Alors que les prix flambent, les Égyptiens se demandent comment faire pour manger
LE CAIRE – « L’huile de cuisson est plus chère, le sucre aussi, et maintenant le pain... Comment sommes-nous censés manger ? », demande Ali al-Sayed. L'ancien comptable de 60 ans a du mal à joindre les deux bouts.
« Il n’y a rien de pire que ne pas pouvoir nourrir sa famille. Personne ne ressent la souffrance dans laquelle nous vivons », ajoute-t-il.
« Il n’y a rien de pire que ne pas pouvoir nourrir sa famille »
- Ali al-Sayed, comptable à la retraite
Le gouvernement a réduit les subventions alimentaires à plusieurs reprises au cours des derniers mois, provoquant la colère et la frustration de 70 millions d'Égyptiens sous le régime du rationnement. Plus tôt ce mois-ci, des Égyptiens ont organisé des manifestations à Alexandrie et à Gizeh contre les dernières coupes dans les subventions du pain, clamant « Nous voulons du pain » et « Tout sauf le pain ».
Le ministère de l’Approvisionnement a réduit le quota journalier de pain subventionné que les boulangeries sont autorisées à distribuer aux détenteurs de carte de 1 000-4 000 pains par jour à 500. Un système de carte électronique distinct n'a toutefois pas été affecté.
Pour tenter de juguler les manifestations, le ministre de l’Approvisionnement, Ali Moselhy, a promis le 8 mars dernier de résoudre le problème du pain dans les 48 heures, tout en continuant de défendre la décision de réduire les subventions. Cependant, de nombreux Égyptiens se plaignent toujours que la situation ne s’est pas améliorée.
« Nous avons oublié la viande et d'autres aliments chers, mais nous ne pouvons pas oublier le pain », affirme Saied Nabil, un fonctionnaire de 50 ans qui vit actuellement à Alexandrie.
« Le pain est essentiel dans tous nos repas. Il fait partie de notre alimentation depuis une éternité. »
« Nous avons oublié la viande et d'autres aliments chers, mais nous ne pouvons pas oublier le pain »
- Saied Nabil, fonctionnaire
Considéré comme une composante principale de l'alimentation égyptienne, le pain a toujours été un sujet explosif. Depuis que le système des subventions alimentaires a été mis en place dans les années 1950 sous le président Gamal Abdel Nasser, les Égyptiens ont développé une dépendance au système de rationnement. Par le passé, de nombreuses manifestations violentes se sont focalisées sur cette denrée, conduisant même des Égyptiens à s’entretuer pour du pain subventionné par l'État.
Sous l’ancien président Anouar el-Sadate, une tentative de hausse des prix du pain en 1977 avait provoqué des émeutes importantes et, en 2008, Moubarak a également été confronté à des manifestations en réponse à la pénurie de pain.
Sayed reçoit une retraite mensuelle de 947 livres égyptiennes (50 euros). Au cours des six derniers mois, les efforts qu’il a déployés pour renouveler sa carte de rationnement ont été vains à cause de procédures bureaucratiques qui ont causé des retards sans fin.
« Comment sommes-nous censés manger ? »
- Ali al-Sayed, comptable retraité
Pour nourrir toute sa famille, Sayed doit acheter dix pains par jour sur des marchés locaux dont les prix sont beaucoup plus élevés que ceux des magasins d'État. Selon les prix traditionnels, chaque pain coûte entre 30 et 75 piastres, en fonction de la taille et de la qualité. Selon le programme de subventions du gouvernement, chaque pain coûte environ cinq piastres.
Le gouvernement minimise l’importance de la frustration
Certains représentants de l'État ont minimisé l’importance de la frustration ressentie par leurs concitoyens et ont demandé à la population de se montrer plus compréhensive face à la détérioration de l'économie égyptienne.
« Avec un budget d'État très serré, c'est tout ce que l'État peut accorder. Les citoyens doivent comprendre la situation du pays », explique à Middle East Eye Abo Taleb al-Araby, responsable de la Fédération générale de l'approvisionnement et du commerce intérieur, un organisme gouvernemental.
« L'État nous demande de comprendre sa situation. Ok, mais comment mes enfants peuvent-ils comprendre que je ne peux pas les nourrir ? »
- Hassan Rashad, père de deux garçons
Dans une vidéo qui a circulé sur les médias sociaux le 11 mars, Mohamed Mansour, un général des services de sécurité égyptiens, est allé jusqu'à encourager les Égyptiens à « avoir faim » et à « sacrifier leurs dîners » pour la prospérité de l'Égypte.
Cela n'a pas convaincu de nombreux Égyptiens qui ont du mal à nourrir leurs enfants, à l’image d’Hassan Rashad, 36 ans, qui précise qu’il est difficile de compatir avec l'État lorsqu’emprunter de l'argent sur une base mensuelle est devenu malgré lui une nécessité afin de nourrir ses deux garçons.
« L'État nous demande de comprendre sa situation. Ok, mais comment mes enfants peuvent-ils comprendre que je ne peux pas les nourrir ? », demande-t-il.
Rashad est employé au service de restauration d'une société privée et gagne 1 600 livres égyptiennes (83 euros) par mois. Contraint d'acheter des aliments essentiels sur les marchés à des prix plus élevés plutôt qu’aux prix subventionnés, il est constamment endetté.
« Ils disent qu'ils nous accordent des subventions et ensuite ils nous jettent leurs restes »
- Salama Sayed, plombier
L'inflation de base est montée en flèche, progressant de plus 30 % depuis que l'Égypte a fait fluctuer sa devise en novembre dernier après avoir obtenu un prêt de 12 milliards de dollars du Fonds monétaire international (FMI) pour soutenir un programme gouvernemental d'austérité.
Les fournisseurs comme les clients ont déclaré avoir constaté des pénuries pour plusieurs produits subventionnés. Actuellement, chaque client détenant une carte de rationnement ne peut acheter plus d'un sac de sucre en raison d'une grave crise sur cette denrée.
« La plupart des produits [subventionnés] ne sont pas disponibles, en particulier le sucre », relève un employé affilié au ministère de l’Approvisionnement qui a préféré garder l’anonymat car il n’est pas autorisé à parler aux médias. Selon lui, les gens n'ont pas d'autre choix que se résoudre à acheter des produits plus chers sur les marchés locaux.
En février, le gouvernement a revu à la hausse les prix du sucre et de l'huile de cuisson subventionnés, pour la deuxième fois en trois mois, provoquant une augmentation de 14,3 % : de 7 à 8 livres égyptiennes le kilo de sucre subventionné (environ 40 centimes d’euros).
De plus, le prix de l'huile de cuisson subventionnée est passé de 10 (0,52 cents) à 12 livres égyptiennes (0,62 cents), soit une hausse de 20 %.
Pour Salama Sayed, un plombier de 38 ans, tout le système de subventions est « illusoire » et ne lui permet pas de subvenir aux besoins de sa femme et de sa fille de 2 ans.
« Ils [le gouvernement] nous trompent. Ils disent qu'ils nous accordent des subventions et ensuite ils nous jettent leurs restes », affirme-t-il.
Sayed fait référence à l'un des slogans populaires scandés par les manifestants lors du soulèvement de 2011 qui a renversé Hosni Moubarak : « Pain, liberté et justice sociale ». Il a ajouté que six ans après la révolte, leurs demandes n’avaient pas encore été satisfaites.
« Je ne sais pas comment nous pouvons vivre »
Safia, une femme au foyer de 62 ans, a déploré que la retraite mensuelle de son défunt mari, d’une valeur de 900 livres égyptiennes (46 euros), ne suffisait plus pour la nourrir elle et sa famille.
« Je ne sais pas comment nous pouvons vivre. C'est dur. Si dur et injuste », s’est-elle plainte.
En raison de leur situation économique difficile, les deux enfants de Safia et ses quatre petits-enfants vivent tous sous le même toit.
Pendant ce temps, devant un complexe de nourriture subventionnée tenu par l'État, des femmes âgées font la queue pour obtenir leur ration alimentaire.
Mona Hussein, 60 ans et mère de deux enfants, se qualifie de « ministre des Finances » de son foyer, et se plaint de la hausse constante des prix alimentaires.
« Nous ne pouvons pas nous le permettre et je ne sais pas pendant combien de temps encore nous pourrons le supporter »
- Mona Hussein, mère
Le mari de Mona Hussein travaille comme médecin dans un hôpital privé du Caire et la famille dépend de son salaire mensuel de 6 000 livres (312 euros). Alors qu'elles se considéraient autrefois comme faisant partie de la classe moyenne, avec la hausse continue des prix et la stagnation des salaires, la plupart des familles égyptiennes ont du mal à s'en sortir.
« Je suis vraiment contrariée et énervée. Nous ne sommes plus une classe moyenne », confie Mona. Selon un rapport publié en janvier, les prix des denrées alimentaires augmentent de 38,6 % par an.
« Je pense que je n'achète jamais le même article deux fois au même prix. Chaque jour, il y a un changement. Nous ne pouvons pas nous le permettre et je ne sais pas pendant combien de temps encore nous pourrons le supporter. »
Traduit de l'anglais (original) par Monique Gire.
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