Khalid Gueddar à MEE : « Notre liberté aussi est sacrée »
« J’ai déjà eu affaire à des gens qui m’insultent, qui menacent de faire bloquer mon compte, mais jusqu’à maintenant je n’avais jamais reçu de menaces de mort. Cette escalade est dangereuse. »
Le caricaturiste marocain Khalid Gueddar, directeur de la revue satirique Baboubi (ABC en dialecte marocain), a demandé lundi la protection de la police après avoir reçu des menaces de mort sur sa page Facebook.
Il y avait partagé la caricature pour laquelle l’écrivain jordanien Nahed Hattar a été tué par balles dimanche. On y voit un djihadiste sur un lit, au paradis, entouré de deux femmes et s'adressant à Dieu comme à un simple serviteur, lui demandant d'apporter un verre de vin, des noix de cajou et l'ordonnant d'emmener quelqu'un pour nettoyer la chambre, avant de lui faire remarquer qu'il devait frapper à la porte avant d'entrer.
Nahed Hattar avait lui-même partagé le dessin sur sa page Facebook, ce qui lui avait valu d’être poursuivi par les autorités jordaniennes pour « incitation aux dissensions confessionnelles » et « insulte » à l'égard de l'islam. C’est sur les marches du tribunal où il se rendait qu’il a été assassiné.
Contacté par Middle East Eye, Khalid Gueddar explique sa démarche : « Si j’ai partagé cette caricature, c’est pour montrer que le dessin fait peur aux intégristes. L’assassinat de Nahed Hattar prouve qu’avec ces gens-là, il n’y a pas de dialogue. Il n’y a que la violence pour maintenir les dessinateurs dans la peur, pour qu’ils n’osent pas toucher au sacré. »
En Tunisie, Nidhal Ghariani, 41 ans, co-fondateur de la revue Lab619, revue de dessins de presse, a aussi tenu à marquer l’assassinat de Nahed Hattar d’un dessin. Sur sa page Facebook, il a publié une caricature intitulée « Entre ceux qui pensent et ceux qui les jugent mécréants ».
Traduction : « Le personnage de droite : ‘’Je pense donc je suis’’. Le personnage de gauche : ‘’Je te traite de mécréant donc tu es enterré vivant’’ ».
« Je voulais lui rendre hommage et surtout, défendre le droit à la libre pensée », explique-t-il à MEE.
À Alger, Saâd Jonklif, caricaturiste de la jeune génération, qui dessine pour El Watan et Jeune Afrique, le concède : défendre la liberté est une « lourde tâche » car la société n’est pas forcément prête. « Caricaturer le prophète me vaudrait deux à cinq ans de prison pour offense à l’islam. Mais avant ça, je me ferais peut-être poignarder par mon voisin barbu ! »
Khalid Gueddar le rejoint : « La société a besoin de temps pour comprendre, d’autant qu’on est interdits de passer dans les médias publics. Donc aux yeux de la société, les caricaturistes sont coupables. » En février 2010, le dessinateur marocain a été condamné à trois ans de prison avec sursis pour avoir représenté un membre de la famille royale sur le site Bakchich. Il fut aussi licencié du quotidien marocain où il travaillait, Al Masse.
« Les intégristes sont partout, résume Khalid Gueddar. Ils agissent en bande organisée pour terroriser tout le monde sur les réseaux sociaux. C’est pourquoi je veux dire aux dessinateurs du monde arabe qu’il est de notre devoir de défendre notre liberté car elle aussi, est sacrée. »
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