Les migrants expulsés se tournent vers les collines du Maroc
TANGER, Maroc – Une fois de plus, les migrants au Maroc sont en cavale, sans savoir où aller. La semaine dernière, des centaines de migrants ont été expulsés des appartements qu’ils occupaient illégalement dans le quartier de Boukhalef, à la périphérie de Tanger. Des femmes enceintes, des enfants et des hommes ont été chassés des maisons où ils vivaient, leurs effets personnels étant parfois jetés par les fenêtres.
Plusieurs centaines d’entre eux ont fui vers les collines voisines ou ont trouvé refuge dans la cour de la cathédrale de Tanger, à proximité de la médina, où ils vivent depuis.
Alex, un réfugié de 38 ans originaire du Cameroun, n’avait pas mangé depuis deux ou trois jours lorsque Middle East Eye l’a interrogé. Avec cinq autres personnes, il se cache dans un petit buisson au bout d’un chemin rocailleux et escarpé, à vingt minutes de marche de la route principale. Des couvertures et des sacs sont étalés sur le sol : c’est tout ce qu’il leur reste.
Au cours des derniers jours, ils ont survécu grâce à leurs bouteilles d’eau en plastique de cinq litres qu’ils remplissent dans un petit cours d’eau à proximité.
« Nous vivons comme des animaux. Il n’y a aucune solution. Nous avons été expulsés de l’appartement en début de semaine dernière, a raconté Alex. Jusqu’à vendredi, nous étions dans un camp en forêt, mais l’armée est arrivée et nous a chassés. Ils ont pris nos matelas et d’autres affaires dans deux gros camions. Nous avons couru avec ce que nous pouvions emporter, et nous restons maintenant dans les collines, en petits groupes. »
Les tensions s’étaient installées depuis un certain temps à Boukhalef, un quartier populaire à la périphérie de la ville côtière de Tanger, au nord du pays. Les migrants y vivent ensemble dans des petits appartements au milieu d’une communauté marocaine. En général, les maisons appartiennent à des Marocains vivant à l’étranger. Certains migrants ont payé un loyer à des personnes se présentant comme des propriétaires, tandis que d’autres sont tout simplement entrés dans les maisons et ont pris possession des lieux.
Au cours des dernières semaines, cependant, les habitants ont menacé les migrants de les forcer à quitter les maisons. Dans d’autres cas, les vrais propriétaires ont refait surface et ont retrouvé leur maison pillée.
« Avec deux sœurs et leurs bébés, nous avons loué un appartement pour 1 500 dirhams par mois », a expliqué à MEE Liliane Kia, une Malienne de 41 ans. Assise dans la cour sur un rebord en ciment à l’ombre de la cathédrale de Tanger, elle raconte : « Nous n’avons pas signé de contrat, mais le Marocain nous a dit : "C’est ma maison et je n’en ai pas besoin, donc vous pouvez la louer." Nous l’avons cru. »
Il s’est avéré que ce n’était pas sa maison, a raconté Kia. « Quinze voyous avec des couteaux sont arrivés et nous ont dit de partir. C’était la semaine dernière, au beau milieu de la nuit. J’espère que nous pourrons rester à l’église pendant quelques jours en attendant que les choses se calment. »
Évacués vers d’autres villes
Juste avant le départ de Kia et de ses colocataires, les autorités marocaines avaient donné un ultimatum. Les migrants ont reçu l’ordre d’évacuer les appartements sous 24 heures. Dans la matinée du 1er juillet, la police a encerclé la zone et a commencé les expulsions dans au moins quatre-vingt-cinq appartements. Beaucoup de migrants ont été transportés en autobus vers des villes lointaines comme Marrakech, Agadir et même Dakhla, au Sahara occidental, pour les décourager d’essayer de se rendre en Europe. D’autres ont fui vers les collines ou à Tanger.
Au moins un migrant a perdu la vie après être tombé d’un bâtiment de quatre étages, alors qu’il était pourchassé par des habitants, affirment ses amis. L’un d’entre eux a fait voir à MEE une vidéo montrant la victime à l’hôpital, se tordant de douleur. Dans la vidéo, un policier procède à un contrôle et repart. « Personne n’est venu pendant deux heures, puis il a succombé à ses blessures », a déclaré son ami, qui a souhaité rester anonyme.
« Nous avons très peur et nous ne savons vraiment pas où aller », a confié Kia. Elle est arrivée au Maroc il y a quatre mois en provenance de Gao, sa ville natale où elle tenait un petit restaurant. Le voyage de quatre semaines pour rallier le Maroc par le Niger et l’Algérie lui a coûté près de 3 000 euros. « Nous ne pouvons pas rester dans des hôtels. C’est trop cher, et les hôtels n’ont pas le droit d’accepter des sans-papiers. Donc nous restons à l’église pour le moment. Nous espérons que la police n’entrera pas ici. »
À la fin de la semaine dernière, au moins 200 personnes étaient rassemblées dans la cour de la cathédrale. Parmi eux, des femmes enceintes et des enfants âgés d’à peine plus de quelques mois.
Henriette, une jeune femme qui se reposait sur les marches de la cathédrale, a expliqué à MEE qu’elle payait un loyer de 1 000 dirhams (environ 93 euros). La semaine dernière, son voisin de l’étage inférieur est arrivé au milieu de la nuit et l’a chassée. Elle est enceinte de plus de neuf mois et peut donner naissance à tout moment. « J’ai dit à l’homme : "Mais je vais bientôt accoucher." Il s’en est moqué. Je reste à l’église depuis. Les vêtements que je porte sont tout ce qu’il me reste. »
Contacté par MEE par téléphone et par e-mail, le gouverneur de Tanger s’est refusé à tout commentaire. Le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) n’a pas répondu non plus.
Le Maroc fait face aux migrations clandestines depuis des années. Aux abords des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, les migrants prennent d’assaut les barrières de sept mètres de haut depuis des forêts voisines. Depuis Tanger, ils essaient de traverser la mer et d’atteindre l’Espagne dans de petites embarcations ou sur des radeaux qu’ils fabriquent eux-mêmes.
Le royaume a essayé de trouver une solution sous les ordres du roi Mohamed VI. En 2014, environ 18 000 permis de séjour temporaire ont été octroyés à des étrangers. Avec ces permis, les migrants peuvent travailler et ont accès aux soins de santé et à l’éducation pour leurs enfants. Toutefois, de nombreux migrants ont encore du mal à trouver du travail.
Début février, les autorités ont commencé à arrêter les migrants n’ayant pas obtenu de papiers. Ils ont évacué le camp en forêt tristement célèbre situé sur les hauteurs de Gourougou, près de Nador. Des centaines d’occupants ont été emmenés dans des centres à travers le pays, où ils ont été détenus pendant plusieurs semaines. Quand ils ont essayé de retourner à Gourougou, le camp avait été une nouvelle fois évacué.
Alex faisait partie des migrants capturés à Gourougou. Il est arrivé au Maroc an provenance du Cameroun il y a environ huit mois, après un long voyage à travers le Niger et l’Algérie. Depuis Gourougou, il a essayé de s’attaquer aux barrières de Melilla à trois reprises, jusqu’à ce que le camp soit détruit en février. « On m’a emmené à Ouarzazate, dans le sud, et j’ai été détenu dans un centre avec une trentaine d’autres personnes pendant deux semaines. Puis ils nous ont laissés partir. Ils ne savent pas quoi faire de nous. »
Alex a regagné le nord et a terminé à Boukhalef, où la même chose s’est produite. Chassés des appartements et des forêts par la police, les migrants sans permis de séjour n’ont nulle part où aller. En vérité, personne n’a la solution.
Le Père Siméon, désespéré, lève les bras au ciel sur les marches de la cathédrale. Environ deux cents migrants d’Afrique subsaharienne sont assis à l’ombre.
« Leur nombre a triplé depuis hier, a-t-il expliqué à MEE. Ils sont trop nombreux ; nous ne sommes pas équipés pour cela. Il n’y a pas assez de toilettes. La police nous a dit que les migrants devaient partir. Où ? Je ne le sais pas. Ils ne le savent pas. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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