Les gisements d’argent du Maroc attirent les mineurs et les protestataires
IMIDER, Maroc – Le petit camp situé sur le mont Alebban, à environ 300 km à l'est de Marrakech, est un endroit rustique immergé dans un paysage aux cinquante nuances de brun. Lorsque le vent souffle fort, votre visage est assailli de sable et de petits cailloux qui vous piquent les yeux. En été, ceux qui vivent sur la montagne du Haut Atlas subissent une chaleur parfois torride, puis le froid glacial de l'hiver montagnard. L'électricité est quasiment absente, à l'exception d'une batterie permettant de recharger les téléphones portables dans l'une des cabanes faites de roche, d'argile et de bois.
Un groupe de manifestants vit depuis exactement quatre ans sur cette montagne située entre Boumalne-Dadès et Tinerhir, comme l'appellent les habitants locaux. Depuis le sommet de la colline, ils surplombent la nationale N10 et la vallée au-delà. De l'autre côté de la vallée, entre les collines lointaines, se trouve l'objet de leur protestation : la mine d'argent de la SMI, la plus grande de ce genre en Afrique.
« La mine est sur notre terre, mais nous n'en profitons pas. Elle pollue nos terres », a affirmé Moha ed-Daoudy, l'un des protestataires. Certains pensent que les travaux contribuent à l'apparition de cancers désormais clairement décelables chez les villageois et qui, affirment-ils, n'avaient pas été observés auparavant.
Les occupants viennent d'Imider, une petite commune composée de sept villages. Leur protestation a commencé en août 2011, après que des jeunes se sont vu refuser des emplois temporaires dans la mine. Selon la direction de la mine, ils ne possédaient par les compétences professionnelles requises, mais les jeunes d'Imider n'ont pas accepté cette explication.
D'autres, dont certains des villageois qui travaillaient dans la mine, ont rejoint la protestation. Ils ont fermé l'une des sources d'eau de la mine, qui a été creusée illégalement, affirment-ils.
Depuis lors, les habitants d'Imider gardent une station de pompage sur la colline et vivent à tour de rôle dans leur village de fortune fait de cabanons. En moyenne, a indiqué ed-Daoudy, environ 100 personnes restent sur la montagne chaque jour, plusieurs équipes étant affectées à différentes tâches, comme par exemple cuisiner, construire ou encore apporter l'eau et la nourriture depuis les villages en contrebas dans la vallée.
Des exigences élémentaires
Les exigences des protestataires sont élémentaires. Ils veulent une étude environnementale indépendante sur l'impact de la mine. Ils veulent des emplois et un accès à l'éducation, ainsi qu'une amélioration des infrastructures et des soins de santé.
En quatre ans, cependant, peu de choses ont changé. Le dialogue initial avec la direction de la mine et les autorités locales a été interrompu en 2012 (les parties se renvoient la balle à ce sujet), mais les protestataires refusent de considérer que leur protestation est futile.
« Nous restons », a affirmé ed-Daoudy, assis dans une petite cabane au sommet de la montagne. Sur les murs sont inscrits des déclarations et des noms de protestataires qui ont été emprisonnés. « L'espoir de voir les choses changer est ce qui nous pousse à continuer. »
La mine d'argent de la Société métallurgique d'Imiter (SMI) a ouvert en 1969 et s'est développée depuis. Elle fait partie du groupe Managem, qui relève à son tour de la SNI, une holding de la famille royale marocaine. En 2014, elle a produit environ 185 tonnes d'argent métal et généré un bénéfice d'exploitation d'environ 45 millions de dollars.
La protestation a tout d'abord touché durement la mine. Au cours des derniers mois de l'année 2011, elle a perdu 36 % de sa capacité, puis 18 % en 2012 (d'après la porte-parole de Managem). L'année suivante, cependant, la production est revenue à la normale, la mine ayant réalisé en partie des économies d'eau et creusé de nouveaux puits. L'avantage pris par les villageois a disparu, mais ces derniers sont restés.
Selon les protestataires, la mine d'argent a eu un impact important sur les sept villages qui forment Imider. Ils affirment que l'eau est devenue polluée à cause des produits chimiques utilisés par la mine ; les anciens racontent également aux jeunes que les cultures de figuiers et d'oliviers ont diminué au fil des ans.
Pire encore, « le cancer est entré dans nos villages, les gens ont contracté des problèmes oculaires », a indiqué Omar Ouadadouch, 27 ans. « Ces maladies n'existaient pas avant. Nous voulons une enquête indépendante, puisque la mine est la seule cause que nous puissions imaginer pour ces maladies. »
Malgré les sollicitations répétées, la porte-parole de Managem n'a pas souhaité répondre aux questions formulées par MEE au cours des dernières semaines. Dans des e-mails précédents, elle avait cependant affirmé que la SMI travaillait avec tous les permis requis et que la mine n'était pas à l'origine des problèmes sanitaires locaux.
« Les études montrent que la mine n'a aucun impact négatif sur l'environnement. Les personnes qui travaillent dans la mine ne souffrent pas de problèmes de santé et les berges ne sont pas polluées », a-t-elle écrit dans un e-mail daté de février 2014. « En général, la mine a eu un impact positif : des images satellite montrent qu'il y a plus de verdure aujourd'hui que dans les années 60. »
En outre, a-t-elle écrit, Managem a aidé à la construction d'un système d'irrigation, et « nous investissons près d'un million de dollars par an dans des projets initiés dans la région pour l'éducation, l'eau, la santé et l'émancipation des femmes. »
Les hommes vivant sur la montagne font peu confiance à l'étude environnementale et aux permis revendiqués par la mine. Ils ont indiqué que les investissements dans la région bénéficient principalement à la ville de Tinerhir, à environ 25 km de là. La ville se développe, de nouvelles routes ont été construites et un hôpital s'y trouve désormais.
L'aide médicale promise par la mine suscite un haussement d'épaules. Le médecin de la mine, qui est censé se rendre à Imider deux fois par semaine, n'est « jamais là », affirment-ils.
« Son cabinet est toujours fermé. Il y a une infirmière, mais son travail consiste pour l'essentiel à vous donner un papier et à envoyer les malades à Tinerhir ou à Boumalne, a expliqué Ouadadouch. Nous aimerions avoir un petit hôpital, avec des équipements de base pour les scanners par exemple. Des milliers de personnes vivent ici, mais les soins de santé sont de mauvaise qualité. »
Un taux de chômage élevé
À travers leur protestation, les habitants d'Imider exigent également un accès à l'éducation et à l'emploi. Le taux de chômage est élevé dans la communauté, qui souhaite que 50 % de l'ensemble des futurs emplois proposés dans la mine soient destinés aux jeunes d'Imider.
La mine rejette cette demande, la jugeant « impossible », mais les protestataires s'y tiennent. « Selon la mine, plus de 20 % de ses travailleurs proviennent de notre communauté, mais ils ne sont pas plus que 14 %, a affirmé ed-Daoudy. Nos vies sont menacées. Il y a de la richesse dans cette région, mais pas pour nous. »
Bien que le drapeau amazigh (berbère) flotte fièrement au sommet de la colline, leur lutte ne se rapporte pas aux discriminations contre les Amazighs, indique Ouadadouch. Ce drapeau sert juste « à montrer notre identité ».
« C'est une lutte des pauvres contre les riches, a-t-il soutenu. Nous n’avons pas d'autres moyens de nous faire entendre. Ils prennent notre richesse, et ce faisant, ils nous tuent à petit feu. »
Cette remarque place cette protestation au cœur des discussions en cours au Maroc, initiées par le roi Mohammed VI l'année dernière, le 30 juillet. Lors de la Fête du trône de 2014, il s'est exprimé sur le développement économique du Maroc, déclarant : « Je m'interroge, comme tous les Marocains : où est cette richesse ? Est-ce que tous les Marocains en ont profité, ou seulement quelques catégories de la société ? [...] La réalité sur le terrain confirme que cette richesse ne profite pas à tous les citoyens. »
Il a demandé à son gouvernement une étude visant à cartographier les zones nécessitant une aide, et a appelé lors de son discours de 2015 à l'élaboration d'un « plan d'action ».
Non, leur combat n'a pas été vain, a affirmé Ouadadouch. Il est convaincu que la protestation d'Imider a contribué à déclencher le débat national. « C'est un accomplissement que nous avons obtenu, même si les choses n'ont pas beaucoup changé pour nous. »
Les quatre années de difficultés et d'absence d'avancées pourraient expliquer pourquoi il a parfois été difficile de maintenir la protestation, a expliqué ed-Daoudy.
« Certains ont abandonné parce qu'ils sont partis vers les villes pour trouver un emploi : l'argent est un problème. D'autres sont partis étudier ou ont tout simplement abandonné. Nous avons toujours des réunions de groupe deux fois par semaine, afin de déterminer notre plan d'action. Tout le monde peut exprimer son opinion librement, et les gens veulent continuer. Donc nous continuons. C'est tout ce que nous pouvons faire. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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