Qui est cet homme politique canadien d'origine saoudienne qui conseille Justin Trudeau ?
TORONTO, Canada - On a collé beaucoup d’étiquettes à Omar Alghabra : fidèle conseiller du Premier ministre canadien ; islamiste en secret, et « Political Man », « Homme politique » en français, super-héros de bande dessinée en costume trois pièces.
Né de parents syriens mais élevé en Arabie saoudite, Omar Alghabra a émigré au Canada à l’âge de 19 ans pour étudier le génie mécanique. Il avoue ne pas avoir beaucoup pensé à la politique dans sa jeunesse ou pendant ses études, quand il essayait de joindre les deux bouts en travaillant pour un vendeur de beignets, dans une station d’essence puis dans une supérette. Mais son expérience a contribué à lui obtenir une position clé au côté du Premier ministre Justin Trudeau et à recueillir une forte popularité chez des électeurs de tous bords à Toronto.
Omar Alghabra a été deux fois élu député du Parti libéral au Parlement canadien – la première fois en 2006, où il a servi pendant deux ans, puis de nouveau en 2015. Sa circonscription, Mississauga-Centre, est une grande circonscription électorale limitrophe de Toronto, où plus de 50% des résidents sont issus de communautés minoritaires, principalement d’Asie du Sud.
Depuis son entrée en politique, cet homme de 46 ans a laissé sa marque avec sa campagne passionnée en faveur des droits de l’homme et d’un meilleur équilibre entre libertés civiles et lois sécuritaires, tout en s’investissant dans un lobbying actif pour réformer l’immigration. Mais c’est en politique étrangère qu’Omar Alghabra se fait le plus remarquer.
Ami personnel de longue date de Justin Trudeau, il fait depuis longtemps partie des personnalités en vue dans les milieux politiques d’Ottawa. Suite à la victoire de Justin Trudeau aux élections fédérales en octobre dernier, il a été nommé secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, avec pour mission d’assurer la liaison entre ministre et parlement, de répondre aux questions et de présenter des rapports lorsque les ministres sont absents de la Chambre des Communes.
Le directeur d’Omar Alghabra s’est trouvé mêlé à la controverse autour de la vente de matériels militaires à l’Arabie saoudite, entre autres riches États arabes. Depuis quelques mois, les ventes grimpent en flèche, faisant aujourd’hui du Canada le deuxième marchand d’armes le plus important du monde dans la région, derrière les États-Unis.
IHS Jane, éditeur spécialisé dans l'industrie de la Défense qui s’intéresse de près aux dépenses militaires, pense que le Canada est passé de la sixième à la deuxième place grâce aux 15 milliards de dollars engrangés lors de la vente de véhicules de combat à Riyad en début d’année. Cette vente fut le contrat le plus important du Canada, signé en dépit du bilan déplorable du royaume en matière de droits de l’homme et malgré le fait qu’il ait pris la tête l’an dernier d’une campagne particulièrement meurtrière contre les Houthis au Yémen.
Les comités de défense des droits de l’homme, les hommes politiques du Parti libéral, et même certains acteurs clés issus des rangs du ministre des Affaires étrangères, se sont prononcés contre ce contrat.
Quelques semaines avant de rejoindre le Global Affairs office (Secrétariat aux affaires mondiales), nouveau nom du ministère canadien des Affaires étrangères, Jocelyn Coulon, universitaire et ancien journaliste, a publié une colonne dans un journal québécois, faisant valoir que l’Arabie saoudite achète, à coups de contrats d’armements, le silence du Canada, faisant taire toute critique.
Il souligne que « l’Arabie saoudite a acheté le silence des Occidentaux avec ses juteux contrats civils et militaires », signés alors même que l’armée saoudienne « sait à peine s’en servir, comme on le constate au Yémen et contre les militants de l’État islamique ».
Mais Stéphane Dion, avec le soutien d’Omar Alghabra, a fait taire les critiques. Il réaffirme que le contrat ne sera pas annulé et que les liens de plus en plus étroits du pays avec l’Arabie saoudite vont permettre aux politiciens canadiens d’exprimer leurs préoccupations en privé.
Quand, le mois dernier, une délégation canadienne a rendu visite à Riyad dans le cadre d’une réunion entre le Canada et le Conseil de coopération du Golfe, Omar Alghabra ajoué un rôle de premier plan pendant les discussions.
« Écoutez - l’Arabie saoudite est un pays souverain. Notre rôle de représentants du gouvernement canadien nous amène à traiter avec le gouvernement saoudien, dans un esprit ouvert et compréhensif », a-t-il déclaré à Middle East Eye, peu après cette visite fin mai.
« Ce fut donc une excellente occasion de rencontrer de hauts fonctionnaires, et le roi lui-même, ainsi que des personnalités représentant des organisations indépendantes, pour évoquer les questions que les Canadiens souhaitent voir traitées. »
Omar Alghabra a rapportéque l’audience avec le roi fut « très surréaliste », mais il a eu l’impression qu’il y avait possibilité de coopérer.
« Lorsque j’ai rencontré le roi, je lui ai fait savoir que je suis né en Arabie saoudite », a-t-il dit. « Il s’est montré très chaleureux et accueillant. J’ai confié à mes collègues à l’époque que je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je reviendrais pour rencontrer le roi en tant que représentant du gouvernement canadien. »
Dans un état notoire pour l’emprisonnement de poètes et blogueurs, il était difficile de rencontrer des organisations indépendantes de défense des droits de l’homme. Omar Alghabra souligne qu’il a cependant cherché à rencontrer autant de personnes que possible.
« Pendant les 30 heures de notre visite, avons-nous rencontré tout le monde ? Probablement pas. Avons-nous parlé avec des personnalités non-gouvernementales et représentatives de la société civile ? Absolument », a-t-il insisté.
La commission nationale des droits de l’homme, organisme gouvernemental relevant directement de la Cour royale – et que des militants saoudiens de premier plan estiment inepte – faisait partie des points les plus importants à l’ordre du jour de la réunion.
« Nous savions que c’était un organisme gouvernemental saoudien, mais nous pensions qu’il serait important d’apprendre d’eux-mêmes ce qu’ils faisaient, et de partager sans détour quelques-unes des idées que nous pourrions suggérer », a expliqué Omar Alghabra.
Les femmes dans le royaume
Omar Alghabra affirme sentir venir « de vrais changements » en matière des droits des femmes.
« Il ne fait aucun doute que les femmes doivent relever un grand nombre de défis mais j’ai observé que beaucoup sont de femmes sont déterminées, confiantes, se retroussent les manches et militent pour des réformes et des changements », affirme-t-il.
Omar Alghabra a dit avoir, pendant sa visite, rencontré deux femmes élues aux conseils municipaux en décembre dernier, lors des premières élections locales du pays où les femmes ont eu le droit de voter et aussi de se présenter.
« L’une d’elles avait quitté [le conseil municipal depuis l’élection] et l’autre avait décidé de rester. J’ai trouvé intéressant de parler à chacune d’elles et de comprendre leur choix... ainsi que les entendre parler du cheminement qui les a menées à être élues et des obstacles sur leur route », a-t-il confié.
Selon Omar Alghabra, les préoccupations très spéciales des femmes saoudiennes ont été bien exprimées autour de la table ronde qu’il a tenue avec elles, conjointement au ministre des Affaires étrangères.
« Voici ce qu’une de ces femmes a dit au ministre et à moi-même : "Je vous l’avoue, nous arrivons à cette réunion avec un esprit partagé. D’un côté, nous voulons vous faire part des défis et expériences auxquels nous sommes confrontés. Mais d’un autre côté, nous ne voudrions pas qu’un pays occidental comme le Canada tire des conclusions erronées de notre travail et se sente obligé d’imposer ou d’exiger quoi que ce soit" », a confié Omar Alghabra.
« "Nous voulons vous faire savoir que nous travaillons très dur de l’intérieur du pays, au niveau national, et que la meilleure façon de réussir est de s’y prendre de façon organique. C’est pourquoi nous étions réticentes à participer à cette réunion : nous ne voulons pas que des tiers étrangers viennent nous expliquer comment nous y prendre. " J’ai trouvé cette remarque très intéressante, extrêmement intéressante », a-t-il ajouté.
« Islamiste caché »
Omar Alghabra est parfaitement conscient de l’ironie qu’il y a à représenter un parti souvent classé progressiste et libéral, tout en ayant grandi sous un régime autocratique.
Il avoue que ce retour en Arabie saoudite fut une occasion très « spéciale », ce voyage ayant fait « remonter des souvenirs, beaucoup de souvenirs », et lui a rappelé « combien il y fait chaud ». Mais il mène désormais une vie très différente.
« J’ai grandi dans un pays où la politique est vraiment la chasse gardée des élites ; il n’y a ni démocratie, ni participation civile », a-t-il déclaré dans un entretien accordé en 2010.
« Je croyais qu’on faisait de la politique par intérêt personnel, et que les politiques ne se souciaient guère d’aider les étudiants à l’université, qu’ils ne servaient que leur propres intérêts. »
« C’est pour cette raison que je m’étais toujours tenu à l’écart de tout ce qui avait de près ou de loin rapport avec la politique ou l’esprit partisan. Ce n’est que plus tard que je me suis mis à réfléchir au sens de la vie - nous sommes des êtres humains et enclins par nature à nous plaindre de ce qui ne va pas et vouloir résoudre les problèmes. J’ai compris que si les gens ne font pas valoir leurs propres idées, rien ne changera. C’est alors que je me suis engagé en politique. »
Cependant, si Omar Alghabra tient à dire que son expérience lui fournit une perspective « unique » lui permettant de se rendre utile pour servir de pont entre le Canada et le Golfe, il s’est également trouvé lui-même en butte à des attaques motivées par son origine ethnique et ses opinions pro-palestiniennes.
Le journal de droite Toronto Sun, entre autres publications, compte parmi ses plus féroces détracteurs. L’année dernière, la presse juive canadienne a publié un long article afin de relancer les allégations quant à ses prétendues idées islamistes.
Ces « allégations » font référence à un incident rapporté en 2006 : un partisan d’Omar Alghabra aurait crié que son élection était « une victoire pour l’islam ! L’islam a gagné ! L’islam a gagné ! ... Le pouvoir islamique atteint la politique canadienne ».
Cette histoire a déclenché un tollé parmi les spécialistes néoconservateurs au Canada et aux États-Unis, dont l’historien et observateur politique Daniel Pipes, qui a prétendu que cet incident mettait en évidence le soutien d’Omar Alghabra à un « agenda islamiste ». Daniel Pipes a rappelé qu’il n’avait pas condamné les kamikazes palestiniens, ce qu’on attendait de lui pendant une interview à la Jewish Tribune, et qu’il aurait un jour critiqué le chef de la police de Toronto pour avoir pris part à une marche de charité pour Israël.
Ceci-dit, Omar Alghabra a déclaré que cette couverture médiatique le laissait de marbre et a nié catégoriquement tout lien avec des groupes islamistes ou toute allégation d’antisémitisme.
« Ai-je une seule fois été confronté à de la discrimination ou du racisme dans l’exercice de mes fonctions ? Non, et je le dis sans équivoque », a-t-il déclaré. « Ai-je jamais entendu dans les médias sociaux des commentaires négatifs fondés sur des stéréotypes négatifs ou des préjugés ? Certes oui, mais rarement. Sont-ils représentatifs d’un grand nombre de Canadiens ? Sûrement pas. »
La réponse est simple, à ses yeux. Il faut en faire davantage pour promouvoir les points de vue et valeurs du Canada.
« Le Canada est un pays inclusif, qui essaie de traiter tout le monde de la même façon, avec tolérance, et dans le respect de la diversité de sa population », affirme-t-il.
Mais ce ne saurait être une relation à sens unique.
« Je ne dis pas que nous vivons l’utopie au pays des Bisounours où tout fonctionne parfaitement. La meilleure façon de résoudre nos difficultés c’est de les prendre à bras le corps, et de les reconnaître, pour commencer. Ce n’est pas en baissant les bras et en se plaignant qu’on fera avancer les choses dans le bon sens », affirme Omar Alghabra.
« Faire le choix d’agir – même si cela parait difficile – nous associe parfois avec des gens et situations avec lesquels nous sommes en désaccord. Mais c’est infiniment plus utile que de rester assis sur le banc de touche. »
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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