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Un festival de cinéma braque les projecteurs sur la crise humanitaire au Sahara occidental

Les réfugiés sahraouis ont accueilli un festival de cinéma organisé par un réseau associatif espagnol pour mettre en lumière 40 années de lutte pour la reconnaissance de leurs droits
Des centaines de personnes sont réunies au festival de cinéma le plus difficile d'accès au monde pour célébrer quarante ans de lutte en faveur des Sahraouis (MEE)

TINDOUF, Algérie. Des acteurs, des réalisateurs, des artistes et des Sahraouis se sont réunis dans des camps de réfugiés à proximité de la ville de Tindouf, au sud de l'Algérie, pour la 12e édition du festival international de cinéma FiSahara, qui s'est tenue du 28 avril au 3 mai dernier.

A l'occasion du festival, organisé dans le camp de réfugiés sahraouis de Dakhla, à environ 170  kilomètres de Tindouf, des douzaines de films ont été projetés pendant quatre jours. Les réfugiés sahraouis, qui depuis près de quarante ans vivent dans des camps au milieu du désert, ont proposé que cette édition du festival, organisé par une ONG espagnole, mette en lumière leur long combat pour la défense de leurs droits.

Selon Maria Carrion, directrice du festival, l'objectif était d'attirer l'attention sur des violations des droits de l’homme et du droit international qui restent largement ignorés.

« Pour les réfugiés du Sahara occidental, FiSahara est une bouée de sauvetage, un événement international qui permet de rappeler un conflit vieux de quarante ans tombé dans l’oubli », a-t-elle déclaré à Middle-East Eye.

Les réfugiés sahraouis ont exprimé cette idée lors de la cérémonie d'inauguration du festival, faisant circuler par des enfants la traduction d'un poème demandant l’aide internationale.

« Bonjour nos amis, nous avons besoin de votre aide, nous avons tant perdu, c'en est assez, nous voulons être libres, nous voulons rire, nous voulons sourire... Pour vivre ensemble en paix, chers amis, nous avons besoin de votre aide », pouvait-on lire dans le poème.

Le festival s'est ouvert sur un défilé de danse traditionnelle sahraouie à travers les rues du centre du camp de Dakhla.

Le spectacle comprenait également la danse d'une femme portant dans ses mains une tête de gazelle et poursuivie par un chasseur armé d’un fusil, symbolisant ainsi l'art disparu de la chasse sahraouie. La chasse aux gazelles était autrefois possible dans le Sahara occidental, mais elle est ne l’est plus dans les camps de réfugiés.

La crise des réfugiés du Sahara occidental a commencé fin 1975. Le Sahara occidental (anciennement Sahara espagnol) devait accéder à son indépendance mais le roi du Maroc, à l'époque Hassan II, organisa la « marche verte », une grande marche vers le territoire du Sahara occidental rassemblant près de 20 000 soldats et 350 000 citoyens marocains.

L'événement marqua le début de l'invasion puis de l’annexion du territoire du Sahara occidental. Face à l'avancée du Maroc, la majeure partie de la population indigène sahraouie a fui et cherché refuge de l'autre côté de la frontière, en Algérie.

Depuis les camps, les Sahraouis, sous la bannière du Front Polisario, ont combattu les forces marocaines jusqu’à la négociation d'un cessez-le-feu en 1991. Les Nations unies s'étaient alors engagées à organiser dans les six mois un référendum pour que la population sahraouie décide du statut futur du territoire.

Le référendum n'a toujours pas eu lieu et les réfugiés sahraouis continuent de vivre en Algérie. Les conditions de vie sont difficiles, les camps sont isolés et l'aide internationale qui permet aux réfugiés de survivre a beaucoup diminué depuis la crise financière mondiale de 2008.

Trente-six films, y compris des documentaires, des longs et des courts métrages, ont été projetés cette année au festival. Parmi eux, « Timbuktu », le film du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako, doublement récompensé lors du dernier festival de Cannes. Les films étaient projetés depuis l’arrière d’un camion et les milliers de spectateurs étaient assis sur le sable.

Des sous-titres en espagnol, arabe et anglais étaient disponibles pour les films tournés dans d'autres langues, comme le kurde et le français. Les œuvres présentées provenaient d’Iran, du Sahara occidental, d’Espagne, des Etats-Unis et de Palestine.

Le grand prix du festival – un chameau blanc – a été remis à Pamela Yates pour son documentaire sur le Guatemala intitulé « Granito : comment coincer un dictateur ». Le chameau, a-t-on rapporté à MEE, restera dans les camps de réfugiés.

« Les gens aiment le festival car il change notre quotidien dans le camp de Dakhla », nous a confié Haizaza, un habitant de Dakhla, lors de la cérémonie de clôture. « D'habitude, le camp est très calme et la plupart du temps, tout le monde reste dans sa tente. Le festival est un moment rare et unique. »

L'ambiance était festive, malgré l'annonce d'une nouvelle peu réjouissante pour le mouvement de libération sahraoui  à l'ouverture du festival : le Conseil de sécurité des Nations unies avait voté ce jour-là la prolongation du mandat de la MINURSO (Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental) sans prévoir de mécanisme de surveillance des droits de l'homme ainsi que l’avait proposé le Conseil de sécurité de l'Union africaine.

La mise en place d'un mécanisme de surveillance des droits de l'homme par les Nations unies est voulue depuis longtemps par les Sahraouis en raison de la très forte répression subie par les réfugiés qui demeurent dans la partie du Sahara occidental occupée par le Maroc.

Selon l'ONG américaine Freedom House, le Sahara occidental est l’un des territoires les plus opprimés au monde sur le plan politique. Malgré cela, la MINURSO est l’une des quatre seules missions de l'ONU au monde à ne pas être dotées de mécanisme de surveillance des droits de l'homme.

Les Nations unies se sont concentrées sur les négociations entre le Polisario et le gouvernement marocain pour tenter de trouver une solution de juste milieu, mais les efforts déployés dans ce sens n'ont toujours pas abouti. 

Les jeunes sahraouis sont extrêmement critiques sur le rôle des Nations unies.

« Nous n'avons pas du tout confiance dans les Nations unies », a déclaré Elbu, 24 ans. « Pour moi, elles ne font qu'aider les Marocains. Je les surnomme les ‘’United Nothing’’ ».

Avant et après le cessez-le-feu organisé par les Nations unies, le contrôle par le Maroc de plus de 85 % du territoire du Sahara occidental a été renforcé par la pose de milliers de mines et la construction d'un mur de sable long de 2 600 kilomètres et surveillé par le personnel militaire marocain.

Le mur a pour fonction d'empêcher l'entrée de réfugiés sahraouis sur les 20 % restants de terres arides que le Maroc n'occupe pas.

Cependant, selon Elbu, la présence des forces de maintien de la paix des Nations unies aux côtés de soldats marocains le long du mur, « le mur de la honte » comme l’appellent les réfugiés sahraouis, trahit la partialité de l'approche onusienne.

« Ils se tiennent derrière le mur avec les Marocains, on aperçoit leurs casques bleus. Sont-ils avec nous et les mines de l'autre côté du mur ? Non », dit-il.

« Pendant toutes ces années, le peuple sahraoui a non seulement subi la guerre, l'exil et la répression brutale dans le territoire occupé du Sahara occidental, mais aussi l'indifférence et la complicité scandaleuses de la communauté internationale », a affirmé Jose Manuel Taboada, président du mouvement de solidarité espagnol CEAS-Sahara, lors du discours qu’il a donné pendant le festival.

« En tant que citoyens responsables, nous devons continuer à nous mobiliser pour réussir à obtenir du Conseil de sécurité des Nations unies une solution juste et définitive ».

Les activistes sahraouis dans le territoire occupé par le Maroc sont régulièrement passés à tabac, emprisonnés et pire encore. Les forces de sécurité sont rarement tenues pour responsables et jouissent, selon l’ONG Human Rights Watch, de l’impunité.

Le Sahara occidental est un territoire isolé où une crise humanitaire dure depuis quarante ans. Les Sahraouis sont conscients de la nécessité d’attirer des personnes extérieures dans les camps de réfugiés pour gagner la sympathie de la communauté internationale,  mobiliser l’aide et obtenir le soutien diplomatique.

Cette année, le gouvernement d'Afrique du Sud a envoyé au festival FiSahra une délégation présidée par son ambassadeur en Algérie.

Plus de quatre-vingt Etats reconnaissent le gouvernement du Polisario en exil afin d’exprimer leur soutien à la cause des Sahraouis. Aucun Etat ne reconnaît la mainmise du Maroc sur ce territoire.

Cependant, les Sahraouis le savent, s'ils veulent faire cesser l'appui du Maroc par la France et les Etats-Unis au Conseil de sécurité des Nations unies, ils devront trouver d'autres alliés dans le monde développé.

Pendant le festival, 8 000 Sahraouis se sont retrouvés à Samara, dans le plus grand camp de réfugiés, pour former avec leurs corps le mot « Sahara libre » visible du ciel. Ce genre d'actions est considéré comme nécessaires pour renforcer le soutien de la société civile à l'étranger.

« En fin de compte, pour faire avancer notre cause, nous devons trouver des façons de faire correspondre nos intérêts avec ceux des puissances internationales », déclare Habibullah Muhammad, un représentant de l’Union des jeunes sahraouis des camps.

« C’est un conflit global, pas local, car des puissances internationales soutiennent le Maroc, et c’est probablement le plus grand défi pour nous dans la recherche d’une solution pacifique qui nous permette de ne pas rester coincés ici pendant encore des décennies. »

Traduction de l’anglais (original).

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