État islamique en Libye : le pouvoir de la propagande
TRIPOLI – Les craintes sont de plus en plus vives à propos de la radicalisation des jeunes en Libye après l’annonce de l’État islamique (EI) selon laquelle l’un des kamikazes ayant mené un assaut sur deux des principaux ports pétroliers du pays la semaine dernière était un adolescent de Tripoli.
Après la révélation qu’un adolescent libyen de 15 ans comptait parmi ceux qui ont mené des attentats-suicides le 4 janvier, les médias libyens ont rapporté que le garçon avait disparu de son domicile à Tripoli il y a quatre mois, après s’être radicalisé dans une mosquée de la capitale. Dans un appel à sa famille après sa disparition, il leur a annoncé qu’il avait rejoint l’EI et se trouvait à Syrte, selon l’agence libyenne Alwasat.
L’instabilité et les conflits civils contre lesquels se bat la Libye suite à l’insurrection de 2011 ont fait du pays un terrain fertile pour l’EI, qui attire des combattants étrangers et bénéficie d’un certain soutien local. Le groupe contrôle désormais totalement 300 kilomètres de territoire côtier, dont quatre villes et quatre autres villages.
Le groupe militant étend son règne de la terreur au-delà de son territoire déclaré : des attaques menées la semaine dernière visaient une académie de police à Zliten, à 280 kilomètres à l’ouest de Syrte, ainsi que les ports pétroliers de Ras Lanouf et Sidra. Ces dernières attaques indiquent la présence de cellules dormantes dans d’autres villes libyennes, selon les populations locales.
« Daech est présent dans notre ville, c’est certain », a déclaré à Middle East Eye un haut responsable d’al-Khoms (à seulement 115 km de Tripoli) qui s’est confié sous couvert d’anonymat. « Ils sont peu nombreux, mais c’est comme une boule de neige. Ils ciblent maintenant nos jeunes, c’est ainsi qu’ils se renforcent. »
Il a ajouté que des DVD de propagande étaient subrepticement distribués parmi les jeunes.
« J’ai regardé ce film et c’est comme une vidéo promotionnelle conçue pour laver le cerveau des jeunes de 15 à 25 ans. Croyez-moi, si vous le voyez, vous comprendrez pourquoi les gens rejoignent Daech », a-t-il insisté. « Je pense qu’ils ont eu recours à des psychologues professionnels, car ils savent exactement comment affecter l’esprit des jeunes hommes. »
Ce responsable a déclaré que l’EI s’attaquait à des jeunes gens vulnérables qui étaient religieux, mais peu instruits, ajoutant que certains jeunes de Khoms avaient déjà quitté la ville et seraient désormais à Syrte.
« Je pense qu’ils sont partis parce qu’on leur a promis de l’argent et d’autres avantages. Daech semble avoir beaucoup d’argent pour recruter les gens », estime-t-il. « Si un jeune homme veut une femme, Daech lui en promet trois. S’il veut un couteau, Daech lui donnera un AK47. S’il veut aller en Europe, Daech dit pas de problème, il suffit de te battre avec nous pour deux ans, puis tu pourras y aller. »
Plusieurs familles déplacées qui avaient fui Benghazi, où les militants de l’EI se battent aux côtés des groupes rebelles et des membres d’Ansar al-Sharia, affilié à al-Qaïda, contre les forces gouvernementales, étaient derrière la distribution de DVD, a-t-il précisé.
« Daech n’a pas encore déclaré que notre ville fait partie de son ‘’État’’, mais les gens doivent comprendre ce qui se profile », a continué le responsable d’al-Khoms. « Il y a des cellules dormantes à Tripoli et Misrata, ainsi que dans les villes occidentales de Zawia et Sabratha. En Libye, nous ne pouvons désormais plus arrêter la propagation de Daech. »
Des matériaux similaires glorifiant l’idéologie et les opérations de l’EI circulent en Libye depuis plusieurs années, selon un ancien fonctionnaire de la ville de Nofalyia, qui a été déclarée partie de l’EI plus tôt cette année. « Tournés principalement en Irak et en Syrie, ces films montrent des jeunes hommes partant joyeusement sur des missions suicides ou décapitant des soldats syriens et irakiens », a-t-il rapporté. « Ils sont de très haute qualité et, avec l’extrémiste prêchant dans la mosquée, ont poussé beaucoup de nos fils à rejoindre Daech. »
À Tripoli, la force spéciale de dissuasion a commencé à démanteler les cellules dormantes de l’EI en procédant à un nombre d’arrestations. Dans une vidéo d’une heure publiée récemment sur l’activité de Daech dans la capitale, sept hommes capturés par la force avouent être des membres de l’EI et donnent des détails sur leurs opérations à Tripoli au cours de l’année 2015, dont des attaques sur un hôtel cinq étoiles et des missions diplomatiques. Un des militants explique que ces attaques ont été conçues pour attirer l’attention des médias et isoler davantage la Libye du monde extérieur.
Le plus jeune captif indique avoir été formé dans un camp de l’EI en Libye où les stagiaires sont principalement nés dans les années 1990 et ont moins de 25 ans. D’après lui, il était rare de voir au camp d’entraînement des recrues plus âgées parmi les nombreuses nationalités, parmi lesquelles des Tunisiens et des Européens.
Les hommes avaient tous déjà été à Syrte, le noyau de l’activité du groupe EI en Libye après sa perte du contrôle de la ville orientale de Derna. Syrte elle-même a été totalement coupée du monde extérieur après la coupure par Daech des réseaux téléphoniques et d’Internet, ce qui lui permet de contrôler étroitement les informations sortant de la ville. D’anciens habitants qui ont fui disent que les membres de l’EI dans la ville sont maintenant plusieurs milliers, dont beaucoup de militants étrangers.
À et autour de Syrte, une station de radio locale est utilisée pour diffuser de la propagande auprès des habitants et des voyageurs de passage depuis que des militants ont réquisitionné le matériel de diffusion. La station al-Bayan fournit une couverture constante des opérations menées par Daech dans des pays comme le Yémen et le Caucase russe ainsi qu’en Libye.
Le matériel de propagande est également distribué régulièrement aux postes de contrôle le long du tronçon de 300 km de route côtière qui est sous contrôle de l’EI. Faisant le trajet depuis la Libye orientale jusqu’à la capitale la semaine dernière, l’homme d’affaires Abdul Hassan a confié avoir été choqué par la présence visible de Daech le long de la route.
« La ville de Harawa était complètement déserte. J’ai compté cinq drapeaux noirs de Daech et ils ont peint leur logo sur le devant de deux bâtiments gouvernementaux », a-t-il rapporté. « Je savais qu’ils contrôlaient la région, mais le voir en réalité était incroyable, parce que je parcours cette route depuis 40 ans. »
Il a raconté qu’un tract de propagande lui avait été remis par des militants de l’EI à un check-point. « Il s’agissait d’un document concernant l’histoire du dirigeant de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi, affirmant que ses ancêtres étaient liés au prophète Mohammed. Mais je ne pense pas que ce soit vrai. C’est du lavage de cerveau, pour que plus de gens croient en son autorité et rejoignent l’EI », a-t-il poursuivi.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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