INTERVIEW : Florian Philippot, l’architecte de la « stratégie de dédiabolisation » du FN
Loin des outrances et saillies racistes de Jean-Marie Le Pen, le fondateur du Front national, Florian Philippot s’est attaché à construire, avec minutie, une image du parti policée, lisse et compatible avec une arrivée au pouvoir. Mais cet homme pressé de 35 ans, pur produit de l’énarchie à la française, semble aussi contesté à l’intérieur du parti qu’il est courtisé par les médias français qui apprécient son sens incisif et télégénique de la formule et son aspect « présentable ».
À l’intérieur du parti, il est l’hémisphère « gauche » de Marine Le Pen, quand sa nièce, Marion Maréchal Le Pen, en serait l’hémisphère droit. Protectionniste, brandissant la laïcité pour l’un, libérale et proche des milieux catholiques conservateurs pour l’autre, tout oppose ces deux caciques du parti, de l’économie aux questions sociétales – à charge pour Marine Le Pen de faire la synthèse. Florian Philippot sera surtout incontournable lors de la campagne présidentielle de 2017, et si Marine Le Pen est élue à la tête de la France, il deviendra l’un des hommes-liges de sa politique. En effet, la question désormais n’est plus de savoir si Marine Le Pen sera au second tour mais à qui elle sera opposée, dans une France où les attentats, le chômage endémique et la respectabilité nouvelle du parti permettent de poser ouvertement l’hypothèse d’un FN aux responsabilités en mai 2017.
Florian Philippot répond donc à Middle East Eye. Que ce soit sur le Frexit, l’islam, la politique internationale ou l’économie, une constante se détache : l’amélioration de la situation française passera forcément, selon lui, par la réaffirmation de la souveraineté de la France, panacée unique et quasi magique à tous les maux du pays.
MEE : Quelles leçons tirez-vous du Brexit ? Vous aviez estimé qu'il n’aurait aucune conséquence économique, mais la livre sterling a chuté, la City semble désormais menacée dans son rôle de première place boursière européenne...
Florian Philippot : Des annonces apocalyptiques ont été faites pour essayer de faire peur aux Britanniques avant le vote. Dans les jours qui ont suivi le Brexit, on a essayé de faire croire aux opinions publiques européennes que les Britanniques regrettaient, que c'était la catastrophe. Certes, la livre a baissé, mais selon le FMI, elle était surévaluée. Cette baisse est donc une bonne nouvelle pour le Royaume-Uni puisque que sa monnaie est désormais à un niveau plus adapté à son économie.
Le Brexit a eu peu d’impacts positifs sur les exportations, mais a eu un rôle positif sur le tourisme, qui a été très important cet été au Royaume-Uni. Pour le reste, j’observe un chômage en baisse, un indice de confiance sans doute le plus élevé depuis très longtemps, une augmentation de la production industrielle, un positionnement à la Bourse qui avait certes baissé juste après le Brexit mais qui est revenu à un niveau plus élevé que jamais depuis plusieurs années.
« La situation est bien meilleure au Royaume-Uni qu'elle ne l'est par exemple en France ou dans la zone euro. L'apocalypse annoncée n'a pas eu lieu »
En réalité, la situation est bien meilleure au Royaume-Uni qu'elle ne l'est par exemple en France ou dans la zone euro. L'apocalypse annoncée n'a pas eu lieu. Au contraire, le gouvernement britannique, dirigé par Theresa May, semble faire preuve de volontarisme et a annoncé un plan de ré-industrialisation ambitieux. Un nouveau cap est fixé et les choses, au grand dam des européistes, se passent bien.
MEE : Si Marine Le Pen arrive au pouvoir, à quoi ressemblerait le Frexit ou la sortie de la France de l’Union européenne (UE) ?
FP : Si Marine Le Pen est élue présidente de la République, elle se rendra immédiatement à Bruxelles exposer les revendications qui seront celles du peuple français puisqu'elle aura été élue sur ce programme. Nous demanderons à récupérer nos quatre grandes souverainetés : la souveraineté territoriale, c'est-à-dire le contrôle de nos frontières ; la souveraineté monétaire, c'est-à-dire le retour à une monnaie nationale ; la souveraineté budgétaire, à savoir être maîtres de notre budget ; et enfin la souveraineté législative, c'est-à-dire que nos lois, le droit français, deviennent supérieures aux directives européennes et au droit européen.
Deux hypothèses se poseront alors : soit nous obtenons cela et nous pourrons alors rester dans ce qui sera non plus l'Union européenne mais une Union profondément réformée, transformée en une Europe des Nations. Une Europe de la coopération entre les nations libres sur le modèle gaulliste. Seconde hypothèse, l'Union européenne refuse de bouger. Marine Le Pen proposera alors, dans les six mois suivant son élection, la tenue d’un référendum sur cette appartenance à l'Union européenne. Nous demanderons aux Français de voter pour sortir de l'Union européenne. Nous retrouverons alors notre indépendance pleine et entière.
MEE : Si le non l'emporte, donc si Marine Le Pen est désavouée, en tirera-t-elle les conséquences politiques en démissionnant ?
FP : Si l'Union européenne a refusé de bouger, si nous faisons ce référendum et que les Français refusent de sortir de cette Union, alors Marine Le Pen ne restera pas au pouvoir. Elle l'a annoncé. Elle est cohérente, elle se sera fait élire sur un programme qui vise à maîtriser l'immigration, à réindustrialiser la France, à faire du patriotisme économique, à retrouver notre indépendance. Elle ne peut pas tenir ce programme si elle en est empêchée chaque jour par l'Union européenne.
« Si nous faisons ce référendum et que les Français refusent de sortir de cette Union, alors Marine Le Pen ne restera pas au pouvoir »
Mais je pense que c'est là un scénario qui a très peu de chance de se produire car le peuple français est très cohérent. S’il donne une majorité à Marine Le Pen, c'est donc qu'il le fait sur un programme très clair exposé pendant la campagne présidentielle. Il le confirmera lors de ce référendum. D'ailleurs, il est probable qu'il l’amplifiera de façon très majoritaire.
MEE : Vous êtes l’architecte de ce qui a été appelé « la stratégie de dédiabolisation » du FN. Mais celle-ci ne connaît-elle pas quelques ratés ? Des dissensions internes se font jour au sein du parti, par exemple sur les questions du « mariage pour tous » ou encore la Loi El Khomri (loi travail) ...
FP : Tout cela est l’écume médiatique créée par les médias français. Pour ce qui concerne le mariage pour tous, nous avons voté une motion au bureau politique à l'unanimité. Nous sommes pour son remplacement par un Pacs [Pacte civil de solidarité] amélioré, sans union civile. En ce qui concerne la loi travail, tous nos parlementaires ont voté contre. Ils ont aussi voté les motions de censure lorsque le gouvernement a utilisé l'article 49.3 de la Constitution [qui permet l’adoption d’une loi sans vote du parlement]. Nous avons toujours dit que cette loi était inspirée, voulue par l'Union européenne, laquelle veut tout déréguler et casser le droit du travail.
Après, on peut essayer de créer des divergences, mais les divergences, vous les trouverez chez Les Républicains (LR), vous les trouverez au Parti socialiste (PS), au gouvernement. Il y en a en pagaille, il y en a dans tous les sens, là-bas il n'y en a pas plus deux qui se supportent et pensent la même chose. Au Front national, c'est absolument l'inverse, nous avons une unité derrière notre candidate, Marine Le Pen.
MEE : Pourquoi le FN refuse-t-il d’être qualifié de parti d'extrême droite ? De plus, lors de son discours de clôture des « Estivales » du FN à Fréjus, Marine Le Pen n'a pas cité une seule fois le mot « FN », comme s'il y avait là une volonté d'effacement ?
FP : Le FN n'a jamais souhaité être qualifié de parti d’extrême-droite. Ce n'est pas une qualification politique, c'est une injure. Le FN n'a rien à voir avec cela car l'extrême-droite est le refus de la démocratie, de la République. C'est une vision racialiste qui n'est absolument pas la vision du FN, lequel ne fait aucune différence entre les Français, quelles que soient leur origine, couleur de peau, religion. Le FN est au contraire très démocrate parce qu'il veut plus de référendum, créer une votation comme en Suisse, un référendum d'initiative populaire. Parce qu'il veut aussi reprendre la souveraineté qui est désormais à Bruxelles et la remettre dans les mains du peuple français. Nous sommes simplement patriotes. Je crois que c'est ce qualificatif-là qui nous désigne au mieux.
« Le FN n'a jamais souhaité être qualifié de parti d’extrême-droite. Ce n'est pas une qualification politique, c'est une injure »
Effectivement, le FN n'a pas été cité à Fréjus et c'est normal. L’élection présidentielle n’est pas une affaire de parti dans la Ve République en France. C'est une relation directe entre un homme ou une femme candidat à l'élection présidentielle, en l'occurrence Marine Le Pen, et le peuple français. C'est un dialogue direct qui se place au-dessus des partis, au-dessus des considérations internes à ceux-ci. Cela est plus difficile à comprendre aujourd'hui parce que les primaires [comme celles organisées par Les Républicains] remettent les partis au cœur de l'élection présidentielle, malheureusement. Mais nous n’organisons pas de primaires et avons conservé l'esprit de la Ve République.
MEE : Le Front national s'est construit autour de l'idée du « contre » : contre les « élites », contre le clivage gauche/droite, contre l'immigration. Pourtant d'autres reprennent ces idées, on l’a vu avec la polémique du burkini. On le voir avec l’ancien ministre de l’Économie et probable candidat Emmanuel Macron, qui déclare n’être ni de gauche, ni de droite. N’êtes-vous pas doublé, au final, sur votre extrême-droite, par les autres partis ?
FP : Le FN est construit sur l'idée du « pour » : pour la France, pour le peuple français. C'est une dimension très positive. Que les candidats en campagne, qu’ils s'appellent Sarkozy, Macron, ou Montebourg, essaient en période électorale d'imiter le FN, de placer quelques mots qui ressemblent à ce que nous disons, ce n'est pas nouveau, cela fait quinze ans qu'ils le font. Nicolas Sarkozy parlait déjà « de passer au karcher » certains quartiers en 2005. Il avait aussi promis des choses en 2007, comme réduire l'immigration, et il a fait l'inverse. Arnaud Montebourg, quant à lui, propose le patriotisme économique, le protectionnisme. Très bien, mais il a été ministre de l'Économie et il avait alors fait l'inverse et s'était soumis, comme les autres, à l'UE.
Les Français ne sont plus dupes. Désormais cela ne fonctionne plus parce que cela paraît très insincère et très « marketing ». Quand Emmanuel Macron dit qu'il est « hors système », il n'est pas crédible une seconde. On ne peut pas faire plus système que lui. Il est un ancien de la banque d'affaires Rothschild & Co, il a été ministre de l'Économie de François Hollande pendant deux ans et demi. Il partage toute la vision du système, très européiste, ultra-libéral. Les Français vont rejeter cette façon très marketing de faire de la politique et vont se tourner vers la sincérité, vers la cohérence que nous incarnons.
MEE : Le FN hésite-t-il, dans son programme économique, entre libéralisme et une forme de protectionnisme voire de colbertisme, c’est-à-dire un interventionnisme économique de l’État ? Plus largement, pensez-vous obtenir la confiance des milieux économiques ? Ainsi, le MEDEF, qui représente le patronat français, n'a pas invité le FN à ses universités d'été.
FP : Le MEDEF est une organisation très politique, qui a des liens très étroits avec certains membres de LR et du PS. Ce ne sont pas nos amis, effectivement. Nous ne sommes pas là pour servir la soupe aux grands patrons. Ils existent, c’est très bien, mais ils ont moins besoin de nous que les petites entreprises. Parmi les patrons de PME, les artisans-commerçants, parmi les acteurs économiques, le FN a remporté aux dernières élections régionales [en décembre 2015] 40% des voix au premier tour. Le FN est le premier parti parmi les petites entreprises.
Notre programme est clair : colbertisme rénové. Ni de l’étatisme, ni du libéralisme, mais un peu des deux. Il s’agit de considérer que l’État-stratège a sa place, qu’il doit être là pour veiller à l’avenir des secteurs stratégiques, assurer une protection face à la concurrence internationale déloyale, gérer une monnaie qui doit être beaucoup plus adaptée à notre économie, faire du protectionnisme économique, c’est-à-dire privilégier le made in France dans les marchés publics. Mais en même temps, cet État-stratège doit permettre aux petites entreprises de se développer sans entrave. Il n’y a là rien de contradictoire. Mais ce programme sera possible si la France retrouve les instruments de sa souveraineté, de ses frontières économiques, de sa monnaie. Et si elle retrouve la capacité, le droit au patriotisme économique, lequel est interdit par les règles de l’UE.
MEE : Le slogan du FN est « La France apaisée ». Mais l’opinion publique semble chauffée à blanc par les questions d’identité. Comment un FN au pouvoir pourrait-il garantir la paix sociale ?
FP : Cet apaisement est un objectif très important pour nous. Nous considérons que s’il y a des tensions en France, et cela est vrai aussi dans le domaine social, c’est parce qu’il y a eu trop de laxisme, trop de communautarisme. On a trop laissé les choses dériver dans certains quartiers : les femmes reléguées, des bandes faisant leur loi, la loi islamiste supplantant la République, la délinquance augmentant. Ce sont là tous les germes de l’affrontement.
« On aura l’apaisement par l’autorité. Mais aussi par le refus du communautarisme au bénéfice de l’assimilation »
On aura l’apaisement par l’autorité. Mais aussi par le refus du communautarisme au bénéfice de l’assimilation. L’apaisement aussi par le refus de la guerre économique de tous contre tous. L’apaisement par le refus d’une politique internationale qui est déraisonnable : on est allés bombarder la Libye, on a failli bombarder la Syrie, on a fait un peu n’importe quoi. On s’est mis dans les roues de Washington. Au contraire, il nous faut une politique libre, d’indépendance, et qui soit aussi une politique d’apaisement au plan international, de discussion, de diplomatie et non de guerre. C’est cela la France apaisée.
MEE : Le slogan de la campagne présidentielle sera « Au nom du peuple ». Mais qui compose le « peuple » ?
FP : Tous les Français font partie du peuple. Il n’y a pas d’autre critère que celui de la nationalité française. Pourquoi ce slogan ? Le peuple est le seul souverain dans notre République. Or il n’est plus écouté : cela fait onze ans qu’il n’y a plus de référendum. Le dernier portait sur la Constitution européenne et avait été bafoué puisque Nicolas Sarkozy avait fait passer, sous la forme du traité de Lisbonne, cette même Constitution. Il n’y a pas assez de démocratie car il faudrait un mode de scrutin basé sur la proportionnelle intégrale [explication]. Tous les courants devraient être représentés.
« Au nom du peuple » signifie aussi être contre le fait que les commissaires de Bruxelles, sous l’influence de lobbies, ou de Washington avec l’OTAN, décident de la politique française. « Au nom du peuple » est plus qu’un slogan, c’est une profession de foi.
MEE : Comment allez-vous gérer les relations avec les musulmans français ou de France ?
FP : Déjà, je ne parle pas de musulmans de France mais de Français musulmans. Nous ne faisons pas de différence avec les Français, quelles que soient leur confession, religion ou absence de religion. Nous leur disons : « Vous êtes tous Français. Vous avez tous les mêmes droits et les mêmes devoirs. Nous vous demandons à tous de mettre la loi de la République au-dessus de la foi religieuse ». Et si certains refusent, il leur faudra pourtant le faire car la loi ne se négocie pas.
Beaucoup de nos compatriotes musulmans attendent qu’on lutte contre l’islamisme. Ils en ont besoin, comme tous les Français, pour rétablir la paix civile. Beaucoup de femmes musulmanes nous disent aussi qu’elles ne veulent pas être obligées de porter le voile. Cette liberté régresse dans certains quartiers au profit des islamistes, que je ne confonds pas avec les Français musulmans.
MEE : La préférence nationale, pivot de votre programme, ne s’oppose-t-elle pas au principe d’égalité qui est un principe constitutionnel ?
FP : Le principe d’égalité est entendu comme l’égalité entre Français. Dans la fonction publique par exemple, les emplois sont réservés aux Français. La priorité nationale que nous proposons, surtout dans l’emploi et le logement social, est fondée sur le critère de la nationalité et aucun autre critère. Pour le Français, quelles que soient ses origines. Après, ce n’est pas une exclusivité. Les Français auront prioritairement accès par exemple au logement social. Mais cela ne signifie pas que ce sera interdit aux étrangers. Pour l’emploi, à compétence égale, je le précise bien, on préférera engager un Français plutôt qu’un étranger. La Constitution raisonne dans le cadre du peuple français.
MEE : Cet été, vous avez rendu hommage au Front populaire. Vous vous réclamez aussi de De Gaulle. Vos références idéologiques vont au-delà de celles habituelles du FN. N’y-a-t-il pas là un risque de dilution et de confusion du message du FN ?
FP : Je ne crois pas du tout. Nous ne cessons de progresser dans les enquêtes d’opinion et lors des élections parce que nous portons un message qui est de mieux en mieux compris. Par exemple, quand j’ai parlé du Front populaire, ce n’était pas pour m’en faire l’héritier. La gauche ne l’est pas non plus car elle a détruit tout ce qu’a fait le Front populaire, notamment l’idée de progrès social, au nom notamment de l’UE. Nous défendons une vision beaucoup plus sociale. Nous estimons qu’il ne faut pas passer par pertes et profits tous les acquis sociaux des travailleurs français. Voilà pourquoi il me semble que l’idéal du Front populaire est beaucoup plus au FN qu’au PS.
De la même manière, le général De Gaulle représente l’indépendance nationale. Aurait-il accepté que la France ne maîtrise plus rien ? Ni ses frontières, ni sa monnaie, ni son budget ? L’homme de la France libre n’aurait pas accepté qu’on brade la souveraineté nationale. Les principes qu’il a portés sont ceux que nous défendons aujourd’hui.
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