d’intégrer un mouvement que de combattre Daech. » Macer Gifford dit que les « loups solitaires » ne tiennent en général pas aussi bien dans la durée. Certains se retrouvent tout bonnement renvoyés chez eux par les YPG.
Il y a aussi certains combattants occidentaux qui ne s’entendent pas avec les YPG sur le plan politique.
Fondées en 2004, mais réellement actives depuis le début de la guerre civile en Syrie en 2012, les YPG sont étroitement liées avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Turquie, un ancien mouvement marxiste-léniniste qui a été placé sur la liste des organisations terroristes interdites par l’Union Européenne en 2002.
Le portrait d’Abdallah Ocalan, le dirigeant du PKK, que ses disciples surnomment affectueusement « Apo » (oncle), est visible dans les vitrines des magasins, sur des autocollants de pare-chocs, et même en tatouage sur le torse de combattants dans tout le Kurdistan syrien.
Certains Occidentaux ne sont pas aussi orientés à gauche, et regrettent le fait que le « confédéralisme démocratique » d’Abdallah Ocalan, qui embrasse une idéologie socialiste libertaire dérivée des écrits de l’anarchiste américain Murray Bookchin, leur soit inculqué de force par leurs instructeurs kurdes au cours de leur entraînement d’initiation quand ils arrivent sur place.
Pour l’une des recrues occidentales, un combattant britannique dénommé « Shiyar », ce qui touche à la politique est de moindre importance.
Allongé sur une table d’opération d’un poste médical avancé à la périphérie de la ville d’Hassaké, au nord-est de la Syrie, Shiyar se tord de douleur tandis qu’un médecin kurde recoud une blessure infligée par un éclat d’obus à l’arrière de son crâne ; le résultat d’une attaque à la fusée sur un véhicule blindé de transport de troupes fabriqué en Russie dans lequel il se trouvait.
Lorsque les effets de la morphine se dissipent, Shiyar reprend ses esprits. « Qu’est-ce qui s’est passé ? Est-ce qu’on a réussi à prendre le village ? », demande-t-il en se redressant sur son séant.
« Non, mon pote. Cette fois, ils nous ont repoussés », répond un autre combattant, également britannique, dans une grimace.
Le commandant Soran explique qu’il a vu les volontaires étrangers se succéder. L’impact de leur présence est souvent plus symbolique qu’autre chose, et beaucoup d’entre eux le savent, dit-il.
Pour les Kurdes, toutefois, il semble que le combat puisse encore durer des années. Beaucoup ne survivront pas jusqu’à voir leur rêve, un Kurdistan libéré, se réaliser.
« Au bout du compte, il faut être modeste », dit le heval « Cudi », un volontaire venu du Staffordshire, au Royaume-Uni. « C’est leur combat, pas le nôtre, mais on peut quand même leur offrir notre solidarité. »
Traduction de l'anglais (original) par Mathieu Vigouroux.
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