Quatre ans plus tard : les réfugiés syriens en Irak délaissent les tentes pour le béton
DOMIZ, Irak – Des gouttes de sueur coulent sur le visage de Sermin Hussein tandis qu’il s’assied à l’ombre, à bout de souffle après avoir mélangé le béton épais et lourd qui servira à construire une modeste maison. Son frère prend le relai, tandis que son père nivelle le sol et que sa sœur ramène un autre seau d’eau à incorporer au béton. C’est une affaire de famille.
« Nous bâtissons une ville ici », plaisante Hussein en reprenant son souffle. « Et dans deux ans, elle sera mieux que celle de Dohuk. »
Dohuk, grande ville du Kurdistan irakien, se trouve à seulement quelques kilomètres de là, mais elle ne fait pas face à la concurrence d’un promoteur audacieux. Hussein est un réfugié syrien qui vit dans le camp de réfugiés de Domiz depuis quatre ans. Excédée de vivre dans des tentes, la famille d’Hussein, comme la plupart des familles vivant à Domiz, a commencé à construire de manière durable.
Le camp de Domiz était constitué de dizaines de rangées de tentes salies, battues par le sable du désert porté par le vent à travers ce paysage aride. Aujourd’hui, des maisons ont été façonnées à partir de briques, de tôle ondulée, de panneaux de bois et de restes de tentes floquées du logo du HCR. Cependant, il manque une chose à chaque maison : un toit convenable.
« Nous ne sommes pas autorisés à construire un vrai toit, elles [les autorités du camp] ne veulent pas que nos maisons deviennent de vraies maisons », explique Hussein, montrant le panneau de bois plat que sa famille utilise comme toit de fortune. Dans l’ensemble du camp, les toits ont été confectionnés à partir de panneaux de bois et de feuilles de plastique, tous posés à plat : les toits en pente ne sont pas autorisés. « Je pense qu’ils essaient de faire comme si la situation n’était pas en train de devenir permanente, voilà pourquoi ils ignorent tout, sauf les toits. »
Hussein croit également que le gouvernement régional du Kurdistan local (KRG) ne souhaite pas qu’ils s'installent dans la région, espérant plutôt qu’ils repartiront tous en Syrie, et met la pression sur les responsables du camp et le HCR pour endiguer la construction de maisons dignes de ce nom.
Le camp se transforme néanmoins déjà en ville de fortune. Des commerces bordent la rue principale du camp, bifurquant vers les routes secondaires, où de petites échoppes ont également commencé à se développer. Des photographes de mariage, des restaurants, des bars à chicha, des magasins de vêtements et des barbiers (tous avec des toits de fortune plats) ornent le camp. Tandis qu’il s’occupe de sa petite épicerie près de la rue principale, Abdelrahman Shindil, un autre résident du camp, fait remarquer à Middle East Eye avec un grand sourire que tout ce qui leur manque, c’est une bijouterie. Abdelrahman Shindil, originaire de Kameshli dans le nord la Syrie, est arrivé il y a quatre ans avec sa femme et ses trois jeunes enfants.
« Nous vivions dans des tentes avant, mais nous avons acheté cette maison il y a environ six mois. J’ai ensuite construit mon épicerie à côté afin d’avoir un revenu sans quitter ma famille », explique Abdelrahman, debout devant une petite épicerie vendant essentiellement des bonbons, des boissons sucrées et des articles ménagers bon marché.
Le marché du logement dans le camp de Domiz est en plein essor et ne montre aucun signe d'un prochain ralentissement. Une tente et son espace alloué peut valoir plus de 1 700 €. Toutefois, les tentes font cruellement défaut dans le camp ces derniers temps. Au cours de la dernière année, de petites structures en béton ont commencé à occuper la plus grande partie de l’espace du camp. Une petite maison comportant deux chambres, un salon et une cuisine, ainsi qu’un petit espace extérieur pour s’asseoir ou jardiner, s’achète entre 3 500 et 6 000 euros.
« Nous avons acheté cet endroit pour 3 500 euros », rapporte Mohammed Aziz à MEE, en se détendant à l’extérieur dans un salon bétonné avec les membres de sa famille. La maison possède deux petites chambres, une cuisine et une salle de séjour.
« Pour nous, ce n’est pas définitif, nous voulons rentrer en Syrie », déclare Aziz. « La Syrie est notre foyer, mais pour l’instant nous avons besoin d’une maison et une tente n’en est pas une. »
Quand une maison arrive sur le marché, le plus souvent lorsqu’un habitant du camp se marie en dehors de celui-ci ou parce qu’un réfugié a obtenu un emploi permanent et peut se permettre de déménager, la construction et le bout de terrain attenant s’arrachent rapidement. Techniquement, ces activités d’achat et de vente au sein du camp vont à l’encontre des règles, mais les réfugiés ont trouvé des moyens inventifs pour transmettre les maisons à des « parents », ce qui est autorisé, ainsi que l'ont expliqué à MEE de nombreux réfugiés.
Hussein insiste sur le fait que les gens du camp ne sont pas riches : les familles épargnent pendant des années sur l’argent qu’elles touchent grâce à leurs emplois temporaires afin d'être en mesure de déménager dans une petite maison. « Que peuvent-ils faire d’autre pour rendre leur vie un peu plus agréable ? », demande-t-il. « Nous ne pouvons pas continuer à vivre dans des tentes » répète-t-il à MEE, un sentiment partagé à travers le camp.
« La première année, nous avions l’espoir de retourner en Syrie », poursuit Hussein. « Mais maintenant, nous n'avons plus aucun espoir. C’est terminé. Le conflit et les problèmes continueront en Syrie pendant qui sait combien de temps. Donc, ici, c’est désormais ma maison. C’est tout ce que nous avons, nous devons en tirer parti. »
Hussein vit maintenant au numéro 145 Hivi Quarter, Domiz Camp. De nouveaux panneaux indiquant les noms des rues et les numéros de portes bordent les routes du camp. De petits jardins surgissent en face des structures, soigneusement entretenus par les membres plus âgés des familles, tandis que les enfants se réunissent avec enthousiasme pour aider à peindre les murs de leur nouvelle maison.
Il est difficile de nier qu’une nouvelle ville de 70 000 personnes se crée ici. La grande majorité des réfugiés de Domiz viennent de Kameshli et de ses zones périphériques au nord de la Syrie et les anciennes communautés se reforment et se renouvellent. Les gens ne se soucient plus beaucoup de l’endroit où ils essaient de s’installer désormais dans le camp. « La plupart des gens essaient simplement de vivre près de leurs anciens amis et voisins », raconte Hussein à MEE. On dirait presque que Kameshli et sa population d’avant-guerre, comptant un peu moins de 200 000 habitants, se recrée en miniature sur une plaine poussiéreuse du nord de l’Irak.
Alors que les réfugiés semblent accepter plus ou moins le caractère définitif de leur situation, des graffitis griffonnés sur les bâtiments par les jeunes désœuvrés ainsi que les noms des commerces font allusion à la Syrie : la plupart des gens qui ont parlé à MEE continuent d'espérer y retourner un jour. « Je ne me sentirai jamais vraiment chez moi ici », regrette Hussein, alors même qu’il poursuit la construction de la structure en béton qu’il appellera bientôt « maison ».
Hussein raconte que, parfois, il frémit à la pensée que ses futurs enfants qualifieront cet endroit de « maison », en regardant les nombreuses rangées de logements qui sortent de terre. Il sait que cette possibilité existe ; le Moyen-Orient a déjà connu cela.
« Dieu m'en est témoin, au fur et à mesure que le temps passe notre situation deviendra identique à celle des Palestiniens : les camps deviendront permanents et ils se transformeront en villes comme ce fut le cas des camps palestiniens. Les Palestiniens ont commencé avec des tentes, puis ont commencé à construire des maisons et désormais nous faisons la même chose. Ce sera comme les camps palestiniens que nous connaissons en Syrie. »
Traduction de l'anglais (original) par VECTranslation.
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