Des « calligraffitis » transforment les rues et les ruelles de Gaza
GAZA – Sous le soleil brûlant, l’artiste « calligraffeur » Yazeed al-Talaa prend un pinceau de la main droite et commence à peindre. En effectuant vigoureusement un arc d’un côté à l’autre, son pinceau se déplace sur la surface rugueuse d’un mur. Les passants le regardent s’interrogeant sur ce qu’il fait à ce mur au milieu de la ville de Gaza, mais Talaa sait exactement ce qu’il fait. Trois heures plus tard, le travail est terminé.
En intégrant la beauté des lettres arabes à l’art moderne du graffiti, Talaa a su transformer un mur très ancien en œuvre d’art étonnante.
« Le calligraffiti est la fusion de la calligraphie et des graffitis, un art de plus en plus global », explique-t-il à Middle East Eye, en prenant une pause et s’éloignant de sa dernière création.
Embrasser les racines arabes
L’artiste palestinien (24 ans) du camp de réfugiés d’al-Maghazi a étudié le design d’intérieur à l’Université al-Aqsa à Gaza.
Il a entrepris son voyage artistique il y a trois ans en utilisant l’alphabet latin, mais a ensuite décidé d’embrasser l’utilisation de sa langue maternelle, l’arabe.
« Au début, c’était vraiment difficile puisque la langue arabe est la plus dure à utiliser dans cette forme d’art. Cependant, j’ai l’impression qu’en pratiquant régulièrement, je commence à maîtriser le style calligraffiti », estime-t-il.
« Finalement, j’ai commencé à compter totalement sur les lettres, les mots et les phrases en arabe, en essayant souvent de transmettre un message que j’estime qu’il est nécessaire de faire passer par l’art. »
La peinture Smiling Palestinian Child (« Enfant palestinien qui sourit ») dans la rue de Gaza a une signification particulière pour Talaa, car il a consacré beaucoup de temps à sa création et considère que le sourire de l’enfant est plus percutant que n’importe quel mot. Il explique que le portrait incarne la faculté innée des enfants palestiniens qui sourient malgré leur douleur.
Vagues portraits
Sur le mur d’un autre bâtiment à Gaza, il a peint l’image d’une jeune fille tenant un appareil photo entourée de cercles concentriques composés de lettres arabes. « Soyez vous-même et votre beauté s’accroîtra », indiquent ces mots.
« Quelques personnes peuvent déchiffrer les messages de mes tableaux par elles-mêmes, mais d’autres me demandent curieusement d’expliquer exactement ce que je veux dire avec chacun », indique-t-il.
L’innovation de Talaa ne se limite pas à la peinture dans les rues et sur les murs de Gaza, mais elle s’est également étendue aux maisons. Plusieurs Gazaouis l’ont approché, lui demandant de créer une œuvre d’art dans leur propre maison après être devenus des fans de son travail en le voyant dans la rue.
Le plus souvent, il est heureux de faire plaisir. « J’essaie de dessiner des calligrafittis pour que les gens puissent voir les dessins et sourire malgré la souffrance que nous éprouvons. » Il tient à montrer le bon côté de la vie contemporaine à Gaza, d’après lui.
Messages et ambitions
L’artiste dit vouloir familiariser les gens avec l’esthétique de la langue arabe à une période où l’art de la calligraphie se perd.
Le véritable défi auquel Talaa fait face est le manque de ressources et le manque d’attention accordée aux arts contemporains à Gaza. En raison de l’actuel blocus, de nombreux artistes n’ont eu d’autre alternative que de se montrer ingénieux avec l’équipement auquel ils peuvent avoir facilement accès et d’utiliser des ressources naturelles telles que des plumes et des brindilles pour créer leurs chefs-d’œuvre.
Talaa a la chance d’avoir quelques outils de base, mais ils sont d’une qualité bien inférieure à ce qu’il voudrait et il doit souvent improviser.
Talaa espère un jour avoir une exposition permanente pour présenter son art, afin qu’il puisse en apprendre plus aux gens sur le calligrafitti.
Les Gazaouis, malgré des conditions de vie difficiles et le manque d’emploi, essaient encore de montrer leurs talents au monde de différentes façons.
L’Institut Tamer pour l’éducation communautaire est une organisation à but non lucratif travaillant principalement à Ramallah et à Gaza, qui vise à offrir aux enfants et aux jeunes un environnement d’innovation et d’apprentissage par le biais de diverses initiatives communautaires.
Sobhi Qouta, un Gazaoui de 25 ans qui a participé à des activités organisées par l’Institut Tamer, affirme : « L’évolution de l’art au niveau communautaire dépend d’une part du côté esthétique, et d’autre part peut transmettre des messages d’amour, de vie et de paix au monde, montrant que Gaza est source de beauté et d’artistes. »
Selon lui, il n’est pas exagéré de croire que Gaza deviendra un jour un carrefour pour mettre en valeur les talents artistiques et afficher les beaux tableaux qui reflètent la vie et la paix, créés grâce à des efforts individuels et à travers des initiatives communautaires entreprises par l’Institut Tamer et d’autres.
Le siège israélien sur la bande de Gaza en place depuis dix ans est un obstacle majeur pour Talaa – et d’autres artistes – car il les empêche de voyager à l’étranger et de participer à des expositions internationales pour présenter la spécificité du calligrafitti palestinien.
Talaa espère pouvoir un jour participer à des forums et à des expositions internationales non seulement pour montrer la souffrance des deux millions de Gazaouis sous le siège israélien, mais aussi pour présenter la belle ville de Gaza.
Art communautaire
Une autre jeune artiste, Tahreer Barakat, aime aussi dessiner sur les murs de la ville. Elle a récemment participé à une initiative communautaire visant à dessiner une fresque murale de 120 mètres à l’intérieur du port de Gaza, destinée à transmettre des messages d’amour et de paix au monde et de montrer que les gens de la bande de Gaza recherchent la sécurité au vu du blocus israélien.
« Malgré le blocus et la dévastation des trois dernières guerres sur Gaza, les Palestiniens sont toujours à la recherche de la paix et de la vie comme le reste du monde », affirme Barakat, ajoutant qu’elle espère envoyer des messages de paix des artistes de Gaza à la communauté internationale.
Selon les statistiques fournies par le porte-parole de la Campagne européenne pour mettre fin au siège sur Gaza, il y a environ 18 000 jeunes qui ont terminé leurs études secondaires qui se sont retrouvés au chômage.
Face à ce triste chiffre, Talaa conserve un message positif : « Nous voulons toujours montrer au monde que Gaza possède un art magnifique comme le reste du monde et, malgré toute la douleur et la souffrance, le peuple de Gaza est encore résistant et plein de vie. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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