L’ONU, complice silencieuse d’Assad dans la famine
« L’ONU est la complice silencieuse du régime d’Assad dans l’extermination de Daraya » peut-on lire sur une pancarte tenue par les habitants devant les restes d’une maison bombardée.
Daraya, banlieue de Damas, a été soumise à un siège du régime pendant près de quatre ans, au cours desquels 9 017 bombes barils contenant des explosifs et des éclats de métal ont été larguées sur la ville depuis des hélicoptères du régime. Pour cette raison, la ville a été surnommée par l’ONU « capitale syrienne des bombes barils ».
Daraya comptait environ 8 300 civils, s’ajoutant aux 1 200 combattants de l’armée syrienne libre (ASL) modérée, plus tôt cette année.
La ville était un modèle de ce que pourrait être une future Syrie démocratique : en dépit de la famine et des bombes baril incessantes, le conseil local de Daraya servait de gouvernement – gérant les services de la ville, collaborant avec l’ASL dans la zone.
Pourtant, plutôt que de travailler avec le conseil local, l’ONU a choisi de travailler avec le camp larguant les bombes barils. À chaque étape du processus, l’ONU a consenti aux souhaits du régime concernant Daraya, n’autorisant qu’une aide minimale et, enfin, garantissant l’accord d’évacuation qui a délogé la population de la ville.
« Affamer jusqu’à la soumission »
Le régime d’Assad est responsable de plus de 90 % des sièges en Syrie et, en dépit des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies autorisant l’acheminement de l’aide « à travers les lignes de conflit », l’ONU a capitulé face à la stratégie du régime, n’entrant que dans des zones autorisées.
L’ONU n’a pas traversé les lignes pour nourrir ceux qui en avaient besoin, mais a capitulé et facilité la stratégie de famine et de déplacement forcé du régime
Les données montrent que près de 96 % de l’aide va aux zones contrôlées par le régime contre seulement 4 % aux zones de l’opposition. En conséquence, tous les décès dus à la famine en Syrie se produisent dans les zones contrôlées par l’opposition. Les zones du gouvernement sont renforcées tandis que les zones de l’opposition dépérissent et meurent de faim sous une pluie constante de bombes barils.
Cette stratégie avouée consistant à « affamer jusqu’à la soumission » culmine souvent dans des trêves locales, dont l’ONU se fait volontiers l’intermédiaire et qu’elle soutient. Les scènes de civils affamés quittant péniblement des villes réduites à des tas de gravats, accompagnés par les véhicules blancs et reluisants de l’ONU, sont familières.
Dans le cas présent, l’ONU n’a pas traversé les lignes pour nourrir ceux qui en avaient besoin, mais a capitulé et facilité la stratégie de famine et de déplacement forcé du régime.
À Daraya, il a été révélé que l’ONU avait participé à deux mois de négociations sur l’accord d’évacuation, bien qu’elle ait nié son implication. Dans sa première interview après l’évacuation, Abu Jamal, le leader de l’ASL à Daraya, a confirmé que la présence de l’ONU en tant que médiatrice ou garante était une condition pour l’accord, malgré l’insistance de l’ONU sur le fait qu’elle n’avait « pas été consultée ou impliquée dans la négociation de cet accord ».
Beaucoup considèrent ces accords d’évacuation comme un « nettoyage ethnique ». Des familles chiites ont emménagé à Homs après l’accord de 2015 et Zabadani prendrait la même direction.
La première image que j’ai vue après l’évacuation de Daraya était celle d’un commandant de milice chiite irakienne dirigeant la prière parmi les décombres de la ville.
Traduction : « L’imam Hussein, un commandant de la milice chiite irakienne pro-Assad Liwa, à Daraya après que les habitants ont été évacués de force par Assad » – Sami (@Paradoxy13)
Plus tard sont apparues des images de biens civils pillés vendus dans les rues. Assad a lui-même été filmé marchant à travers la ville au premier jour de l’Aïd entouré d’un petit groupe de ministres.
Une culture de la capitulation et de la complaisance est née au début de la révolution de 2011, lorsque le régime a menacé de retirer les visas du personnel de l’ONU si l’organisation tentait de fournir de l’aide à Daraa. L’ONU a obtempéré et, depuis lors, un modus operandi s’est dessiné et les principes de neutralité, d’impartialité, d’indépendance opérationnelle et d’humanité du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU ont été mis au rebut. Comme une femme battue, qui tolère les violences qu’elle subit de peur de tout perdre, l’ONU a renoncé à tous ses principes pour rester en Syrie.
La liste des scandales est révélatrice : il a été révélé que des documents de l’ONU sous-estimaient la famine dans le pays après avoir été envoyés au gouvernement ; l’épouse du vice-ministre des Affaires étrangères, Shukria Mekdad, a été engagée par l’OMS en tant que consultante sur la santé mentale des personnes déplacées ; et, plus récemment, il a été révélé que l’ONU a accordé des dizaines de millions de dollars en contrats à des organisations et personnes liées au régime qui sont sur les listes de sanctions, notamment 8,5 millions de dollars à une association caritative fondée et présidée par l’épouse d’Assad.
En conséquence, 70 groupes d’aide humanitaire ont suspendu leur coopération avec l’ONU, affirmant qu’Assad a acquis une influence « significative et substantielle » sur les efforts humanitaires en Syrie. Dans le même temps, les parachutages suggérés par le Groupe international de soutien à la Syrie (ISSG) avec la date butoir du 1er juin ont été jugés « impossibles » par l’ONU dans les zones de l’opposition.
Travailler avec les conseils locaux
En 2009, deux ans avant le début de la crise en Syrie, l’ONU a reconnu ses erreurs au Sri Lanka, où son insistance à travailler avec le gouvernement a totalement compromis son travail. Pourtant, à peine deux ans plus tard, l’histoire du Sri Lanka s’est répétée aujourd’hui en Syrie dans une ampleur inimaginable.
Ces conseils soutiennent la vie dans ces zones et mettent effectivement en œuvre sur le terrain la « transition » qui a été longtemps promise par la communauté internationale, mais n’a jamais été concrétisée
L’ONU n’a pas toujours été comme ça. En Yougoslavie, en 1994, elle respectait avec force ses principes humanitaires, attaquant le dirigeant des Serbes de Bosnie Karadžić sur son utilisation de la famine comme arme de guerre et fournissant, sans attendre de permission, une aide humanitaire à travers les lignes de conflit.
Il existe des alternatives à la coopération avec le régime en Syrie. Toutes les zones de l’opposition à travers le pays sont dirigées par des conseils locaux et des organisations qui soutiennent leurs communautés locales. Daraya en était un parfait exemple.
Les deux fois où les Nations unies ont acheminé un peu d’aide humanitaire dans la ville, elles se sont coordonnées avec ce conseil. Lorsque l’accord d’évacuation a été négocié, c’était ce conseil civil (avec des représentants militaires) qui a négocié les termes de l’accord par lequel l’ASL a rejoint Idlib en toute sécurité, tandis que les civils étaient réinstallés en banlieue rurale de Dama.
Avec ce dont ils disposent, avec les conditions déplorables dans lesquelles ils opèrent, les conseils soutiennent la vie dans ces zones et mettent effectivement en œuvre sur le terrain la « transition » qui a été longtemps promise par la communauté internationale, mais n’a jamais été concrétisée. Bien sûr, le régime s’oppose à ce que l’ONU soutienne et travaille avec ces conseils locaux : ils sont les racines d’une nouvelle Syrie démocratique.
En revanche, une sombre contradiction demeure : l’organisation construite sur le respect des droits de l’homme se plie à la volonté d’un régime coupable des crimes de guerre les plus graves : armes chimiques, bombes à fragmentation, bombes barils, phosphore blanc et napalm, torture à une « échelle industrielle », « extermination » systématique des détenus et déplacements de masse.
Dix jours avant l’évacuation de Daraya, des bombes incendiaires, décrites par les habitants comme du « napalm », ont été larguées depuis des hélicoptères du régime sur le seul hôpital de Daraya, le réduisant en cendres. Tel est le visage du « gouvernement » avec lequel l’ONU insiste pour continuer à travailler.
L’ONU se cramponne à son obligation de travailler avec le gouvernement souverain de la Syrie, mais ne faut-il pas s’interroger, quand un pays abandonne ses devoirs de protection de son propre peuple, si son gouvernement ne perd pas alors sa souveraineté ? Près de 95 % des civils tués dans la guerre civile syrienne le sont par les forces gouvernementales, mais bien sûr, l’ONU a cessé de suivre l’évolution du bilan il y a des années.
- Lara Nelson est consultante pour les composantes politiques et militaires de l’opposition syrienne depuis 2013. Auparavant, elle a officié en tant que conseillère politique principale en charge des questions du Moyen-Orient au parlement britannique. Elle a également travaillé en Palestine – en Cisjordanie et dans la bande de Gaza – après l’opération « Plomb durci » de 2008-2009. Bilingue en arabe, elle est titulaire d’un diplôme en Théologie de l’Université d’Oxford avec une spécialisation dans l’islam, ainsi que d’une maîtrise en Relations internationales et diplomatie de l’École des études orientales et africaines de l’Université de Londres. Au cours de l’année 2013, elle a été chercheuse invitée à la Middle East Initiative de la Harvard Kennedy School.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : les habitants de Daraya à la fin août 2016 (Twitter/@RFS_NORTH).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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