Les étudiants palestiniens en première ligne des violences quotidiennes
ABU DIS, territoires palestiniens occupés – L’université al-Qods de Jérusalem-Est s’est retrouvée au cœur de la dernière vague de violences entre Israéliens et Palestiniens. Avec ses quatre campus de part et d’autre du mur de séparation, l'université – seul établissement d'enseignement supérieur de Jérusalem-Est – est depuis longtemps au cœur des tensions, mais ces dernières semaines ont été particulièrement difficiles pour les 12 000 étudiants et le personnel. Les forces militaires israéliennes sont régulièrement intervenues sur les campus, laissant des dizaines d'étudiants blessés lors d’affrontements. Plusieurs étudiants ont également été arrêtés, tandis que trois ont été abattus après qu’ils auraient tenté de perpétrer des attaques.
Sur le campus principal de l’université al-Qods à Abu Dis, où la plupart des cours ont lieu depuis la Deuxième Intifada, on peut apercevoir le Dôme du Rocher, recouvert d’or, brillant à l'horizon au-delà du mur de séparation israélien qui mène à l’université.
Une section du mur, noircie par des pneus et des débris brûlés lors des récents affrontements, porte des stigmates aux endroits où des centaines de manifestants ont attaqué la structure à coups de masse quelques semaines auparavant, lorsqu’est devenue insupportable la frustration au sujet des restrictions concernant les déplacements et l’accès à ce lieu saint, situé à seulement 3 kilomètres de là.
Les étudiants discutent près de l’entrée du campus où les pierres et les grenades lacrymogènes jonchent le sol, vestiges des confrontations quotidiennes avec les forces militaires israéliennes. Le personnel d’entretien termine d’enlever les pots de fleurs et le verre brisés après un raid israélien sur les bâtiments de l’université le 13 octobre, au cours duquel huit étudiants ont été arrêtés.
La violence quotidienne, qui a continué sans relâche depuis le début d’octobre, est un sujet de discussion régulier pour les étudiants, marquant la vie de chacun d’une manière ou d’une autre.
« Je n’étais pas touché par ce qui se passait jusqu’au décès d’une personne avec laquelle je travaillais », confie à Middle East Eye Basher, un étudiant en journalisme du camp de réfugiés de Qalandiya.
« À ce moment-là, je me suis senti différent. J’avais entendu parler de martyrs mais lorsqu’il s’agit de votre entourage, vous voyez les choses d’une autre manière ; c’est une sorte de piqure. »
Une affiche de Diaa Talahmeh, un étudiant en informatique à al-Qods, est omniprésente sur le campus.
La photo, où il apparaît vêtu d’un treillis militaire avec la mosquée al-Aqsa en arrière-plan, est un rappel du conflit plus large qui se joue au-delà des portes de l’université, et de l’impact de l’escalade de la violence.
L’affiche indique qu’il est mort dans une « opération militaire » le 22 septembre, même si la cause du décès est contestée par les responsables israéliens et palestiniens.
Deux semaines plus tard, son ami et camarade d’al-Qods Muhannad Halabi (19 ans) a poignardé et tué deux Israéliens dans la vieille ville de Jérusalem avant d’être abattu.
Avant de mourir, la photo de profil Facebook de l’étudiant en droit avait été remplacée par une photo de son ami Diaa.
Le dernier incident impliquant un étudiant s’est déroulé le 26 octobre : un étudiant palestinien de la ville de Saïr, dans le sud de la Cisjordanie, a été abattu après qu’il aurait poignardé un soldat israélien dans le nord d’Hébron.
La mort d’étudiants suivant des attaques présumées se répercute dans toute l’université, alors que les visages autrefois familiers du campus sont maintenant immortalisés sur les affiches de martyrs.
Ahmad, un étudiant en littérature anglaise originaire d’Hébron, connaît bien le sentiment de perte.
Un ami avec lequel il est assis en dehors du café étudiant, lunettes noires et jouant doucement de l’oud, a du mal à se remettre du décès d’un très bon ami.
« Son ami le plus proche, Mutaz, est mort en martyr au camp de Dheisheh. Nous en avons discuté pendant près de quatre heures aujourd’hui. C’est vraiment difficile d’en parler ouvertement », explique Ahmad.
« C’était un gars bien. Tout le monde l’aimait, mais il est mort. »
Les étudiants discutent régulièrement de la violence actuelle et de ce qu’elle signifie pour les aspirations nationales palestiniennes. L’implication d’étudiants dans les attaques – de personnes qu’ils connaissaient – est quelque chose dont tout le monde a conscience.
« Tout le monde parle d’eux [Talahmeh et Halabi]. La plupart des gens auraient envie de changer leur place avec un de ces gars », raconte à MEE Sabi, un étudiant en journalisme de 24 ans originaire d’Eizariya.
« Ça se passe partout et c’est bien. Je ne parlerais pas d’une troisième intifada, même si je voudrais que cela se produise. Quand on parle d’intifada, cela doit être organisé, bien organisé, et voilà ce qui nous manque. »
Ahmad évoque une révolution du peuple, sans ingérence des dirigeants palestiniens, ce qu’il considère comme entièrement positif.
« Les VRP – que nous appelons les applaudisseurs, les personnes qui justifient la position adoptée par l’AP [Autorité palestinienne] – ont disparu », dit-il.
« J’ai honte d’Oslo. Les forces de sécurité [palestiniennes] sont liées à la coordination de la sécurité [avec Israël]. Pour la plupart des gens, c’est de la trahison. »
Ces dispositions de sécurité ont été exposées à la vue des étudiants lorsque l’université a accueilli le président indien le 13 octobre, au milieu de centaines de membres des forces de sécurité de l’AP lourdement armés, se baladant avec des fusils.
Une heure après la visite, une fois que le président indien est parti, les soldats israéliens ont envahi le campus et arrêté plusieurs étudiants et membres du personnel.
« En tant que Palestinien, je ne veux pas vivre sans dignité », affirme Ahmad.
« Aucune occupation ne dure éternellement. Elle aussi prendra fin, peut-être pas aujourd’hui, peut-être pas demain, peut-être après ma mort. Je n’en serai peut-être pas témoin, mais elle cessera.
« J’y crois. »
« Punition collective »
La localisation du campus Abu Dis fait que des étudiants de Jérusalem et des zones du nord et du sud de la Cisjordanie suivent des cours à l’université, créant une plate-forme pour échanger leurs idées et leurs expériences concernant l’occupation israélienne.
Cependant, les violences quotidiennes et les règles de sécurité relevées au cours des dernières semaines ont affecté les possibilités qu’ont les étudiants de se réunir.
« C’est une université, l’endroit où nous sommes censés être éduqués, pas attaqués par l’armée [israélienne] », déclare Ahmad, originaire d’Hébron, à MEE.
« La situation actuelle est très compliquée. Il y a grève après grève et nous devons évacuer le campus pendant les affrontements. J’ai un cours magistral sur le campus principal d’al-Qods, ça fait deux semaines que je n’ai pas eu ce cours. »
Bachar, du camp de réfugiés de Qalandiya, raconte avoir essayé de produire une émission de radio universitaire pendant trois semaines, mais aucun membre de son équipe n’a été en mesure de venir sur le campus le même jour.
« Soit les routes sont bloquées, soit le campus est évacué en raison d’affrontements. L’armée envahit le campus et tout le monde rentre », explique l’étudiant en journalisme avec une certaine frustration.
« Mais même lorsque les étudiants se rassemblent pour prendre des taxis afin de rentrer chez eux, ils se prennent toujours des gaz lacrymogènes. »
Les semaines d’affrontements suite à la vague de violence en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et en Israël ont rendu pratiquement impossible le fonctionnement de l’université.
Brendan Browne, un chargé de cours invité à al-Qods Bard, rapporte que la quasi-totalité de ses cours ont été annulés depuis le 1er octobre, et les examens reportés à cause des perturbations du programme.
Les étudiants sont en colère, ils manquent des cours, et selon Browne, beaucoup se sentent abandonnés par la communauté internationale.
Les étudiants bénévoles auprès du Croissant-Rouge n’ont pour leur part pas vraiment le temps de se reposer sur le campus, et encore moins de chance d’assister aux cours, s’ils ont lieu, car ils courent pour soigner d’autres étudiants victimes d’inhalation de gaz lacrymogène au cours de ce qui est désormais une procédure de routine.
Sabi, qui vient d’Eizariya, dit respecter le travail effectué par les médecins bénévoles, mais il en a marre des perturbations quotidiennes dans la vie étudiante.
« De toute évidence, il s’agit d’une punition collective », dit-il. « Nous payons et il nous faut faire un effort pour venir ici. Puis, nous devons quitter le campus et aller respirer les gaz lacrymogènes ou manger des balles. »
Pour Bachar, Israël n’apprécie pas la présence des étudiants sur le campus d’Abu Dis parce que ce dernier se situe à la frontière entre Jérusalem-Est et la Cisjordanie.
Il a été retenu récemment au check-point de Wadi Nar (surnommé le « Container », qui sépare le nord et le sud de la Cisjordanie) et contraint de réciter une comptine louant la police des frontières israélienne sous la menace d’une arrestation.
« Le soldat voulait me faire reconnaître devant tout le monde qu’il ne s’agissait pas de l’université d’al-Qods [qui signifie Jérusalem] mais de l’université d’Abu Dis. Ils détestent jusqu’au nom, car il symbolise Jérusalem et le nationalisme », raconte-t-il.
« Il m’a humilié alors que je rentrais simplement chez moi. »
Étudier en état de siège
Depuis l’escalade de la violence en octobre, Israël a imposé des règles strictes à Jérusalem-Est et dans le reste de la Cisjordanie occupée, lesquelles nuisent gravement à la capacité des étudiants à rejoindre le campus, avec l’espoir que les cours ne seront pas annulés.
« Il est difficile de se rendre à l’université, si j’avais un cours magistral à huit heures, je n’y arriverais jamais depuis Hébron », indique Ahmad.
« Les transports démarrent à 6 heures, mais il y a le check-point du Container qui divise la Cisjordanie. Parfois, ils nous retiennent pendant des heures. C’est vraiment difficile. »
Les forces israéliennes arrêtent souvent les bus palestiniens aux points de contrôle ; selon Ahmad, les étudiants sont régulièrement fouillés.
« Ces fouilles se déroulent de manière humiliante, parce que les gars doivent parfois être fouillés nus. C’est pernicieux. »
Pour Sabi, les contraintes et les affrontements sont une perte de temps pour les étudiants et une violation de leurs droits.
« Voilà la façon dont ils réagissent face à nous. C’est violent et abusif, mais que pouvons-nous faire en tant qu’étudiants ? Je pense qu’en venant tout simplement ici et en nous asseyant sur nos chaises en tant qu’étudiants, nous montrons que nous avons quelque chose à défendre. »
Brendan Browne, le chargé de cours, dit soutenir les étudiants dans leur désir de continuer comme d’habitude, soulignant l’exemple de la façon dont les étudiants palestiniens ont risqué leur vie pour atteindre leurs universités au cours de la Deuxième Intifada.
« Nous devons essayer de continuer comme d’habitude, parce que si nous arrêtons, si nous fermons cette institution, ou nous ne poursuivons pas nos activités, ils auront gagné, les Israéliens auront gagné. »
Ahmad confirme : « Même s’il y a une grève, même si j’ai peur, même si la route est bloquée, je vais essayer de me rendre à l’université. Je dois venir, parce que ceci est ma façon de montrer que je résiste, que je suis là. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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