Maîtrise diplomatique en Iran : un succès digne du Nobel d'Obama ?
Dans les douze mois suivant son élection, Barack Obama a reçu le prix Nobel de la paix en 2009, bien qu'il n’ait rien fait pour mériter cet honneur célèbre. Il en a été de même pendant les six années suivantes de sa présidence.
Le président américain a enfin réalisé quelque chose d'extraordinaire. L'accord nucléaire avec l'Iran est bien plus que la fin de deux décennies de querelles sur les installations nucléaires iraniennes.
Il peut également mettre fin à la longue période d'isolement international de l'Iran. Il rend la perspective d'une guerre au Moyen-Orient beaucoup moins probable. Surtout, il met un terme à une période longue et tourmentée lorsque la politique américaine au Moyen-Orient était dangereusement borgne et déséquilibrée.
L'annonce d'aujourd'hui va ouvrir la voie à une solution pour un grand nombre des problèmes les plus difficiles de la région. Elle marque le couronnement de la présidence Obama. Aboutir à cela a demandé beaucoup de courage des deux côtés. Le Président Rohani a fait face à l'opposition continue au sein de la droite iranienne, surtout de la garde républicaine. Pendant ce temps, le président Obama a fait face à une puissante campagne d'opposition du Parti républicain aux Etats-Unis, soutenue par ses principaux alliés comme l'Arabie saoudite et Israël. Ils ont combattu longtemps et durement pour empêcher l’accord et continueront de le faire. Il est essentiel de noter que l'annonce d’aujourd’hui n’est pas la fin de l'histoire. Le président Obama fera face à une bataille très longue et difficile pour imposer son accord au Congrès. Il en va de même pour le Premier ministre Rohani qui a dû braver de son côté les éléments les plus militants pour obtenir ce résultat.
Toutefois, si cet accord peut être mis en place, je crois que cela pourrait être aussi important que la réconciliation historique entre les Etats-Unis et la Chine au début des années 1970, réconciliation qui a mis fin trois décennies d'isolement chinois et a été l'un des événements les plus marquants du 20ème siècle.
Il en va de même avec l'Iran. Il y a eu une guerre froide (et une série de guerres par procuration vicieuses) entre les Etats-Unis et l'Iran depuis que le chah d'Iran, une marionnette des Etats-Unis, a été renversé en 1979.
Pendant cette période, l'hostilité viscérale envers l'Iran a conduit à plusieurs reprises les Etats-Unis à mal interpréter l'ensemble du Moyen-Orient. Elle a forcé les présidents américains successifs dans une série d'alliances désastreuses avec l'Arabie saoudite, les dictatures du Golfe et Israël. Pendant de nombreuses années, les Etats-Unis étaient le plus proche allié de Saddam Hussein en Irak, fournissant le dictateur irakien sanguinaire en armes chimiques pour qu’il les utilise contre ses ennemis iraniens. Lorsque l'Iran a proposé son aide aux Etats-Unis pour lutter contre les talibans après l'atrocité du 11 septembre à New York, le président Bush a décliné l'offre.
Les présidents américains successifs ont refusé de reconnaître que l'Iran est un Etat avec une histoire ancienne et des intérêts nationaux légitimes, et potentiellement une force profonde pour la stabilité dans tout le Moyen-Orient.
Pour donner un exemple actuel, il n'y a aucune chance d'un accord de paix en Syrie sans la coopération de l'Iran. De même, l'Iran deviendra le plus proche allié des Etats-Unis dans la lutte contre la menace de Daech.
L'avenir de la région aurait été très sombre sans un accord. Le commentateur saoudien souvent bien informé, Mujtahid Bin Hammaam, a supposé sur Twitter il y a quelques jours que la guerre aurait éclaté si les pourparlers avaient échoué à Vienne.
Peut-être Bin Hammaam exagérait le cas. Cependant, la région serait certainement redevenue deux camps armés et cette fois, la guerre froide au Moyen-Orient aurait été plus dangereuse que jamais. L'Iran aurait été soutenu par son voisin la Russie, et encore plus crucialement par la Chine, le challenger mondial émergent des Etats-Unis.
Bien sûr, cela pourrait encore se produire. Il y a des forces puissantes en Arabie saoudite, en Israël, dans les Etats du Golfe et à l'intérieur même des Etats-Unis qui demeurent désespérément contre la réconciliation entre l'Occident et l'Iran. Ils restent déterminés à laisser l'Iran dehors. Il aurait été si facile pour le président Obama de céder à leur pression. C’est un mérite énorme pour le président d’avoir résisté. En Iran, il en va de même pour l'ayatollah Khamenei et le président Rohani. Il existe des forces profondes à l'intérieur de l'Etat iranien qui dépendent de l'état de guerre froide avec l'Occident. Il a fallu beaucoup de courage et de sens politique à Rohani, soutenu par Khamenei, pour les affronter.
Il y a un autre point à faire ici. Pendant les vingt dernières années, l’affirmation générale en Occident était que les conflits entre Etats ont été mieux réglés par la force militaire, d'où les catastrophes de l'Afghanistan, de l'Irak (et plus récemment) de la Libye.
Il aurait été si facile que le différend avec l'Iran dégénère en conflit militaire. En de nombreuses occasions, il l’a presque fait. Il y a toujours une alternative à la guerre. C’est la diplomatie. Les outils de la diplomatie ne sont pas glamour. La diplomatie, c’est parler, cultiver des relations, développer des amitiés, de la patience et un temps infini. Cette annonce est avant tout un triomphe pour la diplomatie. Peut-être que ce n’est pas par hasard que le secrétaire d'Etat, John Kerry, contrairement à George W. Bush, a réellement vu le combat armé en tant que lieutenant décoré de la marine américaine pendant la guerre du Vietnam. Contrairement à Bush, John Kerry a connu la guerre et sait ce que cela signifie.
Il est probablement impossible d’avoir le prix Nobel de la paix à deux reprises, de sorte que Barack Obama pourrait ne pas l’obtenir. Il ne fait aucun doute que John Kerry, qui a été le meilleur secrétaire d'Etat américain depuis James Baker il y a vingt-cinq ans, et le ministre des Affaires étrangères iranien, Javad Zarif, seraient très dignes de le recevoir.
Il faut se rappeler qu'il n'y aurait pas eu besoin d’un accord sur le nucléaire iranien si George W. Bush et Tony Blair n’avaient pas opposé leur veto à l'offre de Javad Zarif faite à l'Occident au Quai d'Orsay durant le printemps 2005.
Au cours des dernières années, les dirigeants occidentaux, influencés par le néoconservatisme, ont trop souvent choisi de résoudre les conflits par la guerre. Quel merveilleux signal est envoyé au monde que le conflit potentiellement catastrophique sur les ambitions nucléaires iraniennes a été résolu sans avoir recours à la force. C’est un glorieux moment pour le monde.
- Peter Oborne a reçu le prix de Chroniqueur de l’année 2013 décerné par la presse britannique. Il a récemment démissionné de son poste de chroniqueur politique en chef au Daily Telegraph. Parmi ses livres, citons : The Triumph of the Political Class, The Rise of Political Lying et Why the West is Wrong about Nuclear Iran.
Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye
Photo : Photo d'archive du président Barack Obama (AFP)
Traduction de l'anglais (original) par Emmanuelle Boulangé
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