Pour les partis politiques, défendre le Rif, c'est bien. Ne pas se fâcher avec le roi, c'est mieux
RABAT – Il y a ceux qui ont pris position, sans surprise, aux côtés du Palais, ou sans surprise, du côté des manifestants. Ceux dont les sections locales se sont (malgré eux) exprimées. Et ceux qui essaient de se faire oublier mais dont le silence les pousse du côté du roi.
Pour les partis politiques marocains, « qui ont l’habitude de s’exprimer sur tout et sur rien, surtout si ça ne se passe pas au Maroc », comme le souligne avec ironie un militant de la capitale à Middle East Eye, la crise du Rif est un dossier extrêmement délicat.
« Le risque de se fâcher avec le Palais, ou plus probablement, de se voir remettre en place par le ministère de l’Intérieur, est trop grand », souligne-t-il.
La crise aura au moins le mérite d'illustrer les réelles positions de chacun au sein même de la coalition gouvernementale.
En clair : le Rassemblement national des indépendants (RNI, les libéraux qui ont eu la peau du chef de gouvernement Abdelilah Benkirane) et le Mouvement populaire (MP) ont clairement condamné le mouvement de contestation dans le nord du pays.
« Depuis quelques temps, on a l'impression que les manifestations et le cahier revendicatif du mouvement font l'objet de manipulations. Et c'est intolérable », s'est énervé Mohand Laeser, secrétaire général du MP dans le magazine Tel Quel.
Mais le Parti de la justice et du développement (PJD) a laissé sa section locale parler pour lui. Même si jeudi, Abdelilah Benkirane, secrétaire général du parti, a déclaré : « Suite à la publication et à la diffusion récente de communiqués de certains des organes du parti, nous rappelons à nos frères et sœurs qui président les branches et les organes du parti qu'ils ne doivent publier des communiqués émanant de leurs instances, en particulier ceux qui ont trait aux questions politiques, qu'après consultation des secrétaires régionaux du parti, et avec l'approbation du secrétaire général. »
« Nous ne pouvons pas nous inscrire en porte-à-faux avec le gouvernement dirigé par notre parti »
-Un membre du PJD
« Nous ne pouvons pas nous inscrire en porte-à-faux avec le gouvernement dirigé par notre parti », admet un membre du secrétariat général du PJD contacté par MEE. S’il encourage « les parlementaires du parti à saisir le gouvernement » sur un certain nombre de questions relatives aux protestations à Al Hoceima, il admet que « [notre] engagement auprès des autres partis de la majorité » ne permet pas de dire n’importe quoi.
Comprendre : la direction du PJD ne peut pas se permettre de prendre une position tranchée sur la répression du mouvement et les arrestations à Al Hoceima, même si, au sein du parti, on condamne largement l'approche adoptée par le gouvernement. Celui-ci s’est d’ailleurs claquemuré dans un silence incompréhensible depuis le début de la répression du hirak (mouvance, nom donné à la contestation). Au point que des internautes marocains ont commencé à diffuser des avis de disparition du chef de gouvernement, Saâdeddine el-Othmani. « Alerte disparition : Premier ministre porté disparu depuis plusieurs jours », peut-on lire dans l’un d’eux.
Jeudi 1er juin, les partis de la majorité ont diffusé un communiqué pour inviter le gouvernement (eux-mêmes, donc) à « plus d'interaction positive avec le mouvement de protestation », estimant qu'il est « du devoir de chacun de protéger le droit de protester de toute violation ou abus ». Dans le même message pour le moins contradictoire, ils se sont aussi félicités « de l'approche basée sur le dialogue adoptée par le gouvernement et les autorités locales », saluant « le comportement responsable des forces de l'ordre à l'égard des manifestants ».
Traduction : « Nous, fils du peuple marocain, lançons cet appel pour retrouver Saâdeddine el-Othmani »
Mais les faits sont là : la crise a élargi le hiatus entre les directions centrales des partis et leurs sections locales.
À Al Hoceima, les sections locales du PJD et de l'Union socialiste des forces populaires (USFP) – deux partis de la coalition gouvernementale – et de l'Istiqlal (parti conservateur) ont clairement choisi leur camp. Dans un premier communiqué, daté du 16 mai, elles condamnaient les déclarations des représentants des partis de la majorité lors de leur réunion avec le chef du gouvernement Saâdeddine el-Othmani et le ministre de l'Intérieur Abdelouafi Laftit.
Dans un second communiqué diffusé le 29 mai, les sections locales des trois partis condamnent « l'approche sécuritaire adoptée par l'État dans la région », « la campagne médiatique de dénigrement dirigée par les chaînes du pôle public », rendent « le ministre de l'Intérieur responsable de l'évolution de la région et du pays vers l'inconnu » et exigent « la libération des activistes du mouvement ».
Cette schizophrénie est, pour l’historien Maâti Monjib, « récurrente » dans la vie politique marocaine, car « les partis politiques ne sont pas représentatifs des masses ». « Alors que les dirigeants locaux sont restés en contact direct avec la population, au point de soutenir, voire parfois de participer à certains mouvements, la direction du parti, les directions des partis répondent aux pressions du Palais », analyse-t-il pour MEE
À l'Istiqlal, la sortie du secrétariat provincial de Hoceima semble avoir été favorablement accueillie par la direction du parti et par plusieurs figures istiqlaliennes, dont Adil Benhamza, membre du comité exécutif et porte-parole de la formation politique, qui juge inadapté le traitement sécuritaire adopté par l'État marocain à Hoceima. Il faut dire que le parti dirigé par le tonitruant Hamid Chabat s’est engagé, depuis quelques mois, dans un bras de fer avec le Palais.
Traduction : « L’arrestation de Nasser Zefzafi, la plus importante figure de la mouvance à Al Hoceima, ne sert pas la demande de trêve formulée par nombre de personnes récemment. Cette arrestation va également renforcer sa stature de leader et le transformer en icône de la mouvance dans le Rif, que ce soit aujourd’hui ou dans l’avenir »
Le seul parti politique représenté au parlement à avoir clairement condamné la répression du mouvement de protestation à Al Hoceima est la Fédération de la gauche démocratique (FGD). En dépit de ses seuls deux députés, ce parti habituellement très critique envers le pouvoir, a contribué à porter au parlement la question du traitement sécuritaire réservé au mouvement de protestation.
Nabila Mounib, secrétaire générale du Parti socialiste unifié (PSU) et présidente de la FGD, a souligné la nécessité « de trouver des solutions aux attentes de la population du Rif mais aussi de leur garantir la dignité et les droits élémentaires ».
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