Questions-réponses : comprendre l’accord turco-européen sur les réfugiés
En quoi l’accord consiste-t-il ?
Toute personne arrivée illégalement en Grèce après le 20 mars sera renvoyée en Turquie si sa demande d’asile est rejetée ou si elle ne dépose aucune demande d’asile.
L’UE a déclaré que les personnes dont le « besoin de protection internationale » aura été établi seront admises si celles-ci déposent une demande d’asile via la procédure officielle.
Pour chaque personne renvoyée, l’UE procédera à la réinstallation en Europe d’un des réfugiés syriens actuellement coincés dans les camps disséminés en Turquie. La priorité sera donnée à ceux qui n’ont pas tenté d’entrer illégalement en UE par le passé.
L’UE a affirmé que cet accord visait à ralentir la cadence des voyages effrénés, dangereux et mortels que des personnes endurent pour rejoindre le continent européen.
Dans une déclaration officielle, l’UE a qualifié cet accord de « mesure temporaire et extraordinaire qui est nécessaire pour mettre fin à la souffrance humaine et rétablir l’ordre public ».
Quelle rétribution pour la Turquie ?
En échange de l’admission en Turquie des réfugiés renvoyés depuis la Grèce, les ressortissants turcs auront bientôt accès à l’espace Schengen qui garantit la libre circulation au sein de l’UE, ce qui leur permettra de voyager sans visa dans l’ensemble des pays européens qui font partie de cet espace. Ceci se fera probablement à compter du mois de juin.
L’UE s’est aussi engagée à verser 3,3 milliards de dollars à la Turquie pour l’aider à gérer la crise des réfugiés. Cette aide comprend la collaboration avec la Turquie pour « améliorer les conditions humanitaires » le long de la frontière turco-syrienne.
Enfin, les deux parties se sont mises d’accord pour donner une nouvelle impulsion aux négociations sur l’adhésion de la Turquie à l’UE, les prochaines discussions devant débuter en juillet.
Quel avantage pour l’UE ?
Selon cet accord, la Turquie est contrainte de « prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher la mise en place de nouveaux itinéraires maritimes ou terrestres qui permettraient la migration clandestine de la Turquie vers l’UE ».
Les protagonistes espèrent ainsi apaiser la crise à laquelle la Grèce est actuellement confrontée, et ce grâce à une coopération accentuée de la part de la Turquie.
Afin de la rendre éligible à une adhésion européenne, l’accord oblige la Turquie à « suivre les étapes nécessaires pour remplir les conditions restantes » en vue d’accéder au statut d’État membre. Il s’agirait là d’une référence aux politiques discutables de la Turquie en matière de droits de l’homme.
Que se passe-t-il pour ceux qui sont coincés entre les deux pays ?
Toute personne arrivée en Grèce illégalement ou dont la demande d’asile sera rejetée sera renvoyée vers la Turquie.
L’UE a précisé que les demandes d’asile continueront d’être traitées individuellement.
Selon les Nations unies, des milliers de personnes sont actuellement retenues dans les limbes que sont devenues les îles grecques en attendant de connaître leur sort.
L’agence de l’ONU a déclaré que les conditions de vie se détériorent de plus en plus à mesure que l’on empêche les gens de poursuivre leur voyage.
Quand ces mesures sont-elles entrées en vigueur ?
L’accord a pris effet le 20 mars, ce qui signifie que tout réfugié syrien arrivé en Grèce après cette date est concerné par cette politique du « one in, one out » (une arrivée contre un départ).
Les renvois de migrants ont débuté le 4 avril et l’on rapporte qu’au moins deux bateaux transportant des réfugiés ont été vus hier matin en train de quitter la Grèce en direction de la Turquie.
Qui est concerné ?
La partie de l’accord prévoyant la réinstallation ne s’applique qu’aux réfugiés syriens car les Afghans, les Pakistanais et les ressortissants d’autres pays ne sont pas jugés éligibles à la protection de l’Europe.
Les migrants de ces nationalités pourront aussi être renvoyés vers la Turquie au titre d’une autre partie de l’accord, mais sans que quiconque ne soit réinstallé en Europe en échange.
Les ressortissants irakiens ont également la possibilité d’être admis en Europe au titre de la protection internationale, mais les conséquences de leur renvoi vis-à-vis de la politique du « un contre un » n’ont pas été précisées.
Quelles sont les réactions ?
L’accord a suscité de la colère, des manifestations et des violences en Grèce ainsi qu’en Turquie.
Sur l’île grecque de Chios, qui sert de point de chute à beaucoup de demandeurs d’asile, des émeutes à proximité d’un centre d’accueil ont poussé des migrants et des réfugiés à partir, et une organisation de médecine humanitaire a rapatrié son personnel en raison des risques.
Les réfugiés présents sur l’île de Lesbos ont affirmé qu’ils sauteraient à la mer si on les renvoyait en Turquie.
Dans le port turc de Dikili, où beaucoup des navires se rendront, ont eu lieu des manifestations contre l’installation d’un camp de réfugiés.
D’autres manifestations ont eu lieu lundi dans le port grec de Mytilène, à partir duquel les premières personnes ont été renvoyées.
Trois jours avant le début des expulsions, des centaines de réfugiés se sont enfuis du camp grec dans lequel ils étaient retenus, tandis que d’autres ont essayé de se rendre en bateau depuis la Grèce jusqu’en Italie.
Combien de personnes ont déjà été impactées ?
Il est prévu qu’environ 500 personnes soient renvoyées en Turquie d’ici mercredi, mais la Turquie abrite actuellement 2,7 millions de réfugiés syriens, dont beaucoup veulent être déplacés en Europe.
L’UE a plafonné le nombre de réinstallations à 72 000, ce qui implique que l’accord sera restructuré lorsque ce nombre sera atteint.
Depuis l’annonce de l’accord, près de 4 000 personnes sont coincées en Grèce en attendant le traitement de leur demande d’asile.
Pourquoi les groupes de défense des droits de l’homme s’opposent-ils à cet accord ?
Les groupes de défense des droits de l’homme, et notamment Amnesty International et Human Rights Watch, reprochent à l’accord d’enfreindre le droit européen, ainsi que de violer la convention des Nations unies relative au statut de réfugié.
Cette convention interdit les expulsions en masse quelles que soient les circonstances, or, selon les groupes de défense des droits de l’homme, l’accord en question aura pour conséquence directe un grand nombre de renvois.
L’UE soutient que les demandes d’asiles seront traitées individuellement, cependant la Turquie a récemment été promue au rang de pays tiers sûr pour les réfugiés, statut qui sert d’argument pour justifier l’accord sur le renvoi des migrants, et il est donc probable que de nombreuses personnes soient renvoyées en masse vers la Turquie à l’avenir.
Qu’est-ce qu’un pays tiers sûr, et la Turquie en est-elle un ?
Si un pays ne veut pas garder sur son territoire un demandeur d’asile pendant le traitement de son dossier, il lui est nécessaire d’envoyer ce dernier dans un endroit où il pourra rester en sécurité pendant que les autorités étudieront l’ensemble de ses documents.
Cela signifie que sa vie et son bien-être ne doivent pas être en péril dans le pays où l’envoie l’État qui s’occupe de sa demande.
La Turquie n’avait pas encore été désignée comme pays tiers sûr, notamment parce qu’elle n’est pas un signataire à part entière de la convention des Nations unies relative au statut des réfugiés.
La Turquie a accordé aux ressortissants syriens une protection temporaire qui comprend des visas de travail temporaire et l’accès à la santé et à l’éducation.
Cependant, les groupes de défense des droits de l’homme soutiennent que la réalité est bien différente, car de nombreux syriens se voient refuser l’accès à l’emploi et vivent dans la misère. Les réfugiés qui ne sont pas originaires de Syrie ne bénéficient pas de cette protection officielle, et ils disposent donc d’encore moins de droits.
Selon un rapport récemment publié par Amnesty International, la Turquie expulserait environ 100 personnes chaque jour en toute illégalité en les forçant à repasser de l’autre côté de la frontière turco-syrienne. La Turquie a démenti ces allégations.
Traduction de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.
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