La guerre risquée du président « Homeland »
Les attentats de Paris du 13 novembre 2015 justifiaient une réaction ferme de la part du gouvernement français ; signe de la gravité des temps, c’est finalement le chef de l’État qui a pris en charge la « communication de crise ».
Néanmoins, au-delà de l’usage d’une rhétorique menaçante voulue pour souligner son indignation et sa détermination devant les attentats, le détail des dispositions voulues par le président François Hollande, écho de propos naguère tenus par un certain George W. Bush, ont de quoi laisser largement dubitatif. Fort à la fois d’une vague populaire qui abonde en sa faveur et d’une majorité parlementaire, le numéro un français souhaite instaurer un « Patriot Act » à la française qui n’aurait rien à envier à la version originale américaine. Mais pour quelle efficacité ?
Le Versailles du président Hollande
Les effets d’annonce sont toujours à distinguer de leur aboutissement. Pour autant, l’expression par François Hollande de sa volonté de voir adoptées des dispositions qui forceront le tour de vis sécuritaire à l’échelle nationale a de très raisonnables chances d’aboutir. Les souhaits présidentiels formulés devant le parlement réuni en congrès à Versailles le lundi 16 novembre 2015 traduisent clairement la posture d’un pays en guerre.
Outre la proclamation d’un état d’urgence maintenant prolongé pour une durée de trois mois et dont les dispositions sont extrêmement rigides en soi (possibilité pour les forces publiques de décider d’un couvre-feu durement sanctionné s’il n’est pas respecté, de procéder à des perquisitions en toute heure, etc.), on sait maintenant que le chef de l’État français envisage la promotion d’un « nouvel ordre » qui en ajouterait aux liberticides dispositions découlant de la loi sur le renseignement de juillet 2015. En témoignent la volonté de procéder à une réforme constitutionnelle qui augmenterait les pouvoirs des autorités publiques, la possibilité envisagée de déchoir les binationaux de leur nationalité française, la création de 8 500 nouveaux postes dans les domaines de la sécurité, surtout, et de la justice, sans oublier l’intensification – elle aussi d’ores et déjà engagée – des frappes françaises à l’encontre des positions de Daech en Syrie.
En parallèle, le souhait présidentiel de voir l’Union européenne marquer sa solidarité par l’activation de l’article 42-7 du traité de l’Union traduit une prétention à engager les Européens dans un tournant sécuritaire pour lequel les Français indiqueraient supposément la marche à suivre. Quant aux dépenses supplémentaires que ces dispositions impliqueront, la France ne voit pas pourquoi il faudrait s’en inquiéter : « le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité », selon le président français.
Les limites d’une stratégie de sécurisation à outrance
L’accroissement des mesures sécuritaires en France n’est en rien inédit : les dispositions du plan Vigipirate, pensé à la fin des années 70, bercent très régulièrement le quotidien des Français depuis maintenant vingt ans, comme on peut le noter à travers l’avalanche de contrôles qui précèdent la plupart des entrées dans un lieu public. De même, l’opération Sentinelle, instaurée dans la foulée des attaques dites de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de janvier 2015, avait déjà habitué les Français à admettre que le supposé état d’exception soit devenu la norme ; peu de voix se sont en effet élevées contre ce dispositif et le fait qu’il génère une présence armée importante dans les rues.
Ce sont ces mêmes événements de janvier 2015 qui avaient permis au gouvernement français de trouver d’une part un terrain d’application pour la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, comme à travers la recrudescence des arrestations pour délit d’apologie du terrorisme qui suivirent les attentats, et de faire adopter d’autre part une loi relative au renseignement particulièrement musclée, qui comptait parmi ses principales conséquences un renforcement des forces de sécurité et de renseignement.
C’est à cette période, bien que récente, que l’on peut faire remonter les premiers signes évidents de ce que beaucoup de médias appellent, aujourd’hui seulement, un virage sécuritaire qui paraît au demeurant populaire. Mais plutôt que de virage, il conviendrait de parler d’une dérive, peu salutaire, et dont l’efficacité restera à prouver en tout instant.
Il suffit en effet de voir comment les effroyables attaques du 13 novembre 2015 n’ont pu être évitées en dépit des moyens colossaux dont peuvent se targuer les services français de sécurité et de renseignement pour comprendre que la réponse aux menaces terroristes ne passe pas uniquement par des moyens sécuritaires. La France est une cible pour les organisations de type Daech et consorts, et ce fait n’est pas amené à changer de sitôt. Les « cellules implantées sur le territoire national » nécessitent une vigilance et une surveillance de tous les instants, mais le suivi actif qu’ont eu les services français et leurs homologues européens et internationaux d’individus suspects n’a pas pu éviter la tragédie du 13/11.
Quant au renforcement des contrôles aux frontières de l’espace Schengen – disposition extrêmement parlante symboliquement à un moment où l’Union européenne doit faire face à des flux de réfugiés en provenance principalement du Moyen-Orient –, il ne saurait détourner l’attention du nœud du problème. Les auteurs des attentats du 13 novembre 2015, tout comme avant eux ceux des attaques de janvier 2015, proviennent de l’intérieur de l’UE. Et quand bien même ils auraient séjourné dans des camps d’entraînement situés à l’extérieur de l’Union, leur volonté de semer le mal et l’horreur paraît plus franchement répondre à une radicalisation nourrie par leur vécu à l’intérieur, plutôt qu’en dehors, de pays européens.
L’annonce par la France d’un rétablissement des contrôles à ses propres frontières s’inscrit dans le même ordre d’idée. Elle se révèle même pernicieuse à un moment où l’Union européenne est consciente d’être en train de jouer potentiellement sa survie politique. Le réflexe sécuritaire, considérations électoralistes mises à part, peut incontestablement resserrer l’étau autour de bandes organisées aspirant à la réitération du 13/11 ; dans le même temps, la manière par laquelle il se formule contraint et étouffe le supposé esprit européen, sans pour autant mettre à mal une idéologie aux relents violents et mortifères. Sur ce plan, on était, et on demeure, en droit de voir au contraire « l’esprit européen l’emporter sur l’esprit sécuritaire ».
Cette prise de conscience qui ne veut pas venir
Les temps par lesquels passe l’Union européenne ne préjugent de rien de bon. Les attentats du 13/11 révèlent l’ampleur de la menace qui règne au sein de l’UE ; mais la situation envisagée d’un point de vue plus global montre combien nos supposées valeurs de respect, d’ouverture, d’altruisme s’avèrent le plus souvent être de vaines paroles. Dans le fond, la plupart des pays membres de l’UE se voient travaillés par des phénomènes de repli, voire de tentation d’exclusion de « l’autre », dès lors qu’ils perçoivent des menaces contre leurs intérêts. Révélatrice de l’incertitude des temps, cette posture montre aussi combien nous avons pu régresser depuis les temps où « l’Europe » se voulait fraternelle et ouverte à l’élargissement.
Charles de Gaulle est réputé avoir dit que « s’il faut la force pour bâtir un État, l’effort guerrier ne vaut qu’en vertu d’une politique ». C’est ce subtil équilibre que doivent retrouver la France et ses homologues de l’UE. La « traque aux terroristes » se justifie devant l’ampleur de la tragédie du 13/11, mais ce n’est pas pour autant que le « tout sécuritaire » détournera de leurs intentions les individus les plus radicaux, et les organisations dont ils se réclament.
L’état de guerre aujourd’hui proclamé nécessite d’être replacé dans le cadre d’une politique globale et cohérente, que ce soit à l’échelle nationale, européenne ou internationale, qui allie l’intransigeance et la fermeté devant les actes terroristes à l’autocritique et à la remise à plat de certains de nos comportements qui ont permis d’engendrer des monstres. Sans quoi « l’effort guerrier » prendra, ni plus ni moins, le risque de se retourner, plus vite qu’on ne le croit, contre nous-mêmes Européens. C’est en effet par plus d’Europe, et non par plus de repli, que nos défis doivent être relevés.
- Barah Mikaïl est directeur de recherche à la FRIDE (www.fride.org) et professeur associé à l’université Saint Louis de Madrid. Il a travaillé auparavant à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS, 2002-2011). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et publications spécialisées. Son dernier livre, Une nécessaire relecture du « Printemps arabe », est paru aux éditions du Cygne en 2012.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : les forces de sécurité françaises montent la garde à la tour Eiffel suite aux attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher en janvier 2015 (AFP).
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