Les fans de Star Wars en Tunisie ont du mal à ramener la Force chez eux
Il y a bien longtemps, dans une galaxie pas si lointaine, une équipe de tournage d’Hollywood est arrivée dans la vallée de Sidi Bouhel, dans le sud de la Tunisie ; et une légende est née.
Aujourd’hui, quarante ans plus tard, alors que le nouveau film est dévoilé et bat des records d’entrées dans le monde entier, les Tunisiens ne sont pas à l’abri du phénomène Star Wars : Le Réveil de la Force. Le 18 décembre, les fans du film ont afflué dans un cinéma du centre-ville de Matmata, Tataouine, pour la première du nouvel épisode, organisée par un fan club. Les fantômes du passé de Star Wars se sont réveillés alors que C3PO et les Stormtroopers ont honoré cette première de leur présence.
Dans ce même pays où l’ouvrier agricole de Tatooine, Luke Skywalker, a traversé les dunes dans une Landspeeder, tous les spectateurs se sont déclarés comme étant de grands fans de la série.
Plus bas dans Sidi Bouhlel, la célèbre vallée utilisée pour les scènes des premiers films Star Wars, ainsi que le Patient Anglais et les Aventuriers de l’Arche Perdue, il n’y a eu aucune activité ni réaction spécifique par rapport à la diffusion du dernier épisode du film. Rien n’a changé depuis le moment où George Lucas a décidé d’y tourner le film en 1976. Tout est resté magnifique et paisible. Les plateaux de cinéma changent très souvent, mais celui-ci est resté quasiment inchangé depuis des lustres. Le rocher derrière lequel se sont cachés les Jawas avant d’attaquer R2D2 est toujours à sa place.
Au beau milieu de la vallée, un âne brait au loin. Le bruit résonne des deux côtés de la montagne, créant ainsi un effet inquiétant comme les cris de guerre des Hommes des Sables plus connus sous le nom de Tusken. George Lucas a sans doute entendu ces mêmes sons lorsqu’il tournait le film il y a 40 ans.
La Tunisie est une mine de trésors pour les fans de la série car elle regorge de lieux de tournage de la trilogie originale. Les villages et sites restent intacts dans tout le pays. Malheureusement, ces sites sont négligés par l’industrie du tourisme de la Tunisie. Si le fan club tunisien de Star Wars n’existait pas, un grand nombre des sites de ce royaume pour les légions de fans du film seraient tombés dans l’obscurité.
Salam Ben Said, âgé de 63 ans, est chargé de la garde et de l’accueil sur le site de Mos Espa, situé près de Nefta, dans le sud de la Tunisie. Mos Espa est le célèbre site de la maison d’Anakin Skywalker dans l’épisode 1 de Star Wars : La Menace Fantôme. Avec une équipe de Tunisiens et d’étrangers, George Lucas a conçu et construit le site de toutes pièces.
Pour Salam Ben Said, George Lucas a choisi le site de Mos Espa pour « son caractère vierge et épargné par les humains ». Dans le passé, seuls les éleveurs de chameaux traversaient les étendues de désert. Ce n’est pas une surprise que Lucas ait décidé de filmer, dans cette zone, les scènes de la planète extraterrestre Tatooine.
Le tournage du film, qui a eu lieu en 1998, a permis, en mettant en lumière cette région souvent négligée du sud de la Tunisie, de relancer son commerce.
Wahid Abbes, 34 ans, aujourd’hui correspondant pour Shams FM, une station de radio tunisienne, se rappelle y avoir travaillé dans sa jeunesse. « Nous avions entendu parler du tournage d’un film connu dans la région. Ils avaient besoin de main d’œuvre. Nous y sommes allés et y avons travaillé », a raconté Wahid à Middle East Eye.
Les garçons et les jeunes hommes sont intervenus comme assistants de production. À l’époque, LucasFilm offrait des salaires bien supérieurs à ce qui était généralement proposé pour les autres emplois de la région. De plus, la production du film a éveillé l’intérêt national et international pour le sud de la Tunisie. Tout le monde était fasciné par le fait que le nouvel épisode de Star Wars était tourné dans la région et se rappelait même que les premiers films avaient été tournés ici.
Tozeur, une ville connue comme le lieu de naissance du célèbre poète tunisien, Abdou Kacem Shebbi, et un magnifique oasis, est redevenue une destination à forte fréquentation touristique. Alors que d’autres communautés dans le centre et le sud de la Tunisie souffraient, les habitants des villes comme Tozeur et Nefta, proches des sites de Star Wars, florissaient. Tout a commencé à se calmer en 2009 avec la crise dans la Zone Euro. Les hôtels avaient du mal à rester rentables et de nombreux postes ont été supprimés. Pour aggraver les choses, la révolution a touché la Tunisie, effrayant ainsi des touristes potentiels.
Cette chute du nombre de touristes s’est accentuée avec le renforcement de l’instabilité sociale, les assassinats politiques, les attaques terroristes, ainsi qu’avec les rapports de mauvaise qualité sur la réalité de la situation dans le sud de la Tunisie.
En mars 2015, CNN et le Guardian ont publié un article sur le groupe État Islamique utilisant les sites de Star Wars comme points de repère pour leurs activités de combat. L’auteur d’un article a corrigé, plus tard, dans un deuxième article, sa première publication prétendant que l’EI utilisait Tataoine comme base, mais le tort était fait. D’un seul coup, les sites tunisiens de Star Wars ont eu un lien avec le terrorisme. Aujourd’hui, il n’y a plus que deux - des 18 hôtels autour de Tozeur - ouverts. Sur le site de Mos Espa, Salam Ben Said a expliqué à Middle East Eye que seulement un ou deux touristes faisaient le déplacement chaque jour.
Alors qu’une partie du manque d’intérêt pour ces sites n’est que pure malchance et est inévitable, avec des millions de fans de Star Wars et la sortie d’un nouvel épisode, nombreux sont les locaux à avoir l’impression que le ministère tunisien du Tourisme aurait pu faire plus pour attirer des visiteurs.
Les sites ne présentent plus le contexte nécessaire pour les fans d’aujourd’hui. Salem Ben Said, l’éleveur de chameaux devenu garde de Mos Espa, a expliqué à MEE qu’« il ne connaissait que très peu Star Wars », qu’il appelle Harb al-Noujoum, le terme arabe pour Star Wars. Il pensait que le film parlait des « anciennes civilisations qui se faisaient la guerre les unes contre les autres ».
Son plus jeune fils, Ali, qui travaille aussi sur le site, n’a pas encore vu les films. Ses connaissances de Star Wars sont virtuellement inexistantes. Tous les hommes qui travaillent sur le site de Mos Espa sont de simples éleveurs de chameaux. Ils sont gentils et honnêtes, mais à peine préparés pour guider les visiteurs dans l’un des décors de films les plus célèbres au monde.
Tandis que le gouvernement n’a rien fait pour faire revivre les trésors des sites, le journaliste Wahid Abbes et d’autres personnalités ont proposé un plan au ministère du Tourisme pour investir sur plusieurs années dans une visite guidée officielle des sites de Star Wars dans la région. Ils n’ont toujours pas reçu de réponse officielle.
À la question de savoir s’il organisait quelque chose pour la sortie du Réveil de la Force, le ministère a répondu que non et qu’il n’avait aucun plan pour les mois à venir. Middle East Eye s’est également adressé à LucasFilm pour savoir s’ils avaient des plans futurs pour la Tunisie. Un représentant de l’entreprise a indiqué qu’ils étaient trop occupés par la sortie mondiale du film pour répondre.
Malgré le manque de soutien extérieur, la Tunisie regorge de fans et guides prêts à faire visiter les sites de Star Wars. Avec son taux de chômage élevé et sa grande « communauté de geeks », Abdou Ameur, Président du fan club tunisien de Star Wars, indique que les possibilités sont sans limite. Les visites guidées du site de Mos Espa pourraient comprendre l’extérieur de la ferme de Luke Skywalker près de Chott El-Jerid et la célèbre vallée de Sidi Bouhlel, près de Nefta.
Ce type de visite guidée pourrait comprendre l’histoire vraie d’après laquelle le gouvernement libyen a demandé du renfort militaire après avoir vu un très grand véhicule se déplacer dans le désert tunisien à côté de ses frontières. Le véhicule était en fait le Sandcrawler utilisé par George Lucas pour le tournage du film à la fin des années 70. Toute l’expérience pourrait être couronnée par des projections des films sur place, ajoute Abdou.
Les fans tunisiens de Star Wars ne s’attendent à aucune action de la part du gouvernement. Abdou Ameur et le fan club font tout leur possible pour faire de la Tunisie une destination rêvée pour les légions de passionnés du monde entier. Le fan club est devenu célèbre en mars 2014, avec son interprétation vidéo et musicale de la chanson de Pharell Williams « Happy » sur les sites tunisiens. Pharell Williams en personne a aimé cette version, qui comprenait des fans du monde entier déguisés en C3PO, Stormtroopers et autres personnages de la saga. Le fan club a en même temps lancé la campagne « Save Mos Espa », dans le but de sauver le lieu du tournage de Star Wars de la désertification.
« Nous faisons tout notre possible. Nous assurons l’entretien et essayons de préserver les sites de Star Wars, dans le but de faire lentement mais sûrement de la Tunisie un paradis pour les fans », a précisé Abdou Ameur.
Même si les scènes de désert du nouvel épisode ont été tournées à Abu Dhabi, Abdou Ameur espère continuer à capitaliser sur le caractère unique de la Tunisie en tant que site d’origine.
À long terme, la volonté des fans et l’action du gouvernement seront déterminantes pour que la Tunisie devienne la destination préférée des fans de la saga. Un petit peu d’aide de la Force serait également la bienvenue !
Traduction de l’anglais (original) par STiiL Traduction.
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