La police de la morale iranienne ouvre un nouveau front dans l’affrontement politique
À l’approche de la saison estivale, les autorités judiciaires et policières iraniennes, en particulier dans la zone métropolitaine de Téhéran, se préparent à faire face à l’augmentation des infractions liées aux lois vestimentaires islamiques du pays.
Bien que cela constitue tous les ans une préoccupation depuis la révolution islamique de 1979, la décision de déployer jusqu’à 7 000 agents infiltrés pour lutter contre les comportements non islamiques marque un écart important par rapport à la norme.
Malgré les larges attributions conférées à ces nouvelles forces infiltrées, comprenant notamment la surveillance du harcèlement sexuel, de la pollution sonore et des cascades impliquant des véhicules, il ne fait guère de doute que la majeure partie de leur travail sera axée sur les violations se rapportant au port du hijab ou au code vestimentaire féminin.
En dépit des preuves faisant état d’une augmentation des infractions liées au port du hijab, notamment des cas recensés de violations intentionnelles et délibérées de la loi, cette nouvelle initiative a suscité l’ire des partisans du gouvernement pour les « effets indésirables » qu’elle pourrait produire.
En outre, l’administration Rohani et ses partisans craignent que ces nouvelles forces infiltrées ne puissent ronger leurs programmes de sensibilisation culturelle et, par extension, leurs perspectives politiques en vue des élections présidentielles de l’année prochaine.
Port du hijab : une bataille perdue d’avance ?
Les autorités iraniennes se battent depuis près de quatre décennies pour faire appliquer pleinement le code vestimentaire islamique, en particulier le port du hijab pour les citoyennes. Selon la loi, les femmes iraniennes sont tenues de s’habiller modestement de la tête aux pieds et surtout de couvrir leurs cheveux en public.
Sur la question du port du hijab, une lutte perpétuelle se joue entre les autorités et certains segments de la population féminine, en particulier chez certaines jeunes femmes des banlieues aisées de Téhéran. Ces dernières sont prêtes à repousser les limites, en portant par exemple le voile de la façon la plus ample possible.
Si les exemples de ce qu’on qualifie de « mauvais voile » (bad hejabi en persan) ne vont pas à proprement parler à l’encontre de la loi, cela suscite néanmoins une réaction de la police de la morale (Gashte Ershad) dans la mesure où cette attitude est interprétée comme un affront délibéré aux valeurs culturelles et religieuses dominantes du pays.
Ce qui est illégal, c’est bien sûr le retrait total du couvre-chef (kashfe hejab en persan), ce qui constituait jusqu’à récemment un fait extrêmement rare au point d’être inexistant. Toutefois, les campagnes sur Internet telles que « my stealthy freedom », qui encouragent les femmes à abandonner le voile même momentanément, ont suscité l’inquiétude des autorités, même s’il n’existe aucune preuve de kashfe hejab au-delà d’actes individuels isolés.
Il est important de souligner que l’application du port du hijab, ainsi que les normes islamiques portant sur l’habit et la conduite publique, forment un principe fondamental de la République islamique. Les différentes organisations chargées de promouvoir et de faire appliquer des politiques sur cette question, de la radio et télévision d’État au pouvoir judiciaire en passant par les organismes d’application de la loi, voient le hijab comme une question strictement religieuse et légale qui se situe au-delà de la politique.
Bien qu’il n’y ait aucune preuve de motivations ou conséquences politiques liée au « mauvais voile » ou aux tentatives de répression de cet acte, il est raisonnable de supposer que les mesures répressives sévères appliquées par la police de la morale risquent d’attiser des rancœurs et un sentiment d’aliénation parmi des segments de la population jeune des zones urbaines.
Les instances judiciaires et les organismes d’application de la loi semblent avoir tenu compte de ces préoccupations en présentant cette nouvelle escouade secrète de la morale comme une force purement axée sur la surveillance et la collecte de renseignements. Cette nouvelle force n’a pas le pouvoir de procéder à des arrestations et, par définition, les agents infiltrés ne peuvent se livrer à aucune forme d’intervention publique.
Hossein Sajedinia, chef de la police de Téhéran, affirme hardiment que c’est la « demande publique » qui a donné lieu à la formation de ces forces en civil et que cette initiative est conçue pour améliorer la sécurité psychologique et émotionnelle à travers la société.
Malgré ces affirmations, l’annonce de la formation de cette nouvelle police de la morale a immédiatement suscité l’opposition à la fois du gouvernement et d’éléments issus de la société civile. Sans surprise, cette problématique a rapidement dégénéré jusqu’à devenir un nouveau front de la bataille politique entre partisans et adversaires de l’administration du président Hassan Rohani.
La dimension politique
Sur le plan social, de nombreux activistes de la société civile iranienne ont réagi avec colère à l’annonce du déploiement de la police de la morale infiltrée en attirant l’attention sur les ressources considérables qui lui sont dédiées. Certains ont soutenu que celles-ci seraient mieux dépensées en déployant des agents infiltrés dans le but de lutter contre les responsables corrompus.
Au niveau politique, l’administration Rohani n’a pas perdu de temps pour décrier cette nouvelle initiative furtive. Le président Rohani a lui-même mené la charge en affirmant que cette dernière intervention axée sur la morale risque de porter atteinte à la « dignité du peuple ».
Shahindokht Molaverdi, vice-présidente de Rohani pour les femmes et les affaires familiales, a promis que le gouvernement « examiner[ait] la force qui a été proposée », dans la mesure où selon elle, de nombreux citoyens se sont plaints au sujet de celle-ci. Par ailleurs, le gouvernement ne peut déterminer les décisions opérationnelles des forces de police de Téhéran.
Les craintes du gouvernement et de la vaste coalition centriste réformiste qui le soutient pourraient ne pas être entièrement déplacées. Il est raisonnable de penser qu’au-delà de la mise au point de nouvelles méthodes pour lutter contre l’immoralité et le désordre public, l’establishment considère cette initiative comme un moyen efficace de contrer les gains politiques récents de la coalition centriste réformiste.
Sur le plan tactique, il convient de souligner que les forces de police morale en civil opéreront uniquement dans la zone métropolitaine de Téhéran. D’un point de vue électoral, il s’agit d’un secteur critique, où les alliés de Rohani ont remporté la totalité des 30 sièges lors des récentes élections législatives.
En entravant les libertés socio-culturelles dans la capitale de la nation et en déclenchant un effet dépressif concomitant au niveau de l’électorat naturel des centristes réformistes, les cercles du pouvoir tentent probablement de contrecarrer de nouveaux gains politiques des fidèles de Rohani.
À un niveau plus large et compte tenu de l’expérience de l’administration réformiste de l’ancien président Mohammad Khatami (1997 – 2005), ces instances tentent de dissocier les gains politiques des réformistes de la libéralisation socio-culturelle.
Le message qui sous-tend profondément ces démarches est que la République islamique est déterminée à s’accrocher à ses valeurs idéologiques et culturelles fondamentales en dépit des sables mouvants politiques dans lesquels elle évolue.
- Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique iranienne. Il dirige le groupe de recherche Dysart Consulting.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un policier iranien arrête un homme au cours de mesures de répression morale à Téhéran, le 18 mai 2007 (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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