Comment réagirait l’Occident si la plupart des rebelles syriens étaient chrétiens ?
Pendant la plus grande partie des cinq dernières années, l’Occident a été paralysé par son incapacité à trouver un « gentil » dans le conflit insoluble entre le régime génocidaire d'Assad et les rebelles désormais « menés par les jihadistes », et il y a une très bonne raison à cela : Assad a réussi à entourlouper l'Occident et à l’amener à voir le conflit à travers une grille de lecture binaire.
Assad avait compris que rien ne pollue plus efficacement le discours politique occidental que n’importe quelle combinaison des mots « jihadistes », « fondamentaliste islamique » ou « terroristes »
La supercherie, il faut le dire, est très élaborée. Assad savait, au moment où il a choisi d'emprisonner, de torturer, de laisser mourir de faim et d'assassiner ceux qui résistaient à sa tyrannie au lieu de répondre à leurs modestes demandes de dignité et de liberté, que l'Occident ne pourrait résister à l'envie d'intervenir.
Après tout, la doctrine de la « responsabilité de protéger » est maintenant consacrée dans le droit international, ce qui signifie que la communauté internationale peut légalement intervenir pour empêcher des États souverains de commettre des actes de violence de masse contre leurs citoyens.
Ainsi, Assad a dû imaginer une ruse visant à décourager une intervention occidentale pendant qu'il se livrait à la sale besogne d’assassiner son peuple – plus d'un demi-million de Syriens de tous bords ont perdu la vie dans la guerre jusqu'à présent, et ce n’est pas fini.
Assad avait compris que rien ne pollue plus efficacement le discours politique occidental que n’importe quelle combinaison des mots « jihadistes », « fondamentaliste islamique » ou « terroristes ».
Une supercherie élaborée
Pendant des années, Assad a pu voir les propagandistes israéliens discréditer les condamnations occidentales des atrocités commises par Israël à Gaza en faisant un amalgame entre résistance palestinienne et « islam radical » et en dépeignant le Hamas comme le visage de la révolution.
Assad a absurdement dépeint le mouvement de protestation pacifique de la rue comme une conspiration islamique à son encontre menée par des terroristes
C'est une ruse qu’Israël a déployée sans pitié pour écraser trois intifadas et incarcérer deux millions de Gazaouis dans un camp de concentration à ciel ouvert – sans provoquer guère plus qu'un froncement de sourcils de la part de l'Occident. Assad a également constaté l’absence de réaction de l'Occident lorsqu’Abdel Fattah al-Sissi a renversé les Frères musulmans démocratiquement élus en Égypte, puis massacré des centaines de leurs partisans politiques.
Toutefois, la large couverture médiatique des premiers jours de la révolution syrienne avait permis aux publics occidentaux de comprendre que les manifestations nationales contre Assad étaient laïques et non sectaires.
En dépit de cette réalité – et malgré le fait que les manifestants n'avaient même pas encore réclamé un changement de régime –, Assad a absurdement dépeint le mouvement de protestation pacifique de la rue comme une conspiration islamique à son encontre menée par des terroristes. Et en Occident, les gens ont mordu à l’hameçon.
Une enquête sur les origines du conflit menée pendant deux ans montre comment Assad a vidé ses prisons des militants d'al-Qaïda et islamistes de tous genres en vue de stigmatiser et de délégitimer la révolution dans l'esprit du public à la fois occidental et national.
Lorsque les médias ont révélé que les armes américaines avaient atterri entre les mains de groupes islamistes, les dirigeants politiques occidentaux ont perdu tout capital ou volonté politique de fournir une aide humanitaire aux Syriens.
L’Occident se sentirait-il aussi gêné si les armes américaines s’étaient retrouvées entre les mains de groupes fondamentalistes chrétiens ?
Dans l'esprit occidental, un gouvernement laïc ne peut jamais être le « méchant » si l'alternative est un groupe de militants islamistes, peu importe que les crimes de ce gouvernement soient bien plus pervers que ceux de ces derniers.
C'est cette lecture binaire qui restreint l'intervention occidentale en Syrie. C'est cette lecture binaire qui a permis à Assad d’assassiner des dizaines de milliers de ses propres compatriotes et de causer le déplacement externe de cinq millions de Syriens et le déplacement interne de six millions d’autres.
Mais que se passe-t-il si vous remplacez musulman par chrétien ?
L’Occident se sentirait-il aussi gêné si les armes américaines s’étaient retrouvées entre les mains de groupes fondamentalistes chrétiens ? L’Occident accepterait-il que ces groupes fondamentalistes chrétiens soient considérés comme des organisations terroristes ?
Et comment les pays occidentaux verraient-ils les chrétiens qui se rendraient en Syrie pour défendre les Syriens contre les bombes barils d'Assad et les milices iraniennes au péril de leur vie ?
Non, non, et « comme des héros » sont les bonnes réponses.
Cependant, la Syrie n'est pas un pays à majorité chrétienne, et ce ne sont pas des militants chrétiens qui dirigent à présent les rebelles. Il s’agit d’un pays à majorité musulmane et les rebelles sont maintenant dirigés par des militants musulmans.
C'est pourquoi, plutôt que de les considérer comme des héros, nous accusons automatiquement ces musulmans qui se rendent en Syrie pour combattre Assad d’être des « terroristes », nous leur retirons leurs droits légaux et, dans certains cas, leur citoyenneté. Même des musulmans qui sont partis en Syrie pour travailler pour des ONG d'aide humanitaire ont été accusés de terrorisme.
Lorsque vous changez l'identité des rebelles d’islamistes à intégristes chrétiens, alors trouver une clarté morale devient soudainement moins difficile. Assad est objectivement le méchant dans ce combat et face à lui se trouve simplement une identité religieuse avec laquelle votre sensibilité occidentale est mal à l’aise.
Comme les temps changent. Lorsque l'Union soviétique était l'ennemi juré de l'Occident, celui-ci avait peu de mal à identifier les militants musulmans comme « les gentils » lors de l'occupation soviétique de l'Afghanistan. « Ce film est dédié aux courageux Moudjahidines d'Afghanistan », indiquaient les génériques de fin de la version hollywoodienne de la guerre, Rambo 3.
Rejeter la supercherie d'Assad
En général, à ce moment de mon argumentaire, vous m'envoyez une vidéo Youtube montrant un groupe rebelle djihadiste décapitant un enfant de 14 ans ou des vidéos de toutes sortes de choses vraiment abjectes que certains rebelles dans certains groupes rebelles ont commises.
Les actions sanguinaires et nihilistes du groupe État islamique ne sont emblématiques ni du djihad, ni de la plupart des groupes militants islamistes dispersés parmi les rebelles syriens
Que puis-je dire ? C'est une zone de guerre, et des personnes vraiment ignobles se trouvent toujours dans n'importe quel groupe d'individus. De plus, votre poignée de vidéos n’est pas bien pertinente si on la compare au massacre perpétré par Assad à l’échelle industrielle.
En outre, il convient de noter ici que les actions sanguinaires et nihilistes du groupe État islamique (EI) ne sont emblématiques ni du djihad, ni de la plupart des groupes militants islamistes dispersés parmi les rebelles syriens.
Je ne suggère en aucun cas que les États-Unis ou leurs alliés devraient s’allier aux groupes affiliés à al-Qaïda ou autres.
Mais que cela vous plaise ou non, si vous voulez mettre un terme au massacre en Syrie et à la crise des migrants, ainsi qu’à la croissance de groupes comme l’EI et al-Qaïda, alors ce que je suggère est inévitable : les militants islamistes auront leur mot à dire dans l'avenir de la Syrie, quelles que soient l'identité ou les identités nationales qui se matérialiseront dans la période d'après-guerre qui probablement approche.
Si nous acceptons cette prémisse, et si nous pouvons accepter la notion selon laquelle les fondamentalistes musulmans ne sont aucunement différents des fondamentalistes chrétiens, des extrémistes sionistes ou de tout autre groupe politique marginal qu’accueillent habituellement les démocraties occidentales, alors soudainement nos options pour mettre fin à la souffrance et à l’effusion de sang dans ce pays se diversifient.
Il n'y a certainement pas de réponses faciles. Les initiés de la Maison-Blanche affirment que le président Obama se référait souvent à la Syrie comme « l'ultime grosse #rde ». Il avait raison.
Mais si nous voulons trouver des solutions réelles pour mettre fin au conflit, nous devons d'abord rejeter la tromperie d'Assad. Il ne s’agit pas de choisir entre Assad et les terroristes. Il s’agit de choisir entre la guerre perpétuelle et la recherche de la paix.
- CJ Werleman est l’auteur de Crucifying America, God Hates You. Hate Him Back et Koran Curious. Il est également l’animateur du podcast « Foreign Object ». Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cjwerleman.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des combattants rebelles des brigades Jaysh al-Fatah (ou Armée de la conquête) se rassemblent le 3 novembre 2016 près d’une entrée d'Alep, sur la ligne de front sud-ouest près du quartier de Dahiyet al-Assad, lors d'une offensive rebelle visant à rompre un siège de trois mois sur la partie orientale de la deuxième ville de Syrie tenue par l'opposition (AFP).
Traduit de l’anglais (original).
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].