Élections en Turquie : cinq défis urgents qu’Erdoğan va devoir relever pendant son troisième mandat
Recep Tayyip Erdoğan a été réélu pour un troisième mandat présidentiel dimanche, une victoire célébrée par ses partisans dans les rues.
Une fois la victoire assurée, Erdoğan a évoqué certains de ses projets pour l’avenir proche. Malgré les réjouissances, il reste un certain nombre de défis importants, parmi lesquels résoudre la crise économique, trouver des solutions à la crise des réfugiés et s’assurer la victoire aux prochaines élections municipales dans dix mois.
Et ce ne sont là que les problèmes nationaux. En ce qui concerne la politique étrangère, les alliés occidentaux de la Turquie exhortent Erdoğan à ratifier l’adhésion de la Suède à l’OTAN avant le sommet du 11 juillet à Vilnius, un sujet lié aux besoins turcs en chasseurs F-16.
Middle East Eye se penche sur cinq défis parmi les plus pressants qui attendent Erdoğan.
Des choix économiques difficiles
La semaine dernière, la Banque centrale turque a signalé des réserves de devises étrangères nettes négatives pour la première fois depuis 2022, avec un solde dans le rouge à 151,3 millions de dollars au 19 mai. Erdoğan est parvenu à financer sa politique monétaire non orthodoxe consistant à maintenir des taux d’intérêt faibles en obtenant des swaps de devises et l’injection de milliards de dollars d’alliés du Golfe et de la Russie. Cependant, ces ressources sont désormais épuisées.
Les économistes d’Erdoğan utilisent des méthodes détournées, principalement via les banques publiques, pour stabiliser la livre turque face au dollar américain. Malgré une inflation galopante, la livre conserve un taux de change stable face au dollar ; il est donc de plus en plus difficile pour les exportateurs turcs de rivaliser avec la concurrence internationale.
Certains exportateurs réclament une chute de 25 % de la valeur de la livre face au dollar pour améliorer leur compétitivité, parce que les produits turcs sont désormais surévalués et comparativement plus chers qu’ailleurs. Résultat de cette dynamique, le déficit commercial de la Turquie s’est creusé de 44 % en avril, atteignant 8,85 milliards de dollars contre 6,15 milliards de dollars l’année précédente.
En dépit des espoirs d’Erdoğan, les exportations ont chuté de 17 % pour atteindre 19,3 milliards de dollars en avril.
Il y a un sentiment de panique dans le pays, alors que de nombreux habitants des villes retirent leurs devises étrangères des banques et les abritent dans des coffres. Les banques quant à elles ont du mal à satisfaire la demande.
Morgan Stanley prévoit une chute de 29 % de la livre dans les mois à venir si le président n’infléchit pas sa trajectoire. On ne sait pas quelle voie Erdoğan va choisir de suivre. Dans un récent communiqué, il fait part de son intention de gérer solidement l’économie en se fondant sur la confiance et la stabilité. Erdoğan dit vouloir concevoir une économie industrielle orientée sur l’emploi et les investissements avec une gestion financière réputée à l’international.
Élections municipales
Les élections municipales prévues en mars 2024 constitueront un autre test électoral significatif pour Erdoğan. Il juge ces élections essentielles et les voit comme un vote de confiance. Le président a appelé ses partisans à s’efforcer de reprendre les villes majeures comme Istanbul, Ankara et Antalya, perdues au profit de l’opposition lors des élections municipales de 2019.
Il s’agira certes d’une bataille difficile, mais Erdoğan pourrait bénéficier de certains avantages si l’opposition n’arrive pas à maintenir son unité ni à conserver le soutien des électeurs kurdes dans les centres urbains.
En outre, un jugement plane au-dessus du maire d’Istanbul Ekrem İmamoğlu, figure majeure du CHP (parti d’opposition), et pourrait entraîner son bannissement de la politique pendant quelques années, une décision que pourrait soutenir Erdoğan.
Erdoğan a remporté les élections présidentielles de 2018 avec 52 % des suffrages, mais a perdu le contrôle des villes majeures au profit de l’opposition dix mois plus tard. Tout est possible en politique turque.
Crise des réfugiés
La présence des 3,7 millions de réfugiés syriens en Turquie est devenu un sujet majeur, particulièrement mis en exergue par l’opposition. L’hostilité à l’égard des Syriens s’accroît depuis 2020, lorsque la population a commencé à ressentir les premiers effets des difficultés économiques de la Turquie et s’est retournée contre les réfugiés qui se sont abrités dans le pays au cours des dix dernières années.
Erdoğan a dit et répété ces deux dernières semaines qu’il ne prévoyait pas d’expulser en masse les Syriens vers la Syrie, affirmant que c’était « inhumain » et « non conforme aux valeurs de l’islam ». Néanmoins, les politiques anti-réfugiés ont obtenu un soutien considérable, forçant Erdoğan à s’allier avec l’ultranationaliste Sinan Oğan, lequel a plaidé pour l’expulsion des Syriens lors des élections.
Dans son discours dimanche soir, Erdoğan a réitéré son engagement envers une politique basée sur le retour librement consenti. Il a également mentionné que 600 000 Syriens étaient déjà rentrés dans les zones du nord de la Syrie sous le contrôle de l’opposition. Le président a ajouté que, via une coopération avec le Qatar et un nouveau projet de réinstallation, la Turquie souhaitait faciliter le retour de plus d’un million de Syriens supplémentaires dans les années à venir.
Cependant, si la situation économique continue de se détériorer, les tensions pourraient s’accroître davantage, certaines franges de la société turque seraient alors persuadées que les Syriens volent leur travail et cela pourrait contribuer à des problèmes culturels, nourrissant le racisme et la xénophobie.
Adhésion de la Suède à l’OTAN
Lors d’une interview ce mois-ci, Erdoğan a exprimé sa réticence à ratifier l’adhésion de la Suède à l’OTAN, se plaignant que le pays scandinave n’en faisait pas assez pour lutter contre le terrorisme, expression par laquelle il entend que ce dernier abrite des personnalités kurdes recherchées.
Erdoğan adopte souvent une position dure lorsqu’il a l’occasion de parvenir à un accord.
Désirant que la Suède rejoigne l’alliance, le Congrès américain a proposé que l’adhésion du pays scandinave soit une condition à la vente de F-16 à la Turquie.
L’administration Erdoğan n’était pas ravie de cette proposition, n’étant pas sûre que des sénateurs tels que le démocrate Bob Menendez tiennent parole ou que d’autres membres du congrès soutiennent cette condition.
On est ici sur une pente glissante car le Congrès ne va pas nécessairement voter en faveur d’une promesse faite à Erdoğan.
Toutefois, des responsables turcs ont déclaré qu’ils soutenaient l’adhésion de la Suède mais aimeraient voir Stockholm adopter des mesures contre la présence de membres présumés du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), organisation politique kurde armée, sur le sol suédois.
Réconciliation syrienne
Erdoğan a déployé des efforts pour amender ses relations avec le président syrien Bachar al-Assad, avec l’aide de la Russie. Ankara estime qu’établir des relations avec Damas est crucial, étant donné la présence militaire turque dans le nord de la Syrie et le besoin de reconnaissance internationale et de routes commerciales d’Assad.
Erdoğan cherche à persuader Assad d’agir contre les organisations armées kurdes syriennes qu’Ankara considère comme des groupes terroristes. Il veut parvenir à un accord avec Assad qui faciliterait le retour des réfugiés et mènerait à un changement constitutionnel, permettant l’intégration de l’opposition syrienne au sein de l’État.
Une réconciliation est jugée cruciale pour la politique intérieure turque car cela aiderait à alléger l’hostilité à l’égard des Syriens dans la société et créerait des circonstances propices à une meilleure cohabitation.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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