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Sinan Oğan : l’ultranationaliste hostile aux réfugiés qui secoue la présidentielle turque

En obtenant 5,2 % des suffrages, le candidat de l’Alliance ancestrale a rendu un second tour nécessaire. Mais à qui iront ses voix ?
Sinan Oğan, candidat à la présidentielle de l’Alliance ancestrale, coalition nationaliste de droite, à Ankara, le 15 mai 2023 (Reuters)
Par Yusuf Selman Inanc à ISTANBUL, Turquie

On peut dire sans trop s’avancer qu’un candidat a véritablement dépassé toutes les attentes lors de l’élection présidentielle turque de dimanche : Sinan Oğan.

Candidat ultranationaliste de l’Alliance ancestrale, qui rassemble le Parti de la victoire et le Parti de la justice, Oğan a recueilli 5,2 % des voix. Privés d’une majorité absolue, un second tour départagera le président Recep Tayyip Erdoğan et Kemal Kılıçdaroğlu le 28 mai.

La plupart des sondages avant ce premier tour suggéraient qu’il atteindrait péniblement les 3 %.

Après le scrutin, les résultats ont clairement montré qu’aucun vainqueur ne se dégageait du premier tour, et Sinan Oğan a assuré sans détour que la coalition d’opposition, l’Alliance de la nation, « ne connai[ssait] pas la politique de droite. C’est pourquoi ils ont perdu tant d’élections ».

Il est probable qu’Oğan ait bénéficié du retrait de Muharrem İnce, le candidat du Parti de la nation qui a jeté l’éponge en raison d’une campagne de diffamation en ligne. Il semble en outre avoir attiré l’électorat conservateur et nationaliste déçu par les principaux candidats.

L’analyse des résultats préliminaires par Middle East Eye suggère qu’Oğan a pris des voix à Erdoğan et Kılıçdaroğlu dans leurs bastions respectifs.

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Certains le qualifient de faiseur de rois. Cela n’est peut-être pas tout à fait vrai. On ne sait pas si ses électeurs pencheront d’un côté ou de l’autre selon ses souhaits, mais ces 5,2 % feront la différence quoi qu’il en soit.

Ancien membre du Parti d’action nationaliste (MHP) allié à Erdoğan, Oğan est né à Iğdır dans une famille azérie en 1967.

Il a décroché un doctorat à l’université d’État de Moscou, parle couramment russe et anglais et a travaillé dans plusieurs universités en Turquie et en Azerbaïdjan.

Par ailleurs, il a été le représentant de l’Agence turque de coopération et de développement (TIKA) à Bakou, où il a été distingué et décoré par le président Ilham Aliyev. Dans son travail académique, Oğan a couvert les relations de la Turquie avec la Russie et les anciens pays de l’Union soviétique.

Une troisième voie

La carrière politique d’Oğan au sein du MHP a pris fin en 2017 après son refus de soutenir un référendum qui allait l’année suivante transformer le régime parlementaire turc en régime présidentiel tel qu’il est à l’heure actuelle.

Il a pu se présenter à la présidentielle en réussissant à réunir les 100 000 signatures requises pour être candidat et a été soutenu par le dirigeant d’extrême droite Ümit Özdağ, personnalité connue pour ses commentaires hostiles aux réfugiés.

Sinan Oğan a largement bâti sa campagne présidentielle sur la promesse de renvoyer les réfugiés dans leurs pays et de poursuivre sans relâche les « terroristes ». Se dépeignant lui-même comme une troisième voie pour les nationalistes turcs, la sécurité a été l’élément central de sa campagne.

Par exemple, il a affirmé que les Syriens constituaient une menace pour la sécurité nationale dans les villes le long de la frontière turque avec la Syrie, se plaignant que, par endroits, ils étaient plus nombreux que les Turcs. Il y a environ 3,7 millions de réfugiés syriens en Turquie, un sujet de plus en plus controversé sur le plan national.

« L’alliance tacite entre le CHP et l’YSP a irrité certains électeurs. En outre, l’hostilité envers les réfugiés est un programme en soi désormais »

- Yunus Kaya, université d’Istanbul

Il a également lourdement critiqué l’opposition comme le gouvernement pour leurs alliances avec des partis pro-kurdes, alléguant qu’ils constituent une menace pour la structure unitaire de la Turquie, qui encourage la centralisation ethnique et politique.

Les résultats de l’élection indiquent que l’hostilité envers les réfugiés et l’accent sur la structure unitaire de la Turquie ont fait écho auprès de l’électorat.

« Oğan a recueilli le vote protestataire de diverses franges de la société », explique à Middle East Eye Yunus Kaya, professeur à l’université d’Istanbul. Cela comprend, poursuit-il, les nationalistes et les laïcs déçus par l’alliance tacite entre le Parti républicain du peuple (CHP) de Kılıçdaroğlu et le parti YSP pro-kurde.

Les discours hostiles aux réfugiés et au PKK, organisation kurde armée associée par certains à l’YSP et à son prédécesseur le HDP, ont joué un rôle significatif pour attirer l’attention des électeurs, selon Kaya.

« L’alliance tacite entre le CHP et l’YSP a irrité certains électeurs. En outre, l’hostilité envers les réfugiés est un programme en soi désormais », ajoute-t-il.

« Pourtant, il est trop tôt pour conclure qu’Oğan et ses soutiens politiques présagent de la montée d’une extrême droite politique à l’européenne. » 

Oğan, un candidat courtisé

Le second tour de l’élection présidentielle devrait être tout aussi serré. Les yeux sont désormais tournés vers les voix d’Oğan et celui qu’il pourrait soutenir.

Oğan a expliqué que son soutien s’accompagnait de quatre prérequis.

Tout d’abord, les quatre premiers articles de la Constitution doivent demeurer inchangés. Ces articles sont considérés comme fondateurs, ils affirment que la Turquie est un État nation unitaire, démocratique et laïc avec une langue officielle : le turc.  

Deuxièmement, les réfugiés seront renvoyés dans leurs pays. Troisièmement, les politiques économiques doivent changer. Quatrièmement, la lutte contre les groupes terroristes doit se poursuivre.

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À priori, ce sont là des demandes que peuvent satisfaire tant Erdoğan que Kılıçdaroğlu.

Cependant, « il ne peut pas reporter ces 5 % de voix d’un seul tenant vers l’un des deux candidats », nuance Kaya.

« Les partis politiques qui le soutiennent ont obtenu moins de 2,5 %. Cela signifie qu’Oğan a récolté les votes de protestation d’électeurs indépendants. »

« De fait, ses voix dans les villes dominées par Erdoğan iront à Erdoğan et à Kılıçdaroğlu dans les villes dominées par Kılıçdaroğlu », ajoute Kaya.

Sinan Oğan a expliqué à Reuters qu’il soutiendrait Kılıçdaroğlu « au second tour s’il accept[ait] de n’offrir aucune concession à un parti pro-kurde ».

Toutefois, se distancer du vote kurde serait désastreux pour Kılıçdaroğlu, qui l’a remporté largement dans les villes à majorité kurde. 

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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