EXCLUSIF : Le Pakistan envoie des troupes pour combattre à la frontière sud-saoudienne
L'armée pakistanaise envoie une brigade de combat pour soutenir la frontière sud de l’Arabie saoudite, réputée vulnérable, pour repousser les attaques lancées en représailles au Yémen par les Houthis, d’après des sources haut placées.
La brigade sera positionnée au sud du royaume, mais son déploiement sera limité à l'intérieur de sa frontière, ont déclaré ces sources à Middle East Eye. « Ces troupes ne seront pas déployées au-delà des frontières saoudiennes », a assuré l’une d’entre elles.
C'est le dernier rebondissement d’une guerre violente qui ravage le Yémen depuis deux ans. Le conflit a fait plus de 10 000 morts et 40 000 blessés, et a placé cette nation appauvrie au bord de famine.
Les deux camps ont été accusés de crimes de guerre et d’affamer les civils piégés dans le carnage.
Cette guerre a été lancée par l’Arabie saoudite et ses alliés de la coalition arabe suite à l’avancée des Houthis au-delà de Sanaa, la capitale yéménite, et du port méridional d'Aden, évinçant le président Abd Rabbo Mansour Hadi, soutenu par les Saoudiens.
Les Houthis ont répliqué de plus en plus énergiquement, au moyen de frappes de missiles transfrontaliers contre des cibles installées loin à l'intérieur du royaume.
Le mois dernier, les Houthis ont affirmé avoir frappé un camp militaire situé près d'al-Mazahimiyah, à proximité de Riyad, « un missile balistique de longue portée et haute précision », pour reprendre leur déclaration. Les Saoudiens ont démenti cette revendication.
Le 31 janvier, un missile a tué 80 soldats postés au bord de la mer Rouge sur la base de l’île Zuqar, gérée conjointement par les Saoudiens et les Émiratis, ont indiqué des rapports publiés dans les médias arabes. Les Saoudiens n’ont ni confirmé ni démenti cette frappe.
En octobre de l’année dernière, un missile a été abattu à environ 65 km de la Mecque, mais les Houthis ont nié avoir ciblé la ville sainte.
Traduction : « #COAS [le chef d’état-major des forces pakistanaises] a rencontré le général saoudien Abdur Rehman bin Saleh al-Bunyan. Ils se sont mis d’accord pour accroître leur coopération militaire et la collaboration entre les deux pays. »
Le déploiement de la brigade pakistanaise fait suite à la venue du général Qamar Javed Bajwa, chef d’état-major pakistanais (COAS), lors d’une visite officielle de trois jours en Arabie saoudite en décembre l’année dernière.
« Le COAS a réitéré l’engagement du Pakistan en faveur de la sécurité et de la protection des mosquées saintes ainsi que de l’intégrité territoriale du royaume », a promis l’armée pakistanaise dans une de ses déclarations.
« Plus tard, le général Qamar Javed Bajwa a rencontré le chef d’état-major des Forces saoudiennes, le général Abdul Rehman bin Saleh al-Bunyan, pour évoquer les relations entre leurs armées respectives, leur coopération en matière de défense et la situation en matière de sécurité régionale.
« Les deux chefs ont accepté de renforcer leur coopération militaire et la collaboration entre les deux pays ».
La région où se déploie la brigade pakistanaise est politiquement sensible pour Islamabad car le parlement pakistanais a rejeté il y a deux ans une demande formulée par le roi d’Arabie saoudite, Salmane, qui voulait que le Pakistan se joigne à une coalition « sunnite » visant à repousser les Houthis.
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Les Houthis, majoritairement adeptes du zaydisme (variante de l’islam chiite pratiquée par une minorité au nord du Yémen), ont l’appui de l’Iran, bien que le niveau de soutien direct fourni par Téhéran soit controversé.
Le parlement pakistanais a discuté de ce déploiement pendant quatre jours, lors de discussions dominées par les craintes d’attiser les violences sectaires au Pakistan, où 20 % de la population sont chiites.
Ces débats parlementaires sont aussi devenus la cible d’un intense lobbying. À cette occasion, le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, a rencontré le Premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, ainsi que l’ancien chef d’état-major pakistanais, Raheel Sharif.
Les Iraniens soutiennent les Houthis politiquement et tant l’Arabie saoudite que les États-Unis et l’Australie affirment que Téhéran les a soutenus également sur le plan militaire. Les plus hauts dirigeants houthis ont été formés par le Hezbollah, et leurs structures paramilitaires sont modelées sur cette milice libanaise soutenue par l’Iran. Les conseillers du Corps des Gardiens de la révolution islamiques (IRGC) ont aussi été impliqués.
L’année dernière, les médias iraniens affiliés au gouvernement ont affirmé que les Houthis utilisaient des Zelzal-3, ces missiles iraniens surface-surface à carburant solide, tout en veillant à préciser que cette arme avait été produite « par les Houthis eux-mêmes ».
Les Saoudiens ont sauvé la vie de Sharif en lui évitant d’être exécuté suite à un coup d’État militaire qui fit accéder Pervez Musharraf au pouvoir en 1999.
Bien que le Premier ministre pakistanais tienne à s’acquitter de cette dette personnelle envers les Saoudiens, il n’a pas été suivi par l’armée pakistanaise.
Les généraux pakistanais ont en effet affirmé ne plus disposer d’assez de ressources après les campagnes lancées contre les talibans pakistanais dans les zones tribales du nord-ouest du pays. Depuis, cependant, des sources militaires pakistanaises haut placées ont affirmé avoir repoussé les talibans de la vallée de Swat et du nord du Waziristan.
Le parlement pakistanais s’efforce pourtant de resserrer ses liens commerciaux avec l’Iran. Awaid Leghari, président du comité des affaire étrangères de l'Assemblée nationale, a récemment rencontré Ali Larijani, porte-parole du majlis (parlement) iranien, et Alludin Boroujerdi, président du comité pour la sécurité et la politique étrangère iranienne à l’Assemblée consultative islamique.
Il est aussi prévu qu’une délégation parlementaire d’Islamabad se rende à Téhéran en mai pour négocier la réouverture de trois marchés à leurs frontières, un projet de gazoduc et des projets touristiques.
Leghari a déclaré au quotidien pakistanais Dawn que les deux gouvernements se sentaient désormais soumis à des « pressions internes » les conduisant à engager de sérieux pourparlers et à trouver un terrain d’entente mutuel. « Des pressions supplémentaires devraient être exercées de l’intérieur, tant au niveau économique que par l’opinion publique et les médias », a-t-il suggéré.
Un tel regain d’initiatives ne serait pas le premier dans le contexte des relations entre ces deux États. En 1980, suite à la révolution iranienne, le président pakistanais Mohammad Zia ul-Haq avait ainsi déployé une brigade blindée d’élite pour défendre les frontières du royaume, à la demande du roi Fahd.
Cette brigade avait mobilisé environ 40 000 soldats et était restée en faction pendant une décennie.
Traduit de l’anglais (original).
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