Liban : la décharge de Bourj Hammoud est un désastre annoncé
Il y a un an, l’État libanais a présenté une solution à la crise des ordures.
Les manifestants, qui avaient envahi le centre-ville de Beyrouth presque quotidiennement en insistant plus que jamais pour que soient adoptées des alternatives respectueuses de l’environnement, avaient été choqués d’apprendre que le plan du gouvernement incluait la construction de nouvelles décharges – et la réouverture d’une ancienne, celle de Bourj Hammoud, un quartier pauvre et surpeuplé de la banlieue de Beyrouth.
Une poignée de résidents et de militants de Beyrouth avaient protesté en face de la mairie de Bourj Hammoud le 18 septembre 2015 après l’annonce du plan.
Traduction : « Nous sommes à la mairie de Bourj Hamoud. Les mauvaises conditions de vie ici leur font risquer une crise sanitaire”. #طلعت_ريحتكم
Aujourd’hui, alors qu’on prépare la décharge pour sa réouverture, un large tas d’ordures, connu des résidents sous le nom de « montagne des ordures », s’élève toujours tel un rappel peu réjouissant de ce que ce quartier a jadis subi.
Sous la direction du ministère de l’Environnement Mohammad Machnouk et de celui de l’Agriculture Akram Chehayeb, le nouveau plan de gestion des déchets, et notamment la décharge de Bourj Hammoud, est la recette d’un désastre annoncé.
Quand les profits prennent le pas sur le bien-être des populations
C’est un autre site de stockage des déchets – celui de Naameh – qui a le premier déclenché les manifestations des ordures en juillet 2015. Ouvert en 1997, il était le fruit d’un plan de réduction des déchets purement incohérent, qui finit par déborder et impacter négativement sur la vie quotidienne des résidents.
Tous les signes pointent vers une solution qui privilégie le profit au détriment de la population, sans parler de l’environnement
Cependant, rouvrir la décharge de Bourj Hammoud – qui débordait déjà lorsque la crise des poubelles à Beyrouth a fait la une des médias internationaux – participe d’une stratégie inspirée par le profit, avec de graves conséquences qui vont au-delà du domaine de la santé public et de l’environnement.
Le site se situe sur la côte, précisément sur un terrain soi-disant aménagé qui a été construit au-dessus de l’eau. Ce n’est pas la première fois qu’un espace a été aménagé de la sorte afin de générer des revenus.
À la fin de la guerre civile, en 1990, un projet de développement dénommé LINOR avait vu des plages du nord de Beyrouth, autrefois surnommées les « plages dorées » pour leur eau cristalline et leur magnifique sable, être transformées en décharges.
Selon le ministre Akram Chehayeb, le site de Bourj Hammoud sera ouvert pendant quatre ans, et la mairie recevra 25 millions de dollars d’aide au développement par an jusqu’à ce qu’il ferme.
Bien entendu, la municipalité peut utiliser cette injection annuelle de cash comme elle veut, et elle peut choisir de vendre le terrain à des entreprises si elle le souhaite.
Pourtant, alors que Bourj Hammoud – un quartier surpeuplé, historiquement arménien, qui accueille désormais des réfugiés syriens, des travailleurs migrants originaires d’Afrique et d’Asie du Sud et une petite communauté kurde – ne serait pas contre le fait de disposer d’un peu plus de place pour pouvoir bénéficier de logements abordables ou même d’espaces publics, la municipalité n’a pas consenti le moindre effort pour chercher à savoir ce dont avaient besoin ses administrés.
Tous les signes pointent vers une solution qui privilégie le profit au détriment de la population, sans parler de l’environnement.
Jad Chaaban, professeur associé à l’Université américaine de Beyrouth, pense que ces projets sont une manière idéale pour l’establishment de faire de l’argent alors que ses ressources sont au plus bas – et ce aux dépens des populations et de l’environnement, bien évidemment.
« Les partis politiques sont à court de liquidités, car tout l’argent [des États donateurs étrangers] va à la Syrie ; le Liban n’a pas d’importance », m’a-t-il dit.
Un mouvement local en difficulté
Il y a un an, un mouvement dont le potentiel était certes petit mais fort avait pris forme ; cependant, les résidents de Bourj Hammoud ont eu du mal à continuer sur leur lancée pour empêcher la décharge d’ouvrir.
Un activiste, que j’appellerai Carl, a indiqué qu’alors que les Arméniens soutiennent le mouvement et sont satisfaits de ce qu’il est en train de faire, ils ont simplement trop peur de descendre dans les rues par crainte d’avoir des problèmes avec le parti Tashnag.
Tashnag, la plus grande formation politique arménienne du Liban, est de loin le parti le plus influent à Bourj Hammoud. Carl compare son influence et son monopole politique à celui du Hezbollah à Dahieh.
Le parti a concouru aux dernières élections municipales sans rencontrer d’opposition et, compte tenu des pratiques tristement célèbres d’espionnage politique et de délation qui existent au Liban, ainsi que la dépendance de type féodal à l’échange de votes et à l’aide à l’obtention de services comme les soins de santé, les bourses d’étude ou même les emplois, les habitants sont confrontés à un dilemme de taille.
Peut-être qu’un soutien plus grand de la part de personnes extérieures à Bourj Hammoud inciterait les résidents à descendre dans la rue ; après tout, les délateurs et les espions auront du mal à identifier quiconque dans une foule massive.
Les activistes de Bourj Hammoud ont bien reçu une aide de l’extérieur, mais elle est loin d’être idéale. Alors que You Stink a essentiellement eu recours à des campagnes sur les réseaux sociaux, les Kataëb ou Phalanges libanaises, un parti chrétien de droite, ont rempli ce vide à Bourj Hammoud.
Bien qu’elles fassent partie de l’establishment libanais et qu’elles aient en leur cœur des politiques ultra-nationalistes et sectaires plutôt effrayantes, les Phalanges ont également le programme le plus progressiste en matière de gestion des déchets, un programme qui correspond virtuellement à celui du mouvement de protestation du Liban.
Les membres des Phalanges ont rejoint les activistes de Bourj Hammoud, organisant même un sit-in en face de l’entrée de la décharge, mais ont toutefois plié bagage moins d’un moins plus tard en affirmant que leur proximité avec la décharge avait nui à leur santé.
Un dilemme similaire existe à présent chez les quelques activistes de Bourj Hammoud présents à l’apogée du mouvement de protestation libanais il y a 365 jours : opter pour des alliances thématiques avec des partis politiques de l’establishment ou les rejeter quoi qu’il en soit ?
Que faire ?
La seule façon de régler cette question, ainsi que d’autres problèmes auxquels est confronté le Liban, est que l’idée suivante ne fasse plus l’objet de débats : les problèmes nationaux au Liban remontent tous aux fondations sur lesquelles le pays a été bâti.
La gestion des déchets viendra-t-elle s’ajouter à la longue liste des services publics les plus basiques que le soi-disant Paris du Moyen-Orient ne peut pas fournir ?
Si le sectarisme est probablement la cerise sur le gâteau, ce à quoi la fondation du pays s’apparente réellement peut être le mieux décrit comme du neoféodalisme (comprenez cela comme une combinaison de féodalisme et de néolibéralisme), où des dynasties exploitent les terres et le capital en se focalisant purement sur le profit.
Il est absolument impossible que le gouvernement libanais – qui est composé de partis et de nombreux individus ayant pris part à la guerre civile (1975-1990) et ayant bénéficié de la loi d’amnistie au sortir du conflit, qui n’a pas de président et qui dispose d’un parlement qui prolonge son terme illégalement depuis 2013 – fournisse une solution qui privilégie les populations sur le profit, ou qui prenne même en considération la forme la plus minimalement équitable d’allocation de l’argent public.
Si c’était le cas, alors les immeubles au Liban n’auraient pas besoin de générateurs externes et de citernes pour pallier aux interruptions d’eau et d’électricité.
L’activiste de Bourj Hammoud Kathy Moughalian affirme que de nombreux résidents, dont sa propre famille, sont désormais contraints de déterminer la direction du vent pendant la journée avant de décider s’ils peuvent ouvrir leurs fenêtres ou s’ils doivent les fermer pour échapper à la puanteur.
La gestion des déchets viendra-t-elle s’ajouter à la longue liste des services publics les plus basiques que le soi-disant Paris du Moyen-Orient ne peut pas fournir ?
À ce stade, il appartient au peuple de décider s’il veut continuer à rire de ses malheurs tout en s’efforçant péniblement de joindre les deux bouts ou s’il est prêt à s’organiser pour s’octroyer une existence qui satisfasse ses droits les plus élémentaires.
- Kareem Chehayeb est un auteur et musicien libanais vivant à Beyrouth. Il est le co-fondateur du Beirut Syndrome, une plateforme médiatique citoyenne. Vous pouvez le suivre sur Twitter @chehayebk
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : de la fumée s’élève d’un dépotoir en feu à l’entrée nord de la capitale libanaise Beyrouth le 26 octobre 2015 (AFP).
Traduit de l’anglais (original).
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