Coupures d’électricité et manifestations : pour les Gazaouis, rien n’est plus obscur que l’avenir
GAZA – À l'âge tendre de 10 ans, Mohammed Yasin n’a connu que la vie sous siège et les coupures d’électricité. Né à Gaza en 2006, quand le Hamas a remporté les élections législatives palestiniennes, déclenchant les sanctions imposées par Israël en 2006 contre l'Autorité nationale palestinienne (AP), le jeune garçon s’est habitué aux difficultés économiques et à l'obscurité.
« Je ne me souviens pas d'un seul jour sans coupures de courant », raconte-t-il à Middle East Eye pendant que sa mère allume une bougie pour lui et sa sœur.
Mohammed est né après le début de la crise de l'électricité en 2006, lorsqu’un avion de chasse F16 israélien a frappé la seule centrale électrique opérant dans la bande de Gaza. Depuis, l'usine travaille au minimum de sa capacité et seulement lorsque la bande côtière est en mesure d’acheter de l'électricité en provenance d'Égypte et d'Israël.
« J’arrive de mieux en mieux à allumer les bougies et à les coller sur des assiettes avec l'aide de ma mère », raconte Mohammed, ajoutant qu'il s’en sort très bien à l'école, malgré les coupures de courant.
Mohammed et Noor Yasin apprennent leurs leçons à la lumière des bougies, à Gaza, le 17 janvier 2017 (MEE/Mohammed Asad)
Sa sœur Noor, âgée de 6 ans, l'interrompt pour raconter une blague.
« Deux extraterrestres sont tout étonnés en regardant la terre. Vous savez pourquoi ? Parce qu'ils voient les lumières de Gaza s'allumer et s'éteindre plein de fois », lance-t-elle en riant avec son frère.
Les pannes d'électricité à Gaza ont atteint leur paroxysme le mois dernier, lorsque l'approvisionnement habituel en électricité a chuté de huit heures par jour à environ trois ou quatre heures.
« Notre vie est en attente »
Les coupures de courant ont des conséquences drastiques pour les habitants de Gaza. Ahmed Abu Salama a perdu la liberté de se déplacer dans sa propre maison, ne pouvant plus recharger son fauteuil roulant électrique.
« Quand ma femme n'est pas à la maison et que l'électricité est coupée, je reste au lit pendant des heures parce que je ne peux pas atteindre la lumière et que, quand j'essaie, je tombe par terre », confie-t-il.
Abu Salama et ses amis ont été touchés par une frappe aérienne israélienne alors qu'ils rentraient chez eux après l'école dans le camp de réfugiés de Jabalia en février 2008. Abu Salama, qui avait 16 ans à l'époque, fut le seul survivant, mais il a souffert de graves fractures du crâne et se retrouva partiellement paralysé à sa main et à sa jambe droites.
Ne pouvant obtenir le traitement dont il avait besoin dans la bande de Gaza appauvrie, sa santé se détériora et, à présent, il ne peut pas marcher du tout.
Le mois dernier, un organisme local de bienfaisance a donné à Abu Salama un fauteuil roulant électrique, ce qui fut pour lui un grand bonheur.
« Quand j'ai utilisé mon nouveau fauteuil roulant pour la première fois, je me suis senti en vie », raconte-t-il dans un sourire. « Je peux aller partout où je veux à n'importe quel moment. Je suis libre à nouveau. »
Cependant, à cause des coupures d'électricité constantes, Abu Salama dit avoir l'impression qu’on le prive de sa liberté tout juste retrouvée. Pour fonctionner deux heures, le fauteuil doit être rechargé pendant six heures.
« Je préfère rester à la maison plutôt que de prendre le risque de manquer de batterie dans la rue. Ça m’est arrivé une fois et j’étais très embarrassé d'avoir à demander de l'aide aux passants. En plus, cela coûterait plus de 200 dollars (186 euros) pour acheter des piles supplémentaires. Et je ne peux pas me le permettre. »
Les petites entreprises de Gaza, déjà en difficulté à cause du siège, ont elles aussi été durement touchées par les coupures d'électricité.
Yousef al-Jaro, un charpentier de 52 ans dans le quartier d'al-Daraj, à l'est de la ville de Gaza, a déclaré qu'il devait maintenant fermer son magasin la plupart du temps en journée car tout son travail se fait sur des machines électriques.
Le charpentier qui travaille dur a fièrement précisé qu'il avait l'habitude d'ouvrir son échoppe à 7 h 30 et de ne jamais fermer avant 19 h 30. Mais maintenant, avec les coupures de courant, il peut à peine travailler.
Le fils de Yousef, Mohammed al-Jaro, âgé de 24 ans, travaille avec son père depuis sept ans et ne l’a jamais vu aussi déprimé et frustré.
« J'ai sept sœurs et un frère. Les responsabilités de mon père sont de plus en plus importantes et nous faisons de notre mieux pour l'aider à surmonter la situation », confie-t-il.
Après le coucher du soleil, un manteau d’obscurité recouvre la ville de Gaza, aucune lumière n’éclaire les rues. Cherchant désespérément à se maintenir au chaud, les résidents peuvent être vus rassemblés autour de petits feux de camp improvisés.
Une solution temporaire
Plus tôt cette semaine, le Qatar a fait un don de 12 millions de dollars (11 millions d’euros) pour que la centrale électrique de Gaza puisse acheter du carburant, atténuant la crise en fournissant de l'électricité pendant environ six heures par jour. Bien qu’un répit à la crise soit le bienvenu, ce don ne devrait fournir de l'électricité à l'enclave que pendant trois mois.
L'autorité de l’Énergie de Gaza a déclaré que le combustible financé par le Qatar alimenterait un troisième générateur de la centrale et aiderait à fournir de l'électricité pendant des cycles de huit heures trois mois durant.
Les habitants de Gaza s'attendent à ce que les coupures de courant augmentent à nouveau quand le fuel sera épuisé, et beaucoup affirment qu’il ne s’agit là que d’une solution temporaire visant à apaiser la colère des deux millions de Gazaouis qui souffrent des pannes d'électricité.
La semaine dernière, des manifestations contre les coupures de courant sont devenues violentes lorsque les forces de sécurité ont tiré des coups de feu en l'air et ont, selon des témoignages, attaqué des journalistes. Des milliers de personnes avaient manifesté jusqu’au siège d'une compagnie d'électricité locale dirigée par le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza depuis 2007.
Gaza a besoin de 450-500 mégawatts (MW) d’électricité par jour, mais n’en reçoit à peine qu’un tiers. Environ 30 MW sont produits par son unique centrale vieillissante, tandis que 30 MW sont importés d'Égypte et 120 MW d’Israël.
L'Autorité palestinienne, qui paie l’électricité fournie par Israël et l'Égypte, transfère habituellement du combustible à Gaza et l'exempte de la plupart des impôts. Mais en raison de ses propres contraintes financières, elle ne déduit plus tous les impôts, ce qui provoque la colère du Hamas.
La forte demande en électricité en hiver, où les températures peuvent chuter de quatre degrés, a poussé de plus en plus de foyers à utiliser des chauffages et des radiateurs électriques pour essayer de rester au chaud. Cela a également joué un rôle dans la pénurie d'électricité.
Le porte-parole du Hamas, Fawzi Barhoum, a déclaré que le Hamas était ouvert à toutes les solutions et a accusé l'Autorité palestinienne d'utiliser la crise afin de « nuire à l'image du Hamas et punir la population de Gaza ».
Des alternatives coûteuses
Pendant des années, les Gazaouis ont essayé de trouver des moyens de faire face aux coupures d'électricité continues, utilisant par exemple de petits générateurs, mais la plupart des gens ne peuvent pas se permettre de faire fonctionner des générateurs au diesel pendant vingt heures par jour.
Sufian Ahmed possède un grand générateur à l'ouest de la ville de Gaza et il le connecte à de nombreuses maisons de la zone. Pour se connecter au générateur, une famille doit payer 50 dollars (46 euros) à l'avance, ce que beaucoup ne peuvent se permettre.
« Certaines familles paient 20 dollars (18 euros) par mois, tandis que d'autres paient 150 dollars (139 euros). Certaines personnes utilisent l'électricité du générateur juste pour regarder la télévision et allumer la lumière, d'autres s’en servent pour tous leurs appareils électriques. »
Ahmed et d'autres comme lui savent que leur service coûte cher, mais ils le justifient par le prix élevé du carburant.
« En temps normal, lorsque les gens reçoivent huit heures d'électricité de la centrale de Gaza, je paie 400 dollars (372 euros) par jour juste pour le carburant qui permet au générateur de fournir l'électricité pour le reste de la journée. Mais dans la situation actuelle, les gens reçoivent trois heures d’électricité, donc je paie 530 dollars (493 euros). »
D'autres utilisent des panneaux solaires pour satisfaire leurs besoins en électricité, une alternative plus propre que les générateurs, mais aussi beaucoup plus chère.
« Il faut compter 2 600 dollars (2 420 euros) pour installer des panneaux solaires chez soi et, chaque année, il faut acheter en plus de nouvelles batteries qui coûtent 200 dollars (186 euros) », précise Jamad al-Banna, un ingénieur en électronique.
En plus d’être provisoires, toutes ces solutions sont bien trop chères pour les habitants de Gaza, qui espèrent une solution permanente aux coupures d'électricité permanentes, ainsi qu’un meilleur avenir.
Traduit de l’anglais (original) par Monique Gire.
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