Le périple d’un homme vers l’Europe : Givara se dirige vers le nord à travers les Balkans
Au cours des dernières semaines, Middle East Eye a suivi un jeune réalisateur et acteur syrien, Givara al-Ali, tandis qu’il cherchait à atteindre l’Europe afin de demander l’asile.
Givara a d’abord fui sa Syrie natale pour la Turquie, avant d’arriver en Grèce, où il a fait une vidéo controversée montrant des réfugiés tentant de gagner le rivage au milieu d’une mer de cadavres. La vidéo était mise en scène, mais elle est rapidement devenue virale lorsque des gens ont cru qu’il s’agissait de la réalité.
Deux semaines après, il est parvenu à la frontière macédonienne, où il fut témoin de violents affrontements entre les réfugiés et la police des frontières, celle-ci tentant de limiter l’afflux de réfugiés dans ce petit pays des Balkans qui a décrété l’état d’urgence en raison de cet afflux sans précédent. Après avoir attendu plusieurs jours, il a pu obtenir un cachet officiel l’autorisant à entrer dans le pays. Il a ensuite pris un taxi pour la frontière serbe. Voici la dernière partie de son voyage, racontée par Givara lui-même.
Après quatre jours de blocage à la frontière macédonienne, où ils ne laissaient passer que cinq familles toutes les deux heures, environ 200 personnes – moi y compris – se sont attaquées à la police des frontières et ont réussi à entrer dans le pays.
Comme je n’avais rien à faire à part attendre que ce soit mon tour d’obtenir le cachet officiel, j’ai commencé à demander à des chauffeurs de taxi s’ils accepteraient de prendre des réfugiés qui ne possédaient pas le cachet [obligatoire pour transiter légalement].
Un chauffeur a accepté de me conduire à la frontière serbe pour 300 euros. Alors que je me préparais à partir, cinq bus sont arrivés et leurs conducteurs ont crié : « Montez, vous n’avez pas besoin de cachet ! ». Nous sommes restés là, ne sachant pas quoi faire. Ils nous ont alors dit : « Le gouvernement macédonien nous a envoyé parce qu’il est sous pression et n’a pas la capacité de s’occuper de tous les réfugiés. »
Nous avons grimpé dans les bus, payé 30 euros par personne et nous avons atteint la frontière [au nord] le jour même. Lorsque nous sommes descendus du bus, nous avons constaté qu’environ 2 000 personnes étaient agglutinées à la frontière. Les nouveaux arrivants voulaient passer la frontière avec les 2 000 autres, qui se préparaient eux-mêmes à passer. J’avais un mauvais pressentiment, mais personne ne voulait m’écouter.
En fin de compte, j’ai réussi à convaincre 100 personnes de patienter un peu. Nous avons regardé des centaines de personnes tenter de forcer le passage de la frontière et [nous en avons vu] beaucoup se faire arrêter. Il faisait nuit alors. Nous avons profité du fait que la police de la frontière serbe était occupée avec eux pour nous faufiler, et nous avons réussi à passer inaperçus.
De l’autre côté, il y avait une organisation internationale pour les droits de l’homme, mais je n’ai pas cherché à savoir de quelle organisation il s’agissait. Ils étaient venus avec de nombreux bus et attendaient que les réfugiés traversent la frontière afin de les conduire dans un camp. Ils nous ont dit que les bus étaient gratuits et que nous pourrions avoir à manger et nous reposer un peu au camp jusqu’à l’obtention du cachet officiel du gouvernement afin de pouvoir continuer notre voyage.
Après un court trajet, nous avons atteint le camp.
Alors que nous étions sur le point d’entrer, un groupe d’hommes a crié qu’ils avaient des taxis qui pourraient nous emmener à la capitale. J’ai dit à l’un d’eux que nous n’avions pas de cachet, mais il a répliqué : « Payez et vous atteindrez votre destination. »
Nous avons regardé autour de nous. Personne n’a essayé de nous arrêter. La Serbie est un pays étrange : c’était chaotique, mais facile. Je ne sais pas pourquoi.
Je me suis éloigné de la foule et, avec dix autres hommes, nous nous sommes rendus à l’endroit où se tenaient les chauffeurs de taxi. Nous avons payé 25 euros par personne. Cependant, les chauffeurs nous ont menti et nous ont dit de descendre à environ 50 kilomètres de la capitale. Ils sont partis, nous laissant là.
En fin de compte, nous avons trouvé un bus et nous sommes finalement arrivés à Belgrade dimanche matin. Les personnes qui m’accompagnaient voulaient réserver des chambres d’hôtel pour se reposer car nous étions tous très fatigués. Je leur ai dit que les contrôles à la frontière hongroise se renforçaient de jour en jour et que je préférais ne pas me reposer et aller tout de suite à la frontière.
Ils ont finalement décidé de venir avec moi. Nous avons pris un bus pour la frontière. Il y avait des milliers de personnes là-bas et des camps de fortune montés un peu partout. J’ai demandé à des hommes pourquoi ils étaient toujours là, dans des camps. Ils m’ont répondu que la route vers la Hongrie était très difficile et épouvante, et que la plupart des réfugiés se faisaient prendre.
Ils m’ont averti : « Vous ne pouvez pas échapper à leur police des frontières. Si vous êtes pris, vous avez deux choix : vous acceptez qu’ils relèvent vos empreintes digitales et vous êtes soit emprisonné pendant un mois, soit relâché ; vous refusez le relevé d’empreintes digitales et vous serez humilié et emprisonné, puis renvoyé en Serbie. »
Si vos empreintes digitales sont relevées, vous perdez la possibilité de demander l’asile dans le pays de votre choix. Près de 1 000 personnes auraient refusé le relevé de leurs empreintes digitales et seraient aujourd’hui en prison. 1 500 autres auraient cédé parce qu’elles avaient désespérément besoin d’un abri.
Sur les dix hommes qui m’accompagnaient, la moitié ont décidé de reculer et d’attendre leur chance. Les cinq autres, moi y compris, ont continué vers la Hongrie.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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