La France face à ses démons
Le bruit court depuis dix ans au moins, vingt ans peut-être : la France est au bord de la guerre civile. Idée presque cocasse à l'époque, cette prévision paraissait cependant se réaliser au lendemain de la tuerie de Charlie Hebdo, avec une armée déployée dans les rues et un couvre-feu imposé.
Un groupe de français issu de milieu dit « difficile » a lancé une opération d'envergure contre la rédaction d'un magazine et un supermarché, plongeant l'ensemble du pays dans un climat de guerre.
Le climat, il faut le dire, est tendu depuis longtemps. En octobre 2005, au lendemain de la mort de deux jeunes garçons poursuivis par la police locale dans une banlieue parisienne, la « rue » s'enflamme. Le ministre de l'Intérieur de l’époque Nicolas Sarkozy, devenu plus tard président de la République, a répondu à la colère populaire avec arrogance, en promettant de nettoyer la racaille - alias les jeunes de banlieue- au Karcher.
Avec Nicolas Sarkozy refusant d'assumer son rôle dans les rapports de plus en plus tendus entre les autorités locales et la communauté jadis dite « immigrée », les choses se sont envenimées au point où aujourd'hui la majorité des recrues de Daech en Syrie viennent de France.
Tous décriront des brimades, frustrations et autres actes de racisme les ayant poussés vers « une cause » dans laquelle ils ont trouvé un exutoire pour s'affirmer et tenter d'effacer d'anciennes humiliations.
Dans son essai marquant, aujourd'hui texte de référence, Mustapha Kessous, journaliste au Monde, décrit les périples subis par un Français issu d'une minorité visible. Des lecteurs issus du même milieu rajouteront que son récit n'est que leur vécu et qu'ils ni prêtent même plus attention.
L'arrivée de Nicolas Sarkozy à la tête du pays fera monter les tensions d'un cran. Voulant emboiter le pas à un Front National de plus en plus influent, le nouveau président entamera une série de programmes qui auront pour finalité de rendre le racisme ambiant « respectable ».
Par la nomination d’un ministre dit de gauche, Éric Besson, pour lancer un « débat sur l'identité » nationale, le racisme franchouillard trouve sa plateforme. Les langues se délient et ce qui fut inacceptable, voire honteux, devient honorable et pleinement assumé.
La phrase de l’ancien ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux, déplorant la présence excessive de maghrébins, ainsi que son maintien au gouvernement malgré une condamnation pénale vient renforcer l'idée que la France est raciste et en est fière.
Mais l’est-elle véritablement? La question se pose puisqu'une batterie de lois existe pour protéger des minorités souvent victimes de discriminations. L'ironie est donc là puisque les lois existent pour protéger certaines minorités, mais pas d'autres.
La France, sans doute toujours honteuse de son passé de Vichy, punit sévèrement et à juste titre, tout acte affectant la communauté juive.
Cependant elle n'étend pas sa générosité légale à la communauté musulmane qui pourtant subit d'innombrables attaques et ce dans l'indifférence la plus totale.
Tandis que le meurtre du jeune Illan Halimi aux mains d'un groupe d'antisémites a suscité l'émoi national, celui de Said Bourrarache par des jeunes de la milice juive LDJ n'a même pas été relayé, au moment des faits, par les titres nationaux.
Dans un pays fièrement laïque, une milice religieuse pourtant interdite aux États-Unis et même en Israël, opère en France dans une quasi impunité époustouflante, poussant ses membres à une arrogance qui provoque la colère des jeunes musulmans. Jeunes musulmans qui voient leur communauté constamment stigmatisée et poussée dans ses retranchements.
En novembre dernier, un instituteur juif de Marseille porte plainte pour agression antisémite contre sa personne. Arborant une kippa, l'enseignant dit qu'un jeune d'apparence maghrébine l'a agressé au couteau en criant Allah Akbar (« Dieu est grand ») tout en proférant des insultes judéophobes.
L'affaire prendra une ampleur nationale provoquant des appels à la solidarité de toutes les couches de la société. Mieux encore, au cœur même du parlement français, certains députés iront jusqu'à porter une kippa, pourtant signe ostentatoire d'une religion et donc interdit par la loi votée dans cette même enceinte.Ce qui est d'autant plus choquant réside dans le fait que la semaine précédant cet événement, Latefa Ibn Ziaten, la mère du gendarme tué dans le premier acte terroriste en France, est huée dans ce même parlement pour s'être présentée en foulard devant l'assemblée.
Cette politique du deux poids deux mesures est donc ressentie comme une énième humiliation par une communauté qui, dans son immense majorité, reste profondément pacifique, voire même apathique.
L'agression antisémite contre l'instituteur de Marseille s'avérera inventée, tout comme la fameuse affaire du RER où une jeune femme avait prétendu avoir été agressée par des jeunes - encore une fois maghrébins - et traitée de « juive fortunée ». L'agression était fictive mais les médias ont couru au secours de la mère mythomane, allant jusqu'à lui trouver des circonstances atténuantes qui par la suite se traduiront par un film fait en son honneur!
Charlie Hebdo a, pour sa part, renforcé cette idée de liberté d'expression à géométrie variable. Lorsque ses caricaturistes se moquaient du prophète Mohammed, la susceptibilité musulmane a été condamnée et encore une fois la classe politique française a couru au secours du magazine au nom de la liberté d'expression.
Lorsque le caricaturiste Siné s'est moqué du fils du président en insinuant que sa conversion au judaïsme était opportuniste, la rédaction lui demanda de s'excuser...lorsqu'il refusa, il fut allègrement licencié.
Le message est donc clair en France, la sensibilité juive est sacrée, la musulmane ne mérite pas qu'on s'y attelle.
Ce sentiment est d'ailleurs véhiculé en grande partie par une classe politique ainsi que des médias complices, qui s'évertuent à constamment renforcer la différence entre les deux parties.
Lorsque des Juifs se plaignent d'antisémitisme, leur souci est jugé légitime et pousse l'ensemble de la société à l'indignation. L'an dernier, un ancien soldat israélien a filmé son passage à Paris pendant 24 h ou selon ses dires - les propos sont inaudibles - la kippa qu'il portait lui a valu des insultes dans les rues de Paris.
Quelques mois plus tard, un journaliste français tente l'expérience en portant une même kippa et ce pendant douze jours en se promenant parfois dans les quartiers les plus difficiles de Paris et ses environs. Au cours de ces douze jours et des 120km parcourus, le journaliste ne rencontre pas une seule personne judéophobe. Mieux encore, les maghrébins qu'il croise le saluent avec des « Shaloms » chaleureux et l'invitent même à boire un thé!
La première expérience a été relayée par les médias français de tous bords, ainsi que dans le monde entier, la seconde n’a été diffusée qu’en fin de soirée et n’a même pas réussi à créer un « buzz » sur les réseaux sociaux.
Il est ainsi clair qu’à l'heure actuelle, il existe dans la grande démocratie qu'est la France, deux communautés qui vivent en parallèle et qui demeurent divisées par une classe politique appliquant peut être une sinistre politique du diviser pour mieux régner.
Des figures de proue de la politique française aujourd'hui revendiquent ouvertement leur islamophobie. À l'heure où le chômage continue de faire rage, où la crise économique ne cesse de s’aggraver, cette politique permet peut être de faire diversion, mais à la longue elle risque bien de faire implosion. L'année 2015 en aura bien été la preuve.
- Hafsa Kara-Mustapha est une journaliste, analyste politique et commentatrice qui se concentre particulièrement sur le Moyen-Orient et l’Afrique. Elle a travaillé pour le groupe FTet Reuters et son travail a été publié dans le Middle East Magazine, le Jane's Foreign report et de nombreuses publications internationales. Apparaissant régulièrement comme experte à la télévision et à la radio, Hafsa peut être vue sur RT et Press TV.
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Photo : Des policiers arrêtent des supporters du mouvement PEGIDA lors de manifestations à Calais, le 6 février 2016 (AFP) .
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