Selon l’ONU, le programme britannique Prevent « promeut l’extrémisme »
Le gouvernement britannique risque de « promouvoir l’extrémisme, plutôt que le contrer », et de créer une culture du « Big Brother » qui n’est pas sans rappeler l’Union soviétique, a prévenu le rapporteur spécial des Nations unies.
L’avocat kenyan Maina Kiai, rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et d’association, a tiré la sonnette d’alarme au sujet de la stratégie britannique de lutte contre l’extrémisme, dénommée Prevent, lors d’une visite de trois jours qui s’est achevée jeudi dernier.
Le gouvernement britannique actuel a mis la lutte contre l’extrémisme non-violent au centre de sa stratégie de contre-terrorisme en dépit des préoccupations que le programme Prevent suscite depuis longtemps, en particulier auprès des communautés musulmanes, qui l’accusent d’être discriminatoire et de s’apparenter à une forme de surveillance.
L’application de Prevent a été étendue aux écoles, universités, hôpitaux et à d’autres lieux publics l’année dernière, attribuant aux enseignants, médecins et autres personnels l’obligation légale de « porter une grande attention au besoin d’empêcher des personnes d’être attirées par le terrorisme ».
Maina Kiai a toutefois affirmé que les commentaires qu’il avait reçus sur la mise en œuvre de Prevent avaient été « majoritairement négatifs », et qu’il avait eu vent « d’innombrables anecdotes sur la façon dont le programme était appliqué d’une manière qui se traduit purement et simplement par un grossier profilage racial, idéologique, culturel et religieux ».
« Ce manque de clarté au niveau de la définition, ainsi que l’encouragement à la dénonciation d’activités suspicieuses, ont suscité le mal-être et l’incertitude vis-à-vis de ce qui peut être légitimement discuté en public », a-t-il dit.
« Il apparaît que Prevent génère l'opposé de l’effet escompté : en divisant, stigmatisant et aliénant des segments de la population. »
Maina Kiai a également exprimé son inquiétude face au projet de loi à venir sur la lutte contre l’extrémisme, qui devrait inclure des dispositions permettant d’interdire des groupes considérés comme promouvant l’extrémisme non-violent.
« J’exhorte le gouvernement à considérer soigneusement les conséquences négatives non prévues de telles mesures. Il est difficile de définir le terme ‘’extrémiste non-violent’’ sans fouler le territoire du contrôle de la pensée et de l’opinion. Des personnes innocentes seront visées », a-t-il affirmé.
« Beaucoup d’autres encore craindront d’être visées – que ce soit à cause de leur couleur de peau, de leur religion ou de leurs convictions politiques – et auront peur d’exercer leurs droits. Ces deux résultats sont inacceptables. »
« Le spectre de Big Brother »
Se référant à des rapports mentionnant que des écoliers ont été signalés à Prevent pour des commentaires formulés en classe, Maina Kiai a prévenu que le « spectre de Big Brother se faisait particulièrement menaçant ».
« Quand on sent qu’on est espionné à chaque coin de rue, quand on ne sait pas qui est l’espion, on revit pratiquement les jours communistes de l’Union soviétique. Qui est un espion, qui est un informateur ? Personne n’aimerait vivre de cette façon. »
Les remarques de Kiai reflètent les inquiétudes de David Anderson, le contrôleur indépendant de la législation anti-terroriste britannique, exprimées le mois dernier devant le comité parlementaire restreint sur les droits de l’homme, lequel procède actuellement à son propre examen de la politique gouvernementale en matière de lutte contre l’extrémisme.
Anderson a demandé un examen indépendant de Prevent et a insisté sur le fait que certains aspects de la stratégie pourraient enfreindre les lois européennes des droits de l’homme qui garantissent la liberté d’expression religieuse.
Maina Kiai est le second expert de haut niveau de l’ONU à critiquer Prevent. Dans un rapport sorti en février, Ben Emmerson, le rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte anti-terroriste, avait déclaré que les enseignants « ne devaient pas avoir à jouer les gendarmes ou les agents du renseignement ».
« De telles mesures peuvent conduire les élèves et étudiants à s’autocensurer pour éviter d’être taxés d’‘’extrémistes’’, pousser les enseignants et d’autres membres du personnel à voir les élèves et les étudiants comme des menaces potentielles ou à éviter de discuter de certaines questions et d’inviter des intervenants extérieurs dont les opinions pourraient être controversées », a poursuivi Emmerson.
Les défenseurs de Prevent démentent qu’il s’agisse d’un programme de surveillance et affirment qu’il s’est révélé efficace pour lutter tant contre l’idéologie extrémiste du groupe État islamique que des organisations d’extrême droite comme la Ligue de défense anglaise.
Le préfet du Leicestershire, Simon Cole, qui dirige le travail du Conseil national des préfets de police (NPCC) relatif au programme Prevent, a écrit jeudi sur le site du NPCC que Prevent avait permis d’empêcher que des personnes ne soient entraînées dans l’extrémisme et « avait un vrai impact au quotidien sur la vie de jeunes vulnérables dans les villes du pays ».
« Prevent exprime les préoccupations des personnes ayant le sens moral. Il empêche que des gens ne soient criminalisés, il protège les personnes vulnérables. Il rend la vie de chacun d’entre nous plus sûre, et ce d’une manière équilibrée et réfléchie », a déclaré Cole.
Les remarques de Kiai ont été critiquées par Philip Davies, un parlementaire membre du Parti conservateur de David Cameron et du comité restreint du Parlement sur la justice.
« Cette leçon de morale sur les droits de l’homme de la part de quelqu'un originaire d’Afrique est sidérante », a déclaré Davies au journal The Sun.
« Il devrait retourner sur-le-champ dans son propre continent pour jeter un œil à certaines des violations grotesques des droits de l’homme qui s’y déroulent quotidiennement à l’initiative de personnes comme [le président du Zimbabwe] Robert Mugabe. »
Traduction de l’anglais (original).
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