L’administration Trump pourrait extrader Gülen ou l’écrouer, annonce le Vice-Premier ministre turc
La Turquie est « très optimiste » : la prochaine administration américaine mettra en détention ou extradera Fetullah Gülen, le religieux solitaire d’Ankara, accusé d’avoir échafaudé la tentative de coup d’état en juillet, a déclaré à Middle East Eye l’une des autorités les plus haut-placées du gouvernement turc.
Numan Kurtulmuş, universitaire et Vice-Premier ministre, a annoncé qu’il s’attend « à des initiatives positives » de la part de la nouvelle administration du président élu américain Donald Trump, et particulièrement du nouveau conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn – qui a déjà pris parti en faveur de la position turque. On s’attend donc à l’extradition du religieux et à l’abandon par les États-Unis du soutien aux combattants kurdes du PYD en Syrie du Nord.
« Je suis très optimiste, personnellement ; ils choisiront d’améliorer les relations avec la Turquie. Nous attendons des initiatives positives de la part de la nouvelle administration », a confié Kurtulmuş lors d’un entretien accordé à Middle-East Eye pendant une visite à Londres.
« Nous nous attendons à ce que la nouvelle administration américaine le mette en détention ou l’extrade vers la Turquie. Nous leur avons fourni toutes les preuves juridiques nécessaires. Nous sommes optimistes, parce qu’ils sont en face d’un choix. Soit ils décident de laisser Gülen en Pennsylvanie comme chef d’une tentative de coup d’État terroriste, soit ils consolident leurs relations avec le peuple turc, soit 80 millions d’habitants. La balle est donc dans le camp des décideurs politiques américains. Nous sommes confiants que la nouvelle administration choisira de soutenir la nation turque plutôt que Fetullah Gülen », se rassure le Vice-Premier ministre.
D’après lui, il est incontestable que les décideurs politiques américains ont instrumentalisé le PYD kurde pour mener dans la région leur guerre par procuration.
« Il ne s’agit en fait que d’un petit groupe de combattants, disons entre 5 000 et 10 000. En face, ils ont à faire avec une nation turque de 80 millions d’habitants. De plus, la Turquie est le seul pays islamique démocratique, avec une situation économique et politique stable et des relations historiques avec le continent européen. Je suis très confiant personnellement qu’ils préfèreront améliorer les relations avec la Turquie. Nous attendons donc de la nouvelle administration des mesures allant dans notre sens ».
Kurtulmuş – issu de l’aile pro-islamiste du Parti Justice et Développement (AKP) et ancien chef du HAS, parti islamiste de centre droit – n’a pas essayé de défendre les vues exprimées par Trump sur les musulmans.
Il a déclaré, cependant, qu’il ne croyait pas que Trump s’opposerait à la diversité multiethnique et multi-religieuse des États-Unis : « S’ils prennent, à usage politique interne, des mesures anti-islamistes, la stabilité de la société américaine en pâtira. Ces déclarations ne sont donc pour moi qu’une tentative de rassembler les forces nationalistes à l’intérieur des États-Unis ».
Les forces turques, dans un contexte de grande tension, se trouvent dans une impasse face aux forces du PYD kurde (Parti de l’union démocratique) soutenues par les Américains au moment où elles progressent au sud de la frontière turque pour sanctuariser une région d’environ 5 000 kilomètres carrés. Malgré une réunion de cinq heures avec le général Joe Dunford, chef d'État-Major des armées des États-Unis, à Ankara au début du mois, il n’a pas été possible d’obtenir le retrait promis des forces du PYD de la ville syrienne de Manbij, à l’est du Fleuve Euphrate.
Traduction : « Le FETÖ n’est en rien affaire de pardon mais la dangereuse organisation criminelle d’un réseau clandestin ».
Kurtulmuş a nié que la Turquie ait signé avec la Russie un accord l’autorisant à poursuivre les frappes aériennes sur Alep Est, où des centaines de civils ont trouvé la mort. Le Vice- Premier ministre a garanti que les pourparlers en cours entre la Turquie et la Russie portaient sur l’éventualité de fournir un secours humanitaire aux civils piégés dans cette ville déchirée par la guerre.
Il a affirmé que la Turquie n’avait aucune intention d’intervenir à Mossoul en Irak. Néanmoins, il a clairement mis en garde qu’Ankara n’accepterait pas de voir le groupe État islamique (EI) remplacé par ce qu’il a appelé « d’autres forces terroristes », qu’il a d’ailleurs nommément dénoncées : al-Hashd al-Shaabi, les Unités de mobilisation populaire, à majorité chiites, et le PYD kurde.
« Il est important que Mossoul maintienne son statut de ville multiethnique, multi-religieuse et multidénominationnelle, et que la communauté internationale respecte les droits de tous les groupes sociaux de Mossoul, dans leur diversité, sans quoi cela ne fera qu’alimenter un foyer de discorde, nuisible à l’équilibre et à la stabilité de l’Irak », a souligné Kurtulmuş.
Le Vice-Premier ministre, responsable des médias, a nié les allégations de sévère répression de la presse libre par Ankara, et a mis en avant que plus de la moitié des médias turcs actuels participaient à l’opposition au gouvernement. Quand MEE lui a posé des questions pressantes au sujet du procès intenté à Cumhurryiet (journal kémaliste de centre gauche), il a répondu qu’il s’agissait d’un problème annexe déclenché par des poursuites judiciaires lancées au sein de ce groupe médiatique.
Les dernières statistiques gouvernementales font état de 39 274 personnes arrêtées depuis le coup d’état avorté, et de 95 950 suspendues de leurs fonctions professionnelles. Parmi les personnes arrêtées, 7 000 environ ont été libérées et 16 000 ont retrouvé leur place. Parmi les détenus, 2 263 font partie du personnel judiciaire turc, dont 102 juges des plus hautes cours civiles, 42 juges des tribunaux correctionnels, 2 juges de la Cour suprême et 3 de la Haute Commission du système judiciaire.
Le Vice-Premier ministre a déclaré que le pouvoir judiciaire et la fonction publique avaient été si profondément infiltrés par les gülenistes qu’il faudrait, pour les éradiquer, instaurer plusieurs fois encore les trois mois actuels d’état d’urgence. Il estime que la situation d’urgence prendra fin d’ici le 20 janvier.
La répression intérieure en Turquie a suscité un désaccord profond avec les États membres de l’Union européenne, dont le parlement a récemment pris une décision non contraignante appelant à mettre un terme aux négociations sur l’adhésion d’Ankara à l’UE.
La Turquie a menacé de dénoncer l’accord avec l’UE qui permet d’endiguer le flot de réfugiés syriens vers l’Europe.
Le Vice-Premier ministre a accusé les responsables européens d’adopter une politique du deux poids deux mesures alors que la Turquie a « failli sombrer dans l’abîme » pendant la tentative de coup d’État.
« Après la tentative de coup d’État du 15 juillet, nous espérions que nos alliés européens, avec lesquels nous entretenons d’étroites relations, fassent preuve de solidarité pour défendre la démocratie turque, vu que la Turquie est le seul pays démocratique dans un contexte islamique. Nous avons réussi à maintenir la stabilité économique et politique pendant les quinze dernières années. La Turquie peut se vanter d’avoir une démocratie naturelle et décente, même si des progrès supplémentaires restent à faire si nous voulons instaurer en Turquie un contexte plus démocratique.
« Malheureusement, très peu de membres de l’Union européenne ont démontré leur solidarité avec le peuple turc et avec la démocratie turque. Fait exceptionnel, le gouvernement britannique a pris la défense de la démocratie turque, mais il a été le seul. Cet épisode a été vécu comme un cauchemar par le peuple turc. Nous avons bien failli sombrer dans l’abîme. Nous attendions un réel soutien de la part de l’Europe – en vain, malheureusement ».
Il a aussi accusé l’UE de ne pas remplir sa part du contrat : alors que la Turquie a accepté d’empêcher les réfugiés syriens d’aborder les îles grecques, l’UE a refusé d’accorder des visas aux citoyens turcs. Le Vice-Premier ministre a par conséquent averti qu’il incombait désormais à l’UE de rétablir les relations satisfaisantes qu’elle entretenait avec Ankara.
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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