Guerre au Yémen : les revendications d’indépendance du sud divisent la coalition
Billal al-Kelish, comme beaucoup d’habitants d’Aden, craint pour l’avenir.
La ville portuaire a souffert des combats qui ravagent le reste du pays depuis deux ans, notamment de mars à juillet 2015, date à laquelle les rebelles houthis ont occupé Aden avant d’en être chassés.
Ces derniers mois, cependant, la ville a été relativement paisible. Les gens sont rentrés chez eux, les magasins ont rouvert et les fonctionnaires du gouvernement sont payés chaque mois.
Mais une nouvelle tension imprègne l’air, dans un contexte de craintes d’une scission au sein de Tempête décisive, l’opération militaire lancée par la coalition dirigée par les Saoudiens en mars 2015.
« Tout le monde à Aden s’inquiète de l’avenir, alors que les différends entre Hadi et le Mouvement du Sud deviennent clairs pour nous tous » – Billal al-Kelish, propriétaire d’un magasin
D’un côté, il y a le Mouvement indépendantiste du Sud du Yémen et les EAU, dont les forces constituent une présence majeure dans la ville.
De l’autre côté, le président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi, dont le retour à Aden a été, en partie, permis par les EAU, qui ont également reconstruit le palais présidentiel d’al-Maachiq, sa base actuelle.
« J’ai fermé mon magasin pendant environ huit mois au cours de la guerre à Aden en 2015 et j’ai perdu un cousin dans cette guerre », se souvient Billal (38 ans), propriétaire d’un magasin. « Je ne veux pas voir le même scénario se répéter à Aden. »
« Tout le monde à Aden s’inquiète de l’avenir, alors que les différends entre Hadi et le Mouvement du Sud deviennent clair pour nous tous. »
Affrontement à l’aéroport
Le Yémen a été souvent divisé entre le nord plus peuplé et le sud plus riche, où se situe la majorité des puits de pétrole du pays.
Le pays s’est uni en mai 1990, lorsque la République populaire démocratique du Yémen (la partie sud, comprenant Aden) s’est jointe à la République arabe du Yémen (qui comprend la capitale Sanaa). Les forces indépendantistes du sud ont été battues pendant une brève guerre de deux mois en 1994.
Puis, en 2007, des dizaines d’anciens soldats ont organisé des manifestations appelant à l’indépendance. De là s’est développé le Mouvement du Sud, une organisation regroupant de petits groupes indépendantistes.
Néanmoins, dans le conflit actuel, le problème de l’indépendance et de la direction d’Aden, existants depuis des décennies, sont à l’origine de dissensions.
Il n’y a pas encore eu de violences généralisées – mais les craintes de Billal et d’autres ne sont pas sans fondement.
Le 12 février, Hadi a ordonné au lieutenant-colonel Saleh al-Omairi, commandant de l’aéroport d’Aden, de quitter le site. Omairi sert avec les forces de la « ceinture de sécurité », qui se compose de combattants de la Résistance du Sud et ont été formées par les EAU.
Les motifs de cet ordre sont inconnus : on sait que l’aéroport d’Aden est l’un des deux seuls qui fonctionnent encore dans le pays et qui, par conséquent, sont stratégiquement importants.
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Omairi a refusé de partir, donc Hadi a envoyé ses forces présidentielles. L’affrontement qui s’en est suivi a enveloppé la zone environnante ainsi que l’aéroport lui-même pendant plusieurs heures tandis que les avions émiratis survolaient la zone. Finalement, les forces d’Hadi se sont retirées.
Selon les normes du Yémen, ce fut calme : aucune victime, neuf blessés et des bâtiments portant les stigmates de balles. Mais cela a souligné les tensions entre les EAU et Hadi, qui veut être le principal dirigeant d’Aden.
Une coalition divisée
Hadi est le problème pour beaucoup du Mouvement du Sud. Ils se rendent compte qu’il pourrait être président du Yémen une fois la guerre terminée, mais craignent que son discours passé sur un Yémen fédéral n’aboutisse pas à un Sud indépendant.
Un membre du Mouvement du Sud a déclaré à MEE : « Nous avons accepté Hadi et son gouvernement à Aden pour les pays de la coalition, dirigés par les EAU à Aden.
« Nous sommes sûrs que les pays de la coalition, dirigés par les EAU à Aden, appuieront l’indépendance du Sud. C’est pour cela que nous les soutenons. » Pour leur part, les EAU n’ont pas commenté la question de l’indépendance.
Les combattants du Mouvement du Sud ont travaillé avec les forces de la ceinture de sécurité, a confirmé la source. Hadi n’a pas le pouvoir de déposer ou de nommer un chef des forces de la ceinture de sécurité, a ajouté la source.
Les dirigeants du Mouvement du Sud accusent Hadi d’être un « traître » parce qu’il fut vice-président du dirigeant Ali Abdallah Saleh, mais pendant ce temps ils n’ont pas réussi à faire avancer la cause de l’indépendance du Sud.
« Nous demandons l’indépendance depuis 1994 et Hadi ne nous a pas soutenus », a déclaré la source. « Maintenant, il veut que nous le soutenions et cela nous est difficile. »
Les partisans de Hadi : attendons
L’affrontement à l’aéroport n’a pas été le seul incident. Le 13 février, Hadi a quitté Aden pour rejoindre Riyad afin de rencontrer des responsables saoudiens, plus favorables à sa cause que les Émirats Arabes Unis, et des dirigeants émiratis en vue de résoudre le conflit concernant l’aéroport. Cependant, la réunion a été repoussée.
Hadi est ensuite allé à Abou Dhabi, où il a rencontré le prince héritier Mohammed ben Zayed al-Nahyane, commandant suprême adjoint des forces armées des EAU. La réunion a reçu peu, voire aucune, couverture médiatique ; les détails n’ont été connus que deux semaines plus tard.
Mais Al-Quds al-Arabi, un journal londonien, a rapporté le 3 mars que la courte rencontre entre Hadi et Nahyane, à laquelle étaient présents des responsables de la sécurité et des renseignements saoudiens et émiratis, avait été musclée. Le journal a cité une source yéménite comme étant à la base de son article.
Nahyane avait déclaré à Hadi que les EAU étaient la seule raison pour laquelle il avait pu retourner à Aden, indiquait le journal, ajoutant : « Notre sacrifice et le sang de 65 martyrs émiratis ne sera pas vain. »
En réponse, Hadi a déclaré que les EAU n’étaient pas parvenus à restaurer une grande partie de l’eau et l’électricité de la ville, ni à soutenir la banque centrale.
Pourtant Hadi a ses partisans. Le parti Islah, qui s’oppose à l’indépendance, le soutient et le désigne comme la meilleure option pour un Yémen uni.
Un membre du parti, s’exprimant sous couvert d’anonymat en raison de craintes pour sa sécurité, a déclaré que ce n’était pas le moment d’avoir des différends dans la coalition, étant donné que les rebelles houthis contrôlent toujours certaines parties du sud.
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« J’espère que les forces de la coalition nous soutiendront et libéreront le reste du sud et tout le pays des Houthis, alors nous pourrons résoudre nos différends », a déclaré le responsable à MEE.
« Toutefois, tout différend ne servira plus que les intérêts des Houthis. Nous ne soutenons pas Hadi en tant qu’individu, nous soutenons la légitimité. »
« Si un référendum sur l’indépendance est organisé, ce devrait être après la libération de tout le pays des Houthis. »
Et puis il y a al-Qaïda
Les forces des EAU ont destitué Omairi du commandement de l’aéroport le 28 février, après la visite d’Hadi à Abou Dhabi. Des forces du Soudan, autre membre de la coalition, en ont alors pris le contrôle. Les EAU se considèrent toujours comme le principal dirigeant d’Aden.
Esam al-Shaeri, sous-secrétaire de la Fondation Sah pour la défense des droits et de la liberté, basée à Aden, favorable à l’indépendance du Sud, a déclaré que les demandes d’indépendance étaient antérieures à la campagne de la coalition lancée en mars 2015.
« L’indépendance est une demande du peuple et non une demande de la part d’individus en particulier », a déclaré Esam al-Shaeri à MEE. « Il ne peut y avoir de solution à la crise yéménite sans solution à la question du Sud. »
« Il ne peut y avoir de solution à la crise yéménite sans solution à la question du Sud » – Esam al-Shaeri, Fondation Sah pour la défense des droits et de la liberté
Il a estimé que Tempête décisive constitue la meilleure chance que le Mouvement du Sud ait de parvenir à l’indépendance, tout en acceptant que Hadi et son gouvernement soient aussi des partenaires dans la coalition. « Le Sud est un partenaire de la coalition et la présence de Hadi et son gouvernement dans le sud repose sur ce partenariat », a-t-il déclaré.
« Les pays de la coalition ont des idées, une vision pour résoudre la question du Sud », a-t-il poursuivi. « Au cours des prochains mois, il y aura une initiative diplomatique exigeant une solution au mouvement du Sud. »
Mais Hadi a rejeté à plusieurs reprises l’indépendance. « Nous allons avancer vers le fédéralisme, qui est la principale solution à la crise actuelle », a-t-il déclaré en octobre 2016.
Et dans les coulisses se trouve al-Qaïda, encore une force dont il faut tenir compte dans le Sud. Ses combattants ont profité de la guerre entre les Houthis et les forces pro-gouvernementales pour s’emparer de certaines régions d’Aden et d’autres provinces.
C’est un danger dont Billal n’est que trop conscient. « Nous savons tous qu’il y a encore des combattants d’al-Qaïda à Aden », a-t-il déclaré.
« Tout différend servira leurs intérêts et les aidera à s’étendre à nouveau. La lutte contre al-Qaïda est une priorité et il devrait y avoir une solution à la question du Sud. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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