Des réfugiés deviennent passeurs suite à l’accord entre l’UE et la Turquie
Idomeni, GRÈCE – Les réfugiés et les migrants en Grèce sont de plus en plus nombreux à rejoindre des réseaux de passeurs, tentative désespérée de gagner assez d’argent pour payer leur propre voyage vers le nord depuis la signature d’un inflexible accord migratoire entre l’UE et la Turquie.
À Idomeni, frontière entre la Grèce et la Macédoine, où plus de 11 000 personnes sont bloquées depuis des semaines, les passeurs sont en force depuis que l’accord controversé – conçu pour porter un coup majeur aux réseaux de passeurs en Turquie et en Europe – a officiellement commencé à être mis en œuvre et les premiers migrants renvoyés.
Contrastant avec l’objectif déclaré de réduire le trafic, les passeurs sont visibles sur les parkings des hôtels et des stations-services abandonnées et les habitants locaux ne travaillent pas seuls.
Dans leur tentative de gagner assez d’argent pour se rendre au nord, certains réfugiés et migrants bloqués en Grèce ont commencé à travailler en tant qu’« intermédiaires » pour les trafiquants, tandis que de petits groupes, principalement en provenance d’Afghanistan, ont commencé à s’organiser et développer leurs propres itinéraires de trafic à travers certaines parties des Balkans.
Bien que ce développement ne soit pas tout à fait nouveau et que quelques nouveaux arrivants restent longtemps avec des passeurs, la pratique semble prendre de l’ampleur et est plus manifeste que jamais.
Abdi, qui a dit avoir fui la Somalie, a déclaré qu’il avait remis environ 180 euros à un « guide » afghan qui l’a mené de Mytilène sur l’île de Lesbos à Idomeni pour éviter d’être enregistré et donc expulsé.
« Un ami et moi avons payé un homme que nous avons rencontré à Lesbos pour nous emmener en toute sécurité à Idomeni afin d’éviter l’enregistrement. Nous avons payé 180 euros par personne et nous avons souvent changé de moyen de transport. L’homme n’était pas grec, mais afghan », a raconté Abdi qui, comme beaucoup d’autres, dit qu’il fera tout ce qu’il faut pour arriver au nord et ne repartira pas.
« Je n’ai ni lieu, ni quoi que ce soit vers où repartir », a déclaré Abdi qui a souhaité garder l’anonymat pour des raisons de sécurité. « Si les frontières ne s’ouvrent pas, je continuerai mon voyage, même si je dois donner tout l’argent qu’il me reste à des passeurs. »
Salman, originaire de Sanaa au Yémen, a déclaré qu’il avait payé 800 euros un passeur afghan qui l’a aidé à aller d’Idomeni en Serbie lorsqu’il a décidé que la situation à Idomeni était si désespérée qu’il devait prendre le risque.
« J’ai eu la chance de pouvoir payer les Afghans parce que je ne pouvais pas payer le prix demandé par les Grecs. Nous avons traversé la frontière à pied et un van nous attendait à la frontière macédonienne. Le véhicule était plein et je n’ai pas vu le conducteur, mais au matin, nous étions en Serbie », a rapporté Salman.
Cependant, ils étaient les plus chanceux. Le directeur du Centre de protection des demandeurs d’asile en Serbie, Radoš Đurović, a déclaré aux journalistes que 80 à 85 % des personnes qui utilisent ces réseaux clandestins moins formels n’arrivent pas à leur destination, et finissent davantage abandonnés et sans le sou.
Malgré les dangers, un nombre croissant de personnes pensent ne pas avoir d’autre choix tandis que les frontières se ferment et que des barbelés ont fait grimper le prix des passeurs.
Karam, un réfugié syrien qui a payé des passeurs pour se rendre en Allemagne l’année dernière et revient maintenant en Grèce en tant que bénévole, a indiqué que les prix ont augmenté et qu’il n’a payé que 2 400 euros pour faire toute la route jusqu’en Allemagne, beaucoup moins que ce que coûterait le voyage aujourd’hui.
« Quand je me suis rendu en Allemagne, les passeurs ne nous voyaient pas comme des personnes, mais comme des marchandises. Nous étions souvent dans des situations à risque pendant le voyage et ils ne s’en souciaient pas beaucoup. La seule chose importante pour eux était de nous faire passer le plus rapidement possible et de revenir pour un nouveau groupe de personnes. Je suppose qu’ils traitent les gens de façon encore pire aujourd’hui », a ajouté Karam.
« Je pense que, aujourd’hui, dans cette situation, je demanderais à rester en Grèce. »
Dans un hôtel d’Idomeni qui est devenu l’un des principaux lieux sensibles, on peut aujourd’hui voir des tentes de réfugiés et des voitures coûteuses occuper le même parking. Beaucoup de ceux qui veulent aller vers le nord viennent ici négocier leur billet. Les passeurs grecs locaux facturent entre 590 euros et 800 euros pour se rendre en Macédoine, de 2 430 euros à 2 830 euros pour l’Italie et entre 2 650 euros et 3 540 euros pour se rendre en Autriche via la Hongrie.
Alors qu’auparavant les gens voyageaient relativement facilement vers le nord, les nouvelles restrictions signifient que beaucoup restent coincés pendant des semaines ou des mois. Certains apprennent à maitriser le terrain pour montrer le chemin, tandis que d’autres peuvent travailler avec des passeurs comme interprètes ou assistants dans le but d’obtenir suffisamment de fonds pour payer leur propre voyage. Une troisième alternative s’est également développée, les réfugiés et les migrants étant enrôlés dans la lucrative contrebande de cigarettes.
Les cigarettes sont beaucoup moins chères en Macédoine qu’en Grèce et les marques moins chères du nord de la frontière sont répandues dans le camp.
Ali, réfugié syrien de Palmyre âgé de 25 ans, a confié à MEE que certains de ses amis se sont lancés dans la contrebande de cigarettes pour gagner assez d’argent pour continuer leur voyage.
« Mes amis se retrouvent en dehors du camp où ils achètent des cigarettes qui viennent du côté macédonien de la frontière », a-t-il expliqué. « La vente de cigarettes leur permet de survivre dans le camp parce que la nourriture que nous recevons ici à titre d’aide ne suffit pas. Il faut acheter des choses ici et beaucoup n’ont pas d’argent. Quand il n’y a rien d’autre à faire, il y a des échanges. »
Ali rapporte qu’un « intermédiaire » arabe lui a proposé de l’emmener en Autriche pour 2 430 euros, ce qu’il ne peut se permettre et il est coincé à Idomeni en attendant que les frontières s’ouvrent.
« Je voudrais partir, mais je n’ai pas assez d’argent. Ils semblent être des gens sérieux [donc je vais attendre]. Je ne retournerai pas en Turquie, même si cela me coûte la vie », conclut-il.
« On entend différentes choses dans le camp, les rumeurs sont nombreuses. Certains disent que les réfugiés sont même transportés à moto. Il faut être prudent concernant le choix des personnes qui vous font traverser la frontière et combien vous allez payer pour cela. Il y a beaucoup de charlatans qui vont disparaître avec votre argent. »
Goran, chauffeur de taxi à Guevgueliya, ville située du côté macédonien de la frontière, a admis avoir fait passer des réfugiés et des migrants dans le passé mais a déclaré à MEE que la route devenait beaucoup trop dangereuse pour lui.
« Nous [les habitants] faisions passer la frontière à quelques personnes, mais depuis que les réglementations et les condamnations sont devenues plus strictes, la plupart ont abandonné cette activité », a-t-il indiqué.
« La Macédoine est un pays ethniquement divisé, de sorte que le passage de clandestins est maintenant l’œuvre des groupes criminels albanais de Skopje et Tetovo. »
Il a dit s’inquiéter pour tous les étrangers qui tentent de rivaliser et que les gangs peuvent punir sévèrement toute personne marchant sur leur plates-bandes, mais que de plus en plus de personnes se tournent vers cette option, piégés et faisant face à une accélération des rapatriements.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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